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  • Le stress, ce poison de l'environnement professionnel

  • Les entreprises, les administrations et les établissements publics et privés sont tenus réglementairement d’évaluer de façon annuelle les différents types de risques professionnels auxquels les travailleurs salariés sont exposés ainsi que les moyens mis en œuvre pour les prévenir. Ceux -ci sont répertoriés dans un dossier appelé Document unique.

    L’environnement de travail peut en effet présenter des dangers de nature physique, chimique, biologique, ainsi que ceux liés aux contraintes induites par certains gestes et postures. Leurs répercussions sur les conditions de travail retiennent de longue date l’attention des médecins du travail, des employeurs, et de l’ensemble des salariés et de leurs représentants, notamment au sein des comités d'hygiène et de sécurité des conditions de travail(CHSCT) chargés de veiller au respect des textes légaux pour la prévention de la santé au travail.

    Au plan individuel, la fréquence des visites médicales est renforcée («  surveillance médicale spéciale ») en faveur des salariés exposés à ces risques identifiés.

    Certaines catégories de personnels sont de ce fait correctement repérées et prises en charge en terme de prévention en milieu de travail. Les valeurs limites d’exposition à des agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques constituent notamment des repères « atmosphériques » de protection collective et/ou individuelle.

    Cependant, les médecins du travail constatent la prévalence actuelle d’un autre type de risques qui peut  concerner toutes les catégories de salariés en matière d’environnement professionnel. Il s'agit d'une notion souvent plus subtile a cerner, en rapport avec l'ambiance de travail.

    Pression du temps et de la concurrence internationale, délais imposés par la charge de travail, précarité des emplois, difficultés relationnelles ,isolement et manque de reconnaissance, ces éléments constituent des facteurs capables de perturber significativement la santé physique et mentale des salariés.

    Du mal-être aux conflits internes ou externes (clients, public, usagers, élèves,,,),du malaise à la souffrance au travail(dans certains cas elle correspond à de véritables situations de harcèlement, notion juridique définie par des critères précis),en passant par l’épuisement(« burn out »),la palette est large et regroupée sous le terme de « risques psychosociaux ».

    Les pouvoirs publics ont bien compris la nécessité de préserver un environnement favorable :le ministère du travail  a demandé à des spécialistes un rapport sur la problématique du stress au travail ,remis en mars 2008,devant les enjeux de santé publique.

    Certaines entreprises du secteur privé sont déjà innovantes en matière d’amélioration des conditions de travail et de services rendus à leurs personnels.

    La prévention des risques psychosociaux est désormais intégrée dans les plans annuels de prévention de certaines administrations telle que l'éducation Nationale

    A chaque secteur de proposer la mise en œuvre de mesures préventives adaptées à la spécificité de son activité,avec pour objectif de valoriser des bonnes pratiques.

    En effet ,les enjeux sont de taille car leur nature est à la fois d’ordre 

    -humain :répercussion sur l’état de santé des salariés(mais aussi des professions libérales et des chefs d’entreprise)

    Les enquêtes le confirment : le niveau de stress au travail augmente. Plus de 2/3 des salariés en France déclarent en souffrir à tous les échelons, y compris chez les cadres. De ce fait,il existe une incompréhension devant l'absence de reconnaissance de certaines pathologies liées au stress comme maladie professionnelle. Il est vrai que les critères ne sont pas simples à établir en raison de la multiplicité factorielle des situations à risque. De plus lorsqu' une maladie n'est pas répertoriée dans un tableau du Code de la sécurité sociale, seuls des cas sévères entrainant une IPP supérieur à 25% peuvent prétendre à l'imputabilité au service. Plus fréquemment certaines situations peuvent être rapportées à des accidents du travail si elle sont liées directement à des événements traumatisants dans le cadre strict des missions professionnelles. La réglementation devrait pouvoir évoluer. . .

    - économique: le coût en terme de santé est estimé entre 3 et 4% du PIB des pays européens d'après plusieurs rapports de l'Organisation Internationale du Travail et du Bureau International du Travail à Genève. Le phénomène concerne aussi plus largement les États-Unis ainsi que le Japon. Ainsi les « Samouraïs du travail »s'épuisent parfois jusqu'à la mort. Ce phénomène connu sous le nom de « karoshi »résulte d'un état de stress intense  et répété qui entraine un déséquilibre tel que ces victimes présentent une aplasie surrenalienne par suite d'une trop grande sollicitation des « hormones du stress »,détruisant ainsi les glandes surrénales.

