> Retour à la présentation du Dossier 75
  • Les Particules Elementaires

  • Enjeu de santé publique, emblématique des logiques particulières d’une « discipline » de santé environnementale en émergence, la pollution
    atmosphérique peine à entrer dans la pratique des professionnels de santé, qui ne sont ni habitués ni formés à prendre en charge les signaux faibles et plurifactoriels qu’elle manifeste en règle générale dans le colloque singulier avec le patient.
    De tous les éléments avec lesquels l’homme est en contact, l’atmosphère est le seul auquel il est exposé en permanence et durant toute son existence. C’est aussi le milieu avec lequel il a les échanges les plus importants : chaque individu adulte respire environ 15 000 litres d’air par jour.
    Or l’air pur n’existe pas dans l’environnement. Il est toujours chargé, à des degrés divers, de multiples polluants gazeux et particulaires, issus de sources naturelles (volcans, feux de forêt, sols granitiques : radon, aérosols naturels, pollens…), mais surtout, depuis l’ère industrielle, de sources anthropiques, essentiellement liées aux combustions générées par l’industrie, l’habitat et les transports.
    Les effets sur la santé des expositions à ces « cocktails » de polluants, aussi divers qu’omniprésents, peuvent se manifester (et s’évaluer) à court comme à long terme. Les effets à long terme (plusieurs années) sont plus difficiles à étudier que les effets à court
    terme (quelques jours ou semaines), et cela pour plusieurs raisons : l’intensité des effets est faible, la caractérisation de l’exposition
    réelle des individus est délicate, constituée d’un mélange complexe de polluants à faibles teneurs, les effets apparaissent après un délai parfois très long et les maladies provoquées sont d'origine plurifactorielle et généralement non spécifiques d’un seul polluant. L’affirmation d’une relation de causalité demande donc de la prudence.
    Si les médias s’emparent volontiers des « pics » de pollution, les pouvoirs publics et les experts en santé environnementale sont plus préoccupés par les effets de l’accumulation, sur le long terme, de doses quotidiennes relativement faibles. La plupart des effets directement observables se caractérisent par de l’inconfort ou des maux divers : mauvaises odeurs, irritation des yeux et de la gorge, toux, maux de tête,
    nausées, etc. Mais d’autres effets (allergiques et cardio-respiratoires surtout) sont plus graves et peuvent conduire à consulter le médecin, à être hospitalisé, voire à déclencher le décès pour les personnes les plus fragiles.
    Si l’on peut considérer que la pollution atmosphérique présente un risque relativement faible au plan individuel, elle n’en
    constitue pas moins un enjeu de santé publique important au niveau populationnel, enjeu que mettent en évidence les études épidémiologiques et notamment les études écologiques temporelles. Le terme « écologique » signifie ici que l’exposition à la pollution atmosphérique est évaluée au niveau de l’ensemble de la population et non pas de chaque individu, ce qui confère à ces études une puissance statistique forte. Si les études toxicologiques permettent pour leur part de mieux comprendre les mécanismes d’action des polluants et de mettre en évidence des relations causales, elles ne prennent en compte que certains polluants indicateurs (et à des doses généralement nettement plus fortes) au sein des cocktails divers auxquels nous sommes exposés dans les multiples milieux que
    nous fréquentons quotidiennement.
    En milieu urbain, la pollution atmosphérique prend une dimension particulière du fait de l’accumulation des sources liées
    à la concentration des activités humaines et du nombre important de personnes exposées. Mais à côté de ces pollutions
    « extérieures », on redécouvre aujourd’hui l’existence de pollutions intérieures aux espaces clos. Contrairement aux idées reçues,
    le logement n’est pas le havre de paix qui nous protègerait des agressions extérieures. Une maison mal aérée à la campagne, où ronronne un bon feu de bois dans la cheminée, après une journée de bricolage intense à base de solvants, peut s’avérer plus polluée qu’un appartement
    en ville correctement ventilé. Enfin, les problèmes sanitaires potentiellement liés au réchauffement climatique sont de plus en plus pris en considération. On pointe notamment d’ores et déjà les migrations géographiques de maladies à vecteurs liés aux évolutions du climat.
