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  • Mutualiser les données de tous les acteurs et les rendre interopérables

  • Marco Fiorini

     

    Forte de son système de soin unique, l’excellence de ses Plans Cancer, la France est armée pour créer, autour des cancers, la plus grande base de données du monde associant les données publiques et privées, considère Marco Fiorini, Délégué Général de l’Alliance pour la recherche et l’innovation des industriels de la santé (ARIIS), l’un des membres fondateurs de la « Filière Intelligence Artificielle et Cancer » (FIAC). A la clef, croiser toutes ces data pour offrir les meilleures prises en charge…

     

    TLM : Quels sont les objectifs de la Filière Intelligence Artificielle et Cancer ?

    Marco Fiorini : Les perspectives qu’ouvre le numérique à la médecine seront d’autant plus importantes pour les acteurs de santé et bénéfiques pour les patients que l’on saura concevoir et mettre en œuvre une démarche structurée vis-à-vis de cet immense gisement de données Santé qui se constitue sous nos yeux, potentialisé par l’accroissement des capacités de stockage et l’accélération des procédures de calcul. Car, si ce gisement est effectif, il demeure pour une large part dispersé entre les nombreux acteurs de santé —Sécurité sociale, établissements hospitaliers, industriels, etc.— qui en produisent et détiennent les données. A cela s’ajoute que ces dernières sont de typologies, certes complémentaires, mais hétérogènes —médico-administratives, bio-médicales, imagerie, génétique mais aussi stratégies thérapeutiques et de prévention, parcours de soins, etc. Le premier pas consiste donc à promouvoir une mutualisation de ces données avant de les croiser. Mais même mutualisées, ces données demeurent inexploitables à moins que les acteurs dont elles émanent ne les aient formulées suivant un minimum de critères partagés —une langue commune en somme : c’est ce que l’on appelle l’interopérabilité.

    Une fois les données mutualisées et interopérables, on les valorisera en multipliant les questions utiles aux patients : comment, par exemple, optimiser ou personnaliser, grâce à ce thésaurus, telle séquence thérapeutique, tel parcours de santé, etc. Or, pour parvenir à cette valorisation, il convient que cette base de données multitypologiques avec sa cartographie et les méthodes utilisées soit dans le domaine public, ouverte à tous, de façon à ce que tous les acteurs de santé —médecins, chercheurs, industriels, biotechs, etc.—, ainsi que les patients, puissent y accéder aisément, et que notamment n’importe quelle start up puisse y appliquer des procédures d’intelligence artificielle pour proposer des améliorations de telle ou telle prise en charge. Ce sont là parmi les premiers objectifs qui ont présidé à la création, dans le champ de la cancérologie, de la Filière Intelligence Artificielle et Cancer.

     

    TLM : Comment ce projet a-t-il été mis en œuvre ?

    Marco Fiorini : La Filière Intelligence Artificielle et Cancer réunit au sein d’une même association les grands acteurs, publics et privés, du monde de la cancérologie. L’idée est donc de marier l’expertise publique et privée. C’est la première fois au monde que l’on crée une telle alliance au sein d’une même association avec un conseil d’administration réunissant toutes les parties. Le principe étant que les expertises respectives se conjuguent : l’expertise publique sur les perspectives de soins est unique, comme l’est l’expertise privée sur le développement de solutions innovantes.

     

    TLM : Quels sont, à plus long terme, les autres ambitions de la Filière ?

    Marco Fiorini : Il s’agit de faire en sorte que la France puisse créer, autour des cancers, l’une des plus grandes bases de données au monde, sinon la plus grande, pour devenir le lieu prioritaire de la recherche clinique mondiale. Et la France possède de puissants atouts pour y parvenir. D’abord, celui que lui confère notre système de soins fédéré autour du remboursement : les données médico-administratives détenues par l’Assurance maladie sont d’une cohérence et d’une exhaustivité uniques au monde. En outre, l’Institut national du cancer a proposé une concertation pour établir des critères communs à tous, ce qui constitue l’assise d’une interopérabilité entre tous les acteurs de France. Autre atout de taille, la nécessaire sécurisation des données patients ; à cet égard la France est très bien outillée et structurée grâce à la CNIL.

     

    TLM : Quels enjeux, en termes de souveraineté numérique, de la réussite de la FIAC ?

    Marco Fiorini : Pour être souverain, il faut ne pas subir les standards établis ailleurs sous peine de recevoir d’ailleurs des innovations packagées dans des outils ubiquitaires. La souveraineté peut être gagnée si l’on est le plus rapide, le premier à identifier les données stratégiques de demain, parce qu’on peut alors créer et imposer les solutions les plus pertinentes. Et c’est pourquoi il est important de s’adjoindre les praticiens, la recherche publique et les industries, chacun avec son expertise, dans un cadre conjoint public/privé. Il nous faut donc être en capacité de créer de futurs leaders car ce sont eux qui imposeront leurs standards. La France, grâce aux Plans Cancer, s’est acquis un statut d’excellence en oncologie mais le monde évolue à grande vitesse et les investissements, à l’échelle internationale, sont immenses. Outre le rôle incontestable que joue la donne financière, l’agilité des autorités réglementaires est fondamentale pour fluidifier l’écosystème dans son ensemble. Il faudra se fédérer au niveau national, puis européen pour jouer à l’échelle. Ce sera donc l’une des missions de cette filière : défragmenter, au-delà des clivages et des frontières.

    Propos recueillis par Bernard Maruani

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