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  • Les contours du risque en Médecine générale

  • La récente publication du rapport d’activité du Sou médical - Groupe MACSF (principal assureur français des professionnels de santé) pour l’année 2009(1) permet de disposer de données fiables relatives à la mise en cause des praticiens. Divers bruits circulent : les médecins sont de plus en plus attaqués, les plaintes pénales de plus en plus fréquentes, certaines spécialités sont devenues inassurables…

    Mais qu’en est-il en réalité ?

    Nous allons utiliser les déclarations d’accident adressées par les praticiens à cet assureur, qui représentent aujourd’hui à peu près les cas où leur responsabilité est mise en cause puisque les déclarations « de prudence » sont devenues très exceptionnelles. Ceci ne représente qu’une partie des accidents qui se produisent dans l’exercice quotidien et ne peut être utilisé comme un baromètre du risque mais comme un indicateur de la mise en cause de la responsabilité des professionnels de santé. Nous pensons qu’un grand nombre des accidents médicaux sont acceptés par la victime, sans aucunement pouvoir en évaluer la proportion par rapport à l’ensemble de ceux qui se produisent, et que, comme la tendance générