Une information patient taillée sur mesure
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Personnaliser l’information que l’on fournit aux patients, tel est le nouvel enjeu de la communication santé pour les prochaines années, estime le Pr Alain Livartowski, oncologue à l’Institut Curie et actuellement Directeur de projets à Unicancer. Un défi à notre portée grâce à l’avènement du digital, qui permet la conception d’outils numériques capables de délivrer une information adaptée et personnalisée. Mais qui impose, parallèlement, d’inclure les patients dans la réflexion afin d’identifier, préalablement, leurs besoins…
Le cancer n’est en réalité pas une maladie unique : quels points communs entre un cancer du sein, un cancer du poumon et un cancer de la thyroïde ? Ces cancers peuvent être différents dans leur façon de se développer, de se propager et de répondre aux traitements : certains grossissent et se propagent rapidement ; d’autres évoluent très lentement. Certains vont rester là où ils ont commencé ; d’autres ont tendance à se propager dans l’organisme et former des métastases. Certains sont bien traités par la chirurgie ; d’autres répondent mieux à la chimiothérapie. « On parle de maladie unique alors qu’il s’agit d’une maladie multiple. Il existe une multitude de cancers qui sont autant de maladies orphelines, qui n’ont rien à voir les unes avec les autres tant du point de vue de leur diagnostic, de leurs traitements que de leur pronostic. Pour un même cancer il n’y a pas deux patients qui ont exactement la même prise en charge. Par exemple, sur 20 patients en salle d’attente d’une consultation pour le traitement d’un cancer du poumon, chaque patient a une prise en charge et un traitement différent. Résultat, il est très difficile pour les patients de s’y retrouver », souligne le Pr Alain Livartowski
Fini la communication de masse, qui s’adresse à tout le monde mais qui ne convient finalement à personne. « Les patients ont de plus en plus accès à l’information mais celle-ci ne répond pas toujours à leurs attentes. Ils ont besoin d’une information personnalisée, qui corresponde à leur maladie et à leur prise en charge. » Impossible tant que les informations étaient communiquées via des documents papiers, l’essor du digital permet de changer la donne, estime le cancérologue. « Le digital est beaucoup plus labile, il permet de s’adapter plus facilement à chaque patient et de lui délivrer une information qui correspond à sa tumeur, au stade de la maladie, à ses traitements, etc. »
L’exemple réussi de l’application « myCurie ». « À l’Institut Curie, nous avons développé depuis plusieurs années l’application “myCurie” pour permettre aux patients suivis dans l’établissement de retrouver toutes leurs informations personnelles telles que leurs rendez-vous, leurs traitements ou encore leurs compte-rendus médicaux. Ils peuvent aussi trouver des vidéos explicatives sur les examens d’imagerie (IRM, scanner, PET-scan...) qu’ils vont passer, proposer une visite virtuelle du service où ils ont rendez-vous, ou encore obtenir les numéros de téléphone des assistants de leur médecin référent. » Récompensée en 2020 par le prix national des talents de la e-santé, l’appli « myCurie » a rencontré un vif succès dès de son lancement en 2016. « 98% des patients sont satisfaits car ils ont accès à toutes sortes d’informations sur leur parcours de soins, confirme le Pr Livartowski : quand on les prévient qu’ils risquent de développer tel ou tel effet indésirable, lié à leur traitement, comment le prévenir et que faire si malgré tout ce dernier survient, ils ont vraiment le sentiment d’avoir reçu une information personnalisée, qui correspondait à leur situation et pas à celle d’un autre patient. »
Une application coconstruite avec les patients. Pour être pertinente, un tel outil d’information doit être coconstruit par les médecins et les patients, estime le spécialiste. « Ce n’est pas aux médecins de décider de ce dont ont besoin les patients en termes d’information. Par conséquent, il est indispensable de leur demander si l’on ne veut pas passer à côté de leurs besoins. ». Et le cancérologue de citer l’exemple d’un questionnaire à remplir avant une consultation, qui aurait été très utile aux médecins mais que les patients ont rejeté en bloc. « Nous devons développer des outils utiles aux patients et qui répondent à leurs besoins et pas à ceux des médecins, insiste-t-il. Ce n’est donc pas aux industriels ou aux startups d’imaginer ce qui pourrait leur servir, mais aux personnes en cours de traitement de faire part de leurs attentes. »
L’initiative de l’Institut Curie a été suivie par de nombreux autres établissements et utilisant toutes les possibilités ouvertes par le numérique. comme des questionnaires personnalisés. Pour l’heure, il s’agit d’initiatives menées par les établissements de soins, des startups et non par les autorités de tutelle ; mais le Pr Livartowski souhaite un soutien de l’État, à condition que ce dernier reste limité à une aide financière et au soutien à l’innovation ; il faut innover sans cesse et trouver le bon modèle économique pour les investisseurs et les hôpitaux. « L’État doit aider pour mettre en place des outils numériques, oui… C’est indispensable ! ».
Propos recueillis par Amélie Pelletier ■
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