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  • Privilégier le vieillissement réussi

  • Le concept d’anti-âge nous est toujours apparu comme une aberration et comme un leur. Comment peut-on occulter l’inéluctable ? Qui peut  prétendre arrêter, ou même ralentir, le temps qui passe inexorablement ? A vouloir nier le processus de vieillissement, on arrive, et c’est probablement l’objectif, à nier l’existence même de la mort. Pour preuve, on ne peut plus mourir tout simplement de vieillesse, on meut obligatoirement d’une maladie identifiée.

    Par contre, le concept de vieillissement réussi nous semble, lui, tout à fait judicieux. Il allie sagesse et pondération, et nous tâcherons plus loin, d’en aborder les principaux aspects.

    Le contraste entre ces deux entités est flagrant si vous surfez sur le net :

    • tapez « anti-âge », vous accédez à des sites promotionnels avec photos, où les grands pères ressemblent tous à Georges Clooney et les mamies à Catherine Deneuve. Vous pouvez aussi y commander (pour pas cher, les grosses dépenses viendrons plus tard), des petits guides comme : « la nouvelle ménopause, mémoire totale, victoire sur l’arthrose, dites non au cholestérol, plus jamais fatigué, … »
    • tapez « vieillissement réussi » et vous tombez sur des publications sérieuses, documentées, avec bibliographie conséquente.

    Le choix nous parait évident : nous optons pour le vieillissement réussi.

    Nous aborderons donc successivement ce qui nous semble être utile à la pratique de la médecine générale, à savoir :

    • quelques chiffres
    • la définition du vieillissement réussi
    • le « profil » du vieillissement réussi
    • les actions à mener sur l’environnement et l’hygiène de vie
    • les dépistages et les traitements à proposer
    • les traitements à relativiser ou à oublier
    • et un mot de conclusion

    Quelques chiffres

    L’espérance de vie à la naissance s’est considérablement et régulièrement accrue en France, en particulier depuis une trentaine d’années. Elle est aujourd’hui de 84 ans pour les femmes et de 76 ans pour les hommes.

    Les études montrent que l’on vit plus longtemps et en meilleur santé, et surtout que le taux d’incapacité et d’institutionnalisation diminuent et continueront à décroitre dans l’avenir.

    Ainsi, et c’est ce qui est le plus réjouissant, les années de vie gagnées, à 60 ans, le sont très largement sans incapacité sévère.

    Définition du vieillissement réussi

    Le vieillissement réussi a été décrit par Rowe et Khan en 1987 (1) en opposition au vieillissement pathologique, avec maladie et/ou handicap, et au vieillissement « normal » ou « usuel » sans maladie et sans handicap, mais avec régression des capacités fonctionnelles

    Ce vieillissement réussi concerne, selon les études, 12 à 33 % des sujets. Plus intéressant, certains sujets âgés, n’ayant pas initialement ce type de vieillissement, acquièrent ultérieurement ce niveau de fonctionnement, ce qui permet de parler de plasticité du vieillissement.

    L’étude ICARE (2), étude prospective française, menée dans la région de Toulouse, s’appuyant sur des études antérieures [ALAMEDA (3), MANITOBA (4), Mac Arthur (5)], a permis d’identifier des facteurs cliniques ou para cliniques prédictifs de vieillissement réussi, qui nous permettent de tracer le profil du sujet âgé qui vieilli avec succès.

    Le profil du vieillissement réussi

    • refuser le maternage
    • ne pas être excessivement optimiste
    • être soucieux de sa santé
    • consulter régulièrement, mais sans excès, son médecin (traitant)
    • et (de ce fait) consommer quelques médicaments
    • être exigeant vis-à-vis de soi même
    • avoir la capacité de s’adapter (résilience)
    • s’engager dans des activités aux contacts sociaux importants
    • poursuivre (ou entreprendre) des activités intellectuelles et physiques
    • avoir un comportement androgyne (ne pas se figer dans les activités habituellement réservées à sons sexe)

    Nous sommes ainsi conduits à proposer des actions de prévention multidimensionnelles, dont l’objectif est de retarder la perte des réserves fonctionnelles et l’entrée dans la fragilité. Ces actions sont bien du ressort du médecin généraliste et peuvent se décliner en 3 sous chapitres :

    • les actions à mener sur l’environnement et l’hygiène de vie
    • les dépistages et les traitements à proposer
    • les traitements à relativiser ou à oublier

    Les actions à mener sur l’environnement et l’hygiène de vie

    On peut partir du concept, certainement discutable, mais tout de même bien intéressant, qui dit que pour être en bonne santé globale, tout individu doit s’appuyer sur 4 piliers :

    1. la vie affective
    2. la vie sociale
    3. l’argent
    4. la santé

    Ces 4 piliers sont indispensables à un vieillissement réussi, et doivent être présents à l’esprit d’un médecin qui parle environnement et hygiène de vie avec ses patients.

