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  • La médecine de demain sera numérique…

  • ANTIDOTE AU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION ET À LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE

    La médecine de demain

    sera numérique…

     

    Totem des gouvernements en place depuis 2016, l’accélération du numérique en santé vise à renforcer le volet préventif d’une médecine jugée par trop fondée sur le curatif, avec pour objectif d’offrir à chaque usager du système de soin une prise en charge la plus personnalisée possible en valorisant notamment l’intelligence artificielle comme source d’outils prédictifs…

    L’avènement du numérique en santé est un enjeu national. En 2021, la stratégie d'accélération « Santé numérique » a été lancée par le gouvernement, dans le cadre du plan France 2030. L’objectif est de favoriser l’émergence d’outils et de solutions innovantes de santé numérique pour faire face aux défis sanitaires actuels et croissants, comme les maladies chroniques, le vieillissement de la population ou encore la sous-densification médicale. Un budget de 650 millions d’euros est prévu à cet effet… Mais pour quelle médecine ? Trois types déjà présentes, devraient se renforcer dans les années à venir : la médecine prédictive, celle de précision —aussi appelée personnalisée—, et, enfin, la médecine virtuelle. L’objectif commun est d’adapter au mieux la prise en charge en fonction du patient, aussi bien d’un point de vue curatif que préventif.

    L’IA pour prédire l’apparition d’un cancer du sein… Le premier type de médecine, dite prédictive, consiste à prévenir le risque de maladie et à dépister plus en amont. Pour cela, les professionnels de santé s’appuieront sur tout un ensemble de données —cliniques, environnementales et génétiques— analysées par l'intelligence artificielle. Dans une étude publiée dans la revue Radiology, des chercheurs ont par exemple réussi à mettre au point un outil d’intelligence artificielle capable de prédire l’apparition d’un cancer du sein cinq ans avant la détection ou la manifestation des premiers symptômes. Bien sûr, dans ce volet, certaines questions —comme la sécurisation des données, la discrimination génétique, l’éthique, etc.— et normes restent à définir. Le deuxième type de médecine, dite de précision ou personnalisée, pourrait bien servir la précédente si elle est utilisée à des fins préventives. Mais, d’un point de vue curatif tout d’abord, cette médecine vise à person­naliser la prise en charge et les traitements aux caractéristiques de chaque patient. Pour cela, la technique la plus utilisée est le séquençage du génome qui permet d’identifier des mutations génétiques spécifiques en lien avec certaines maladies. En cas de cancer, les médecins peuvent par exemple décider du traitement en fonction des gènes du patient et du profil génétique et moléculaire du cancer. Mais les informations médicales traditionnelles sont également prises en compte : les antécédents médicaux, l’hygiène et le rythme de vie, l’environnement du patient, les données de diagnostic. Autres effets positifs de cette médecine : l’identification des mutations génétiques permet d’anticiper la réponse d’un patient au traitement ainsi que les effets secondaires nuisibles dont il pourrait souffrir. Ainsi défini de manière ultrapersonnalisée, les chances de réussite du traitement sont plus importantes.

    Des « jumeaux numériques ». Et il ne s’agit pas d’une médecine du futur. En octobre dernier, le laboratoire Servier s’est associé à Owkin, une entreprise de biotechnologie spécialisée dans l’application de l’intelligence artificielle. Cette union vise à mettre au point de nouvelles thérapies plus ciblées (dans divers domaines thérapeutiques mais surtout en oncologie), mais aussi des médicaments et des outils de diagnostic basés sur l’intelligence artificielle. « Cette alliance prouve une nouvelle fois la volonté des acteurs pharmaceutiques d’innover et de faire progresser la médecine de précision grâce à l’intelligence artificielle, indique Thomas Clozel, co-fondateur et PDG d’Owkin, dans un communiqué. Nos outils de pointe peuvent aider nos partenaires à obtenir de meilleures conclusions dans leur parcours de R&D et de meilleurs résultats pour les patients atteints de cancer et d’autres maladies graves. » Autre outil de la médecine prédictive en développement : les jumeaux numériques, qui sont une sorte de modélisation virtuelle multi-échelles sur-mesure du corps humain. Ceux-ci pourraient, selon l’exemple donné par l’Inserm, permettre aux praticiens d’ajuster les réglages d’un stimulateur cardiaque aux données du patient avant son implantation in vivo. « Nous pourrions alors observer les réponses du cœur virtuel et corriger les paramètres du stimulateur cardiaque en amont, pour minimiser les ajustements qui devront être réalisés sur le patient après implantation », indique Lotfi Senhadji, directeur du Laboratoire de traitement du signal et de l’image de l’université de Rennes-1. À terme, ces clones génétiques pourraient également prédire le risque de maladie de leur double humain. Une technologie toujours plus personnalisée mais pour qui, là aussi, des questions éthiques et réglementaires restent à définir.

    Consultation en ligne, télémédecine, réalité virtuelle (RV), réalité augmentée (RA)... La médecine virtuelle, dernier type de médecine de la santé numérique, existe déjà mais va s’accélérer dans les années et les décennies à venir. Pour l’instant, on en distingue deux principaux usages : le soin et la formation. Outre les téléconsultations et la télémédecine, la RV est déjà un outil pour la rééducation des patients, la gestion de l’anxiété ou encore de la douleur. Côté formation, la RV et la RA sont utilisées par les praticiens pour s’entraîner via, par exemple, des modélisations 3D avant une réelle intervention chirurgicale. Et, depuis quelques années, la réalité augmentée assiste même le chirurgien jusqu’au bloc opératoire ! En 2020, la première chirurgie de la colonne vertébrale guidée par un casque de réalité augmentée a eu lieu à l’hôpital Johns Hopkins à Baltimore, dans le Maryland, aux États-Unis. La médecine de demain sera bien numérique.

    Diane Cacciarella

     

    Les applications de santé et de bien-être

     

    Plus de 350 000 applications santé étaient disponibles sur les différents stores en ligne en 2020, selon la Haute Autorité de santé (HAS). Malgré l’abondance, l’usage est loin d’être massif. Les personnes âgées constituent la partie de la population la plus éloignée du numérique. En effet, 37% des plus de 70 ans n’étaient pas internautes en 2022, contre seulement 4% chez les 60-69 ans, selon une étude du Centre de recherche pour l’observation et les conditions de vie (CRÉDOC). À l’opposé, plus surprenant, un jeune de moins de 25 ans sur cinq est déconnecté, selon cette même étude. Mais l’âge n’est pas le seul critère, ni le plus important. Les déterminants socio-économiques et culturels, ainsi que le niveau d’études comptent davantage. Les personnes qui n’ont pas de diplômes, par exemple, sont 1,5 fois plus souvent éloignées du numérique.

    Un atout de taille dans la surveillance des maladies chroniques. Dans ce contexte, l’essor de l’usage des applications de santé ne va pas de soi et ce d’autant moins que les professionnels de santé ne l'encouragent pas toujours. En 2016, 40% des médecins admettaient que les applis étaient probablement importantes, mais seuls 8% d’entre eux recommandaient une application santé à leurs patients, selon le document « Evaluation des applications mobiles santé : état des lieux », publié par le Club digital Santé. Pourtant, dans le cadre du suivi médical, notamment de personnes atteintes de maladies chroniques, les données enregistrées par les applications ou les dispositifs connectés pourraient aider à la surveillance.

    Trois défis à relever : prise de conscience, accès et confiance. Dans son « Évaluation des Applications dans le champ de la santé mobile (mHealth) », la HAS indique que la santé mobile recouvre, d’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « les pratiques médicales et de santé publique reposant sur des dispositifs mobiles tels que téléphones portables, systèmes de surveillance des patients, assistants numériques personnels et autres appareils sans fil ». Selon l’instance, trois défis sont à relever : la prise de conscience (que les solutions de santé numérique font partie de la gestion quotidienne des problèmes de santé et de soins), l’accès (que les utilisateurs identifient mieux, parmi l’offre très large, les applications qui peuvent leur être utiles) et la confiance (c’est-à-dire le niveau de qualité, d’efficacité, de confidentialité des données ou encore de sécurité).