    -juridique: situations de harcèlement, de violences demandes de réparations en constante augmentation dans les pays industrialisés.

    Au cours des visites médicales et des consultations à la demande des salariés, mais aussi des études de postes et des visites sur sites, les médecins du travail peuvent constater l'augmentation de l'incidence des situations de stress et du mal être au travail. Certains secteurs sont particulièrement touchés: services (plateformes téléphoniques, banques...), administrations et établissements en relation quotidienne avec le public ( transport, enseignement, poste, police...) hôpitaux et autres structures de soin, secteur industriel (activités faisant appel à des travailleurs intérimaires: BTP, sidérurgie...).

    Comment définir cette notion de stress en milieu professionnel? Il en existe plusieurs définitions, nous retiendrons celle de l'Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail (2002) : "un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement, et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face". Les effets du stress ne sont pas uniquement psychologiques, mais peuvent également affecter la santé physique, le bien-être, et la qualité de la réalisation des missions des personnels qui y sont soumis.

    La connaissance scientifique des effets du stress sur la santé s’est développée depuis le début du XXème siècle.

    En 1936, le Professeur Hans Selye de Montréal, publiait sa première note sur la réaction d’alarme de l’organisme en situation de stress aigu. En 1950, il a exposé la notion de « syndrome général d’adaptation » avec ses aspects biochimiques et son mécanisme endocrinien (les "hormones du stress").

    Les connaissances se sont peu à peu précisées (elles continuent d’évoluer actuellement…) pour démontrer les effets délétères du stress répété ou prolongé sur l’être humain.

    La réaction à un agent stresseur de l’environnement entraine une adaptation de l’organisme en trois phases :

    - alerte ou urgence : en situation de stress aigu, l’organisme réagit pour l’action immédiate

    - résistance : si l’exposition au stresseur se prolonge

    - épuisement : lorsque les capacités de l’organisme à s’adapter sont dépassées

    L’agent stresseur peut être de toute nature : physique (bruit, température, rayonnements…), chimique (agents toxiques), ou psychologique (pression, tension, conflits, agressivité, incivilités, objectifs de travail peu ou mal définis, etc…).

    En bref, la réaction de stress définie par Hans Selye (étymologie : issu du latin : stringere, serrer) consiste en un mécanisme d’adaptation face à des agents stresseurs présents dans l’environnement, par une réponse non spécifique que donne notre corps à toute demande qui lui est faite.

    Lorsque les situations de stress se prolongent, elles sont génératrices de symptômes, voire de pathologies ( ou de leur aggravation) : troubles du sommeil, troubles anxieux, dépression, fatigue chronique, épuisement , signes cardiovasculaires, troubles digestifs, cutanés, métaboliques, troubles musculosquelettiques, baisse de l'immunité, addictions, conduites à risque, agressivité, malaises sur le lieu de travail, voire suicide...

    Notre organisme est le siège de réactions biologiques, à la fois nerveuses et hormonales, par l'intermédiaire de l'hypothalamus qui va agir sur les glandes surrénales selon deux types de situations: stress aigu ou prolongé, pour libérer dans l'organisme les « hormones du stress ». Le schéma simplifié suivant reprend ces mécanismes, qui paraissent peu adaptés aux agents stresseurs actuels plus psychologiques que physiques.

    Si l’on ne peut pas parler de bon ou mauvais stress (il n’existe pas de seuil, puisque chaque individu et chaque situation sont particuliers par nature), il est bien évident qu’on ne pourra supprimer l’ensemble des sources de stress. Par exemple, lorsqu’un "pic" dans l’activité d’un service existe, cela peut nécessiter la mobilisation de nos capacités de façon plus intense sur une période donnée. C’est aussi le "trac" du conférencier qui mobilise son énergie, avant et pendant une intervention importante.

    Ces situations représentent un facteur de stress aigu, c’est-à-dire, limité dans le temps, et ne doivent pas constituer un mode de fonctionnement habituel qui entrainerait des effets répétés pouvant être péjoratifs sur la santé.

    Bien entendu, certains salariés sont particulièrement sensibles à ces effets . Les médecins du travail en relation avec les médecins traitants sont alors amenés à préconiser des prises en charge psychothérapiques adaptées ainsi que des conseils d'hygiène de vie, de gestion individuelle du stress et de relaxation.

    Alors comment les médecins du travail et autres préventeurs peuvent ils repérer dans l'environnement professionnel les signes évocateurs d'une ambiance « toxique » par le stress?

    Nous disposons de deux types d'indicateurs qui peuvent être alors modifiés:

    - indicateurs de santé : taux de fréquence et de gravité des accidents de service, maladies professionnelles (troubles musculo-squelettiques ++), arrêts de travail répétés pouvant mener à un congé grave maladie, augmentation des consultations spontanées auprès des personnels médicaux et dans les infirmeries des établissements et des entreprises.

    - indicateurs de fonctionnement des établissements et des services : conflits pouvant aller jusqu’à des situations de "harcèlement", violences internes ou externes, climat de travail dégradé, augmentation des demandes de mutations ( « turn over »).

    Les causes à l'origine de la dégradation du climat de travail ou agents stresseurs se situent à plusieurs niveaux:

    - l’organisation du travail : charge de travail inadaptée, objectifs mal définis, encadrement mal adapté, tous éléments pouvant être source de conflits ou d’agressivité.

    - les conditions de travail : exposition à des risques physiques, chimiques, biologiques, sans matériels ni équipements de protection individuelle adaptés, ou encore une ergonomie des postes à revoir. On se situe bien dans le champ du Document unique (répertorier les risques et prévenir…)

    - la communication : incertitudes, changements, mauvaise communication sur les objectifs des services, des établissements, insuffisance des échanges sur l’activité professionnelle

    - les facteurs subjectifs : pression, tensions, perception d’un manque de soutien social ou symbolique, de reconnaissance, sentiment d’isolement, d’individualisme, relations conflictuelles de nature interne ou externe.

    Ces facteurs peuvent entrainer un constat péjoratif sur soi-même, surtout, sur des personnels fragilisés en terme de santé (pathologies préexistantes, handicaps…).ainsi que les travailleurs temporaires, les femmes enceintes, les salariés les plus âgés… mais aussi les plus jeunes.

    Alors comment agir pour la prévention collective du malaise au travail?

    - Promouvoir le rôle des CHSCT en matière de risques psychosociaux est fondamental, cela permet de rompre l'isolement des salariés exposés à des situations de stress.

    Rappelons ici que la principale source de déclaration des maladies professionnelles est représentée par les troubles musculo-squelettiques selon la CNAM-TS. Or, ces affections sont provoquées par des gestes et postures répétées et mal adaptées (facteurs de risque biomécanique) mais aussi par des facteurs organisationnels et psychosociaux : une ambiance de stress au travail favorisera l’apparition de ces troubles. Rechutes, aggravations d'accidents et de maladies professionnelles représentent des situations couramment prises en charge par les généralistes et les médecins du travail.

    Le rôle des différents facteurs favorisant le stress a été démontré dans plusieurs études : notre attention est mobilisée par la maitrise des facteurs de pénibilité, de la prise en compte du vieillissement de la population active et de l’altération des capacités des travailleurs handicapés.

    - Ainsi, en sus des matériels, des équipements de protection individuelle bien adaptés, d’une bonne ergonomie des postes, il convient également de sensibiliser l’encadrement et l’ensemble des personnels à la prévention des risques psychosociaux, d'où la nécessité d'une formation des managers sur la gestion du stress des équipes.

    - Améliorer la communication interne, afin d’éviter l’installation d’une ambiance de travail inadaptée : objectifs et projets clairement définis, disponibilité de l’encadrement, information sur les risques professionnels

    - favoriser l’accès à la formation continue dans un contexte professionnel qui évolue sans arrêt, imposant de nouvelles contraintes.

    Ces propositions visent à définir des bonnes pratiques dans les relations humaines    au travail. Elles peuvent être évaluées grâce aux indicateurs de santé et de fonctionnement déjà évoqués.

    Enfin, permettre aux salariés d'échanger sur leurs difficultés professionnelles, au niveau managérial savoir gérer le stress et encourager son équipe, voilà des pistes qui nécessitent une évolution des mentalités et une vision culturelle du travail qui ne passe plus par la souffrance. Ainsi, dans les pays d'Europe du Nord, la notion de plaisir au travail est valorisée. C'est une piste a explorer même (et surtout?) dans un contexte économique difficile. . .

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