                La vie affective ne doit pas être masquée, elle est indispensable, elle ne peut être cantonnée au passé, elle fait partie du présent et de l’avenir. Qu’il nous soit permis de citer ici la phrase de  Philip ROTH dans la Bête qui meurt (Gallimard) : « la seule chose qu’on comprenne chez les vieux, quand on ne l’est pas soi même, c’est qu’ils on été marqués par leur temps. Mais comme on ne comprend que ça, on les fige dans leur temps, ce qui revient à ne rien comprendre du tout. Pour ceux qui n’ont pas encore atteint la vieillesse, elle signifie qu’on a été. Seulement la vieillesse, ça veut aussi dire que malgré son avoir été, ou en plus de lui, en prime de lui, on est encore. L’avoir été est vivace. Mais en même temps, on est toujours là, et on est habité par cet être-là dans sa plénitude, tout autant que par l’avoir été, dans sa passéitude. Figure-toi la vieillesse en ces termes : tu risque ta vie au quotidien »

                La vie sociale doit être maintenue, encouragée, et renforcée. Elle peut représenter le garde fou des pertes affectives inévitables.

                L’argent : le médecin doit savoir orienter ses patients vers les services sociaux et être capable de remplir efficacement les différents formulaires administratifs qui lui seront demandés.

                La santé : dans le domaine de l’environnement  et de l’hygiène de vie, il faut toujours tenter d’obtenir l’arrêt du tabac et la modération de la consommation d’alcool, et il convient de parler « exercice physique » et « alimentation »

                            Exercice physique : son maintien ou sa reprise, est fortement souhaitable et à conseiller, même tardivement. De plus, après un épisode aigu, après une chute, une kinésithérapie précoce et adaptée est à prescrire.

                            Alimentation : elle doit être équilibrée, variée, riche en fruits et légumes, source alimentaire majeure de vitamines et de minéraux antioxydants, riche en protéines pour lutter contre la sarcopénie, et riche en produits laitiers pour prévenir l’ostéoporose.

    Les dépistages et les traitements à proposer

    Le dépistage doit, bien évidement, se concentrer sur les cancers et les facteurs de risque cardio-vasculaires.

    Le dépistage doit aussi concerner : l’ostéoporose surtout chez les femmes à risque, la dépression, les troubles visuels et auditifs, l’état buccodentaire et les troubles cognitifs.

    Chacun de ces dépistages débouche bien évidement sur une prise en charge et un traitement, volontiers non médicamenteux, mais souvent médicamenteux. Citons les principaux : les statines, les antihypertenseurs, le calcium et la vitamine D, les antidépresseurs, sans oublier les vaccinations (grippe, pneumococcie, tétanos)

     

    Les traitements à relativiser ou à oublier :

    • Le THS : après avoir été porté aux nues dans les années 90, l’enthousiasme est retombé après la parution de l’étude WHI en 2003. Ses indication restent donc aujourd’hui limitées aux femmes souffrant de troubles climatérique avec un retentissement important sur la qualité de vie, à la dose minimale efficace et pour une durée la plus courte possible.
    • La DHEA : le rapport bénéfice/risque apparait actuellement tout à fait défavorable. Les risques d’une baisse du HDL cholestérol et de cancers hormono-dépendants ne sont pas contrebalancés par un effet clinique bénéfique démontré.
    • La mélatonine : elle a été présentée comme pouvant ralentir le vieillissement. Elle est interdite en France. Les seules vraies preuves d’efficacité d’une supplémentation en mélatonine concernent l’amélioration des troubles du sommeil dus au décalage horaire et seulement dans 30% des cas, la belle affaire !

    Conclusion : une accessible étoile.

    Contrairement au concept d’anti-âge, celui du vieillissement réussi nous apparait comme une accessible étoile. Le médecin doit tenter, de façon précoce, d’y accompagner ses patients en s’inscrivant dans une démarche multidimensionnelle, incluant le dépistage des pathologies, l’évitement des facteurs de risque, le maintien d’une activité physique et intellectuelle, les conseils pour une hygiène alimentaire et bien souvent, la prescription de quelques médicaments au rapport bénéfice/risque sérieusement démontré.

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