    D.C.

     

     

    Des services numériques de plus en plus utilisés

     

    90% des Français ont déjà eu recours à au moins un outil ou un service numérique en santé, selon l’étude « Le numérique en santé : ce qu’en pensent les Français », publiée par le ministère du travail, de la Santé et des Solidarités en février dernier. Ces outils ou ces services numériques regroupent à la fois la prise de rendez-vous sur internet, l’utilisation des services en ligne de l’Assurance maladie ou de la mutuelle, mais aussi les objets connectés ou encore la téléconsultation. En santé comme dans d’autres domaines donc, l'usage des outils ou des services numériques augmente. Ainsi, au cours des années 2020 à 2023, cette croissance est visible : 78% des Français ont eu recours à un service de prise de rendez-vous en ligne (contre 70% en 2020), 56% ont utilisé les services en ligne de l’Assurance maladie ou de mutuelle (48% en 2020) et 39% ont échangé avec un médecin ou un professionnel de santé par e-mail ou sms (32% en 2020). La plupart des Français jugent cette évolution positive. 74% considèrent que le développement du numérique aura un effet positif sur la coordination entre les différents praticiens dans le suivi médical des patients et 72% estiment que cela rendra les démarches administratives plus fluides.

    « Sans Internet, on est coincés ! » Malgré un usage en hausse, il reste des craintes, sur la qualité des soins, des diagnostics ou la mise à l’écart de certaines populations. « Pour les personnes âgées, pour les anciennes générations, ma mère par exemple, sur Qare, ça va être compliqué pour elle, c’est compliqué quand on ne sait pas se servir des applis » ou encore « Sans internet on est coincé. Il y a plein de gens qui n’ont pas d’adresse mail. Ils ne peuvent plus rien faire. », peut-on lire dans l’étude qui cite, anonymement, ses participants. Autre inquiétude : la sécurité des données de santé. 86% des Français les considèrent comme particulièrement sensibles et 78% craignent un usage commercial de celles-ci. Quant à l’aspect numérique des données de santé —comptes rendus, examens, imagerie, etc.— , la plupart des interrogés les conservent mais les plus jeunes ne les classent pas, à la différence de leurs aînés.

    « Mon Espace Santé, c’est un allié ! » En ce qui concerne Mon espace santé (MES), 82% des interrogés connaissent ce coffre-fort numérique des données de santé mais seuls 50% annoncent l’avoir déjà utilisé. Dans le détail, plus de la moitié des 50-64 ans (53%) et des 65 ans et plus (56%) s’en sont déjà servis, contre 48% chez les 35-49 ans et les 25-34 ans et 38% chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans. Néanmoins, 35% des Français déclarent avoir activé leur profil mais, selon l’indicateur d’usage réel MES de l’Assurance maladie, ils ne sont en réalité que 15% à l’avoir activé. MES semble séduire, du moins chez ses utilisateurs : 91% des personnes ayant activé leur profil seraient d’accord pour le conseiller à un proche. « J’ai trois enfants d’âges différents, et j’ai les rappels, j’ai les dents. Ça [MES] allège la charge mentale. C’est un allié. Ça évite les post-it partout. Et puis ça évite de perdre les infos », explique anonymement une utilisatrice dans l’étude. MES se généralisera certainement dans les années à venir, au fur et à mesure que les craintes se dissiperont. En effet, déjà 75% des Français font confiance à MES pour garantir la sécurité des données personnelles qui y sont stockées. Enfin, et peut-être même surtout, car cela montre le rôle clé des professionnels de santé : parmi les non-utilisateurs, 57% sont prêts à s’inscrire si leur médecin le leur recommande…

    D.C.

     

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