    Les grands épisodes de pollution urbaine qui provoquaient des milliers de décès, comme à Londres dans les années 1950, n’ont dieu merci plus cours dans les villes européennes. Les politiques de lutte contre les pollutions atmosphériques ont porté en grande partie leurs fruits, en s’attaquant en priorité aux polluants majeurs (dioxyde de soufre, oxydes d’azote, monoxyde de carbone, particules fines, et ultrafines,
    ozone, composés organiques volatils) émis par les principales sources (industrie, chauffage, transports). Malgré des avancées notables, la pollution atmosphérique reste cependant un sujet de préoccupation important et des progrès doivent encore être obtenus pour la préservation de la santé.
    L’OMS estime que 24% de la charge mondiale de morbidité (années de vie en bonne santé perdues) et 23% de la charge
    mondiale de mortalité (mortalité prématurée) peuvent être attribués à des facteurs environnementaux. Le rapport GEO 41 du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) estime que plus de deux millions de personnes meurent prématurément chaque année dans le monde en raison de la pollution de l’air intérieur et extérieur.
    Les politiques de prévention sont confrontées dans ce domaine à la problématique particulière de relations entre concentrations et effets qui sont, pour de nombreux polluants, sans seuils en deçà desquels il y aurait innocuité, et à propos desquels la notion de causalité doit être maniée avec prudence. On utilise dans ce contexte des logiques d’optimisation de rapports entre coûts (des mesures de réduction des
    émissions) et bénéfices escomptés (liés à des coûts sanitaires évitables). A titre d’exemple, l’AFSSET (Agence française de Sécurité sanitaire environnementale et du travail) a estimé que le coût de traitement de l’asthme imputable à la pollution extérieure non biologique était compris entre 0,2 et 0,8 milliard d’euros en France pour l’année 2006.
    La France s’est dotée en 2004 d’un Plan national Santé Environnement (PNSE) dont la seconde mouture est en cours de finalisation dans la foulée du « Grenelle de l’Environnement ». Ce PNSE fait une large place aux milieux atmosphériques, intérieurs comme extérieurs. Il rappelle aussi, comme l’avait déjà fait un rapport du Haut-comité à la Santé publique de juin 2000, les carences de la formation
    initiale des professionnels de santé en matière de santé environnementale. Ce rapport, établi sous la coordination du Pr Gilles Brücker, déclarait: « La place de la santé publique dans la formation des futurs professionnels de la santé est faible. De surcroît, au sein même des enseignements de santé publique, l’initiation aux sciences de base de l’environnement est peu développée. Aussi, le jeune médecin ou pharmacien n’acquiert pas les repères qui lui permettront, dans son exercice quotidien, de suspecter derrière des troubles d’adaptation scolaire d’un enfant la répétition de crises d’asthme de l’adolescent, ou encore l’apparition d’un cancer de la vessie
    d’une femme non fumeuse, la possible action de polluants présents dans l’environnement général ou professionnel et, notamment, dans l’environnement aérien. Il ne pourra pas jouer pleinement son rôle de sentinelle que le système de santé confie explicitement à l’ensemble des professionnels (déclaration de maladies infectieuses, surveillance
    des cas de saturnisme…) ».
    LES POSSIBILITÉS DE DIAGNOSTIC ET DE PRESCRIPTION RESTENT RÉDUITES FACE À L’UNIVERSALITÉ DES POLLUTIONS DE L’AIR DE NOS VILLES
    Gageons que les formations continues sauront combler ce vide pour mieux répondre aux préoccupations et attentes des patients, de plus en plus sensibilisés et de mieux en mieux informés sur les risques de santé liés à l’environnement, notamment par la consultation d’internet. Mais
    comment faire rentrer ces considérations de santé publique mesurées à l’aune d’impacts sanitaires statistiquement significatifs au niveau populationnel dans la relation singulière du professionnel de santé à l’individu qu’il a en face de lui ?
    Rares sont les affections directement imputables à une source de pollution atmosphérique et un polluant spécifiques. C’est le cas par exemple des intoxications au monoxyde de carbone, dues à l’utilisation de chauffages d’appoint non raccordés à des systèmes d’évacuation des fumées, ou à des dysfonctionnements de ces derniers, et qui sont encore trop nombreuses, et bien souvent liées à des conditions
    de vie économiquement précaires. N’oublions pas non plus le tabagisme, aux effets et à l’impact sanitaire bien connus. La présence de fumeurs dans les lieux clos fait exploser les mesures des pollutions intérieures (CO, benzène, particules, notamment). Ceci explique l’impact considérable du tabagisme passif. Selon la Fédération française de cardiologie (communiqué de presse du 3 octobre 2006), le tabagisme
    passif est la cause de 5 000 décès par an en France, dont 3 000 d’origine cardio-vasculaire. Pour le reste, les polluants agissent principalement, à court terme, comme cofacteurs d’affections d’origine plurifactorielle. L’ozone et autres gaz irritants
    pourront favoriser, potentialiser ou déclencher des crises d’asthme, par exemple. Certaines catégories de populations seront plus sensibles à l’environnement atmosphérique. Il s’agit des enfants, au système respiratoire encore en développement, des femmes enceintes et foetus, des personnes âgées et des insuffisants respiratoires. Les personnes souffrant d’affections cardio-vasculaires sont également concernées, notamment par les pollutions de nature particulaire. D’une manière générale, des facteurs de susceptibilité individuelle tels que les antécédents personnels ou familiaux relatifs à l’asthme ou à certains états atopiques ou l’existence de pathologies préalables peuvent intervenir dans la variabilité des effets des pollutions atmosphériques selon les individus.
    Les associations de surveillance de la qualité de l’air publient les niveaux des indicateurs de qualité de l’air qui servent à engager, en cas de dépassement de valeurs limites fixées réglementairement pour la protection de la santé, des procédures publiques
    d’information et d’alerte, avec des conseils de restrictions d’activités sportives
    et scolaires notamment. Le Réseau national de Surveillance aérobiologique (RNSA) publie des bulletins d’alerte pollinique, outil important de prévention pour les personnes allergiques. Les médecins ne savent que trop rarement suivre et exploiter ces données. Mais les possibilités de diagnostic et de prescription médicale restent réduites face à la diversité et à l’universalité des pollutions de l’air de nos villes.
    Les choses sont sans doute différentes quand on s’attache à la prise en compte des milieux de vie. Milieux professionnels, bien sûr, avec leurs pollutions éventuelles spécifiques. Mais aussi et surtout les logements, dans lesquels les gens passent de l’ordre de 80% de leur temps et où donc ils puisent l’essentiel de leur air. Or ces lieux sont clos, et parfois excessivement calfeutrés, pour économiser l’énergie. Les polluants aériens venus de l’extérieur, auxquels s’ajoutent ceux issus des équipements et des activités dans le logement, s’y concentrent, souvent à des niveaux plus élevés qu’à l’extérieur, faute d’aération et ventilation suffisantes. Avec la chaleur et l’humidité excessives, des moisissures s’y développent, les acariens y prolifèrent, les allergènes des animaux domestiques y stagnent. Là, le lien
    des affections avec l’environnement peut être plus directement exploré. L’expérience des conseillers « médicaux » en environnement
    intérieur, qui sont formés pour faire des diagnostics simples dans les logements, doit être généralisée dans le cadre du Plan national Santé Environnement. Il y a là en effet un outil de prévention très efficace. Il suffit bien souvent d’une visite et de quelques prélèvements sur place
    pour découvrir par exemple qu’une allergie sera liée à la présence d’animaux domestiques, d’acariens ou moisissures proliférant dans une ambiance trop chaude et humide, pour traiter le problème en supprimant sa source.
    Dans ce contexte, l’approche clinique peut sans nul doute jouer un rôle préventif pour les effets sur la santé des pollutions atmosphériques.
    Les sondages d’opinion montrent que la qualité de l’air vient aux tout premiers rangs des préoccupations des Français
    à l’égard de l’environnement. Le médecin traitant ne peut ignorer les interrogations de son patient à ce propos. Quelques questions sur les modes de vie et l’environnement du patient, quelques observations simples peuvent contribuer parfois à certains diagnostics.
    La santé environnementale, quasiment absente dans les formations initiales, commence à entrer dans les centres d’intérêt des
    professions médicales. Il reste cependant encore fort à faire pour développer et diffuser les outils de formation et d’information
    nécessaires à une meilleure prise en compte des risques de santé environnementale, et notamment des pollutions atmosphériques, dans les pratiques médicales.

> Retour à la présentation du Dossier 75
  • Ce dossier est composé de 4 Articles