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  • Quand les théories du complot visent la santé…

  • S’il est un domaine où les fake news se diffusent avec une rapidité prodigieuse, c’est bien celui de la santé. Et ce d’autant qu’Internet et les réseaux sociaux permettent la formation de communautés susceptibles de multiplier à l’infini les fausses informations. L’enjeu est tel que lors de ses vœux à la presse en janvier 2018, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et la Santé, a alerté sur le besoin de lutter contre ces dérives. Dans un contexte où se développe une réelle défiance à l’égard des experts, scientifiques, médicaux, elle a rappelé que « la bataille contre les fake news est essentielle ». Dans le même esprit, lors des vœux du Conseil national de l’Ordre des médecins, elle a invité ces derniers à « être les ambassadeurs de la science et du rationnel qui perd du terrain dans nos sociétés face à l’obscurantisme ». Car les fake news ne désignent pas une simple « erreur » de jugement mais une action volontaire et intentionnelle, réalisée avec un objectif précis. Tant et si bien que les fausses informations scientifiques deviennent le terrain de jeu des complotistes de tout bord.

    Au cœur de ces théories du complot, une promesse qui consiste à présenter un événement comme étant le produit de l’action d’un groupe occulte agissant dans l’ombre. Il ne s’agit pas ici d’une rumeur, mais plutôt du produit d’un système plus complexe sous-tendant l’existence d’un groupe caché dirigeant la planète. Et les sciences, par l’effort d’apprentissage qu’elles exigent, sont l’un des domaines les plus touchés. En effet, la science se construit sur la curiosité et le doute alors que la société attend des certitudes. Ensuite, la science et la démarche scientifique ne sont pas toujours comprises du grand public. La prudence des scientifiques peut être alors perçue comme une forme d’incertitude qui ouvre la porte au dénigrement. L’on assiste ainsi à une remise en cause générale de l’expertise scientifique sur un grand nombre de sujets.

     

    UN NIVEAU DE CONFIANCE DANS LA SCIENCE EN CHUTE…

    Enfin, la défiance face aux scientifiques s’explique par l’existence de groupes d’influence présents sur les médias sociaux où pseudo-experts et sites web activistes diffusent des messages allant à l’encontre des thèses scientifiques. Aussi « le niveau de confiance n'est pas le même qu'il y a 20 ans », reconnaît l'immunologue français Alain Fischer, et cette défiance vise « l'industrie pharmaceutique et les autorités sanitaires, dans un contexte de scandales et de mauvaise gestion de certaines crises ». Enfin, il ne faut pas oublier que « les réseaux sociaux sont devenus la principale source d'information pour nombre de leurs utilisateurs », souligne le spécialiste de la désinformation numérique, Walter Quattrociocchi. Tout cela fait le nid de la théorie du complot comme l’ont démontré deux chercheurs de l'Université de Chicago lors d’une étude sur «Les théories du complot dans le domaine médical aux États-Unis». Un sondage auprès de 1 351 personnes, confrontées à six « théories du complot » dans la santé, faisait ressortir des résultats frappants : 49% des sondés adhèrent à au moins une de ces thèses, et 18% à au moins trois d’entre elles.

     

    FAIRE PREUVE DE PEDAGOGIE ET PRIVILEGIER L’ECOUTE DU PATIENT

    Tout cela incite à la prudence. Le crédit accordé aux fake news s’avère dangereux, le patient qui y accorde de la valeur risquant de ne pas être diagnostiqué correctement. « Il pourrait y avoir une erreur de traitement. Ce serait une vraie perte de chances», rappelle le Dr Pierre-Marc Lallemand, cardiologue et membre du collectif de professionnels de santé FakeMed. L’enjeu se situe alors à plusieurs niveaux : l’Université doit former ses étudiants à la démarche scientifique et à l’esprit critique tout en contribuant à diffuser la connaissance scientifique établie auprès du public. Ensuite, il est du devoir du médecin de faire preuve de pédagogie auprès de sa patientèle. Comme le souligne Jean-François Delfraissy, président du Conseil consultatif français d'éthique (CCNE), il faut « revenir à une écoute plus grande et ne pas être seulement des techniciens. C'est ce qu'attend la population. » Cette défiance envers le discours médical s'explique aussi par une exigence nouvelle des patients qui veulent être associés aux décisions concernant leur santé. Enfin la presse doit apporter, à côté des faits, des connaissances ainsi qu’une information vérifiée et vérifiable. Deux éléments positifs confortent cette évolution : dans la foulée de la crise du Levothyrox, le gouvernement français a créé une mission pour améliorer l'information sur les médicaments et les médecins font évoluer leur fonction vers une plus grande co-construction des soins.

    Frédérique Guénot

     

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