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  • L’homme malade et le faiseur de miracles

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    Dans l’exercice quotidien de la médecine générale, tout concourt au sacré.

    • La nature même de la demande médicale, très intime, souvent complexe, la plupart du temps sans cause intrinsèque reconnue ou annoncée.

    • Le lieu de la consultation, cabinet avec son intimité sonore et visuelle (porte épaisse, vitres opaques): lieu d’échanges sous le « secret », avec ses instruments bizarres qui permettent d’entretenir le rituel et d’accéder à « l’invisible ».

    • Le médecin, personnage énigmatique, à la tenue vestimentaire choisie en fonction de ce qu’il veut laisser transparaître de son image (jean, nœud papillon ou blouse blanche col relevé, n’auront bien entendu pas le même pouvoir, la même signification). C’est celui à qui l’on se confie, qui nous touche, qui voit l’intérieur (au propre comme au figuré), et qui est affublé de beaucoup plus de pouvoir (souvent auto-entretenu) qu’il n’en possède réellement.

    • Les représentations : l’importance donnée par nos patients et/ou leur entourage, aux influences extérieures sur la genèse de leurs troubles : changement de saison ;  coup de froid, pollution ; alimentation, abus de toute sorte, négligence… Mais surtout surnaturelles, car… il n’est pas « normal »  d’être malade : - « C’est pas normal, docteur, le “sort” s’acharne sur moi… »; - « ça m’est tombé dessus! »; « Aidez-moi à sortir de là », voire « Sauvez-moi, docteur! ».

    La maladie déborde largement le biologique et celui qui lui donnera sens (ou confortera celui suspecté) aidera, voire permettra de la traiter.

    • Les « rituels », en particulier celui de la prise de tension, quasi obligatoire, au risque sinon de passer pour un mauvais médecin.

    • Les explorations instrumentales et biologiques qui nous plongent au plus profond de l’intimité et dont nous avons seuls les clés (mais on pourrait dire la même chose de l’examen des pouls et des urines faites par les médecins tibétains !).

    • Le médicament : dans la plupart des cas, il aidera à soigner, mais c’est le médecin qui aidera à guérir: quelle serait notre raison d’être sans cela ? Parfois (assez souvent), ce médicament prend l’aspect d’une « icône », le patient restant attaché non seulement au contexte qui en a généré la prescription, mais à celui qui l’a prescrit initialement, et la prise deviendra… communion; l’avoir près de soi suffira déjà à soulager. La dose de compassion qu’aura mis le médecin dans ses soins n’y est pas pour rien… et c’est ainsi qu’il n’est pas rare de s’entendre déclarer : « Je crois en vous, docteur »: notre parole devient sacrée, elle est suivie à la lettre.

    Quel recul, quelle objectivité pour le patient ? N’est-il pas obligé, dans la grande majorité des cas, d’avoir une confiance « aveugle », implicite, quasi religieuse en son thérapeute? Pourquoi les médecines dites parallèles sont-elles autant à la mode ? N’est-ce pas justement par leur côté magico-religieux, irrationnel pour les non-adeptes? Un esprit scientifique ne peut s’en satisfaire qu’en leur donnant inconsciemment un caractère sacré.

    Les mots barbares (pour le néophyte) que nous employons agissent comme autant d’incantations nécessaires à la résolution des problèmes. La prescription dactylographiée fait perdre le côté mystérieux de l’écriture manuscrite classiquement illisible (volontairement entretenue?) des médecins. (La prescription en Dci avec ses noms complexes vient heureusement sauver la mise…).

    Bien sûr, d’autres médecines ne laissent aucun doute quant à leur lien avec le sacré et/ou le religieux, en particulier toutes les médecines traditionnelles. Mais nous faisons tous le même travail, celui de passeur, de guérisseur, de confident, respectueux du corps, de l’âme et des interdits éthiques et religieux. Les récents débats sur le clonage thérapeutique et sur l’embryon humain sont là pour nous le rappeler. À l’éthique utilitariste qui contribue à le justifier vient s’opposer l’éthique du bien avec ses ramifications religieuses exprimées ou inconsciemment sous-jacentes qui veulent que le corps soit « sacré ». Mais il y a souvent confusion des esprits entre clonage thérapeutique et clonage reproductif. Le médecin se doit de connaître ou d’appréhender sans jugement les croyances de ses patients.

    Au fait, n’oubliez pas de m’appeler « Docteur », si vous m’appelez « Monsieur », je risque de perdre la moitié de mon pouvoir… J’ai prêté serment, ne l’oubliez jamais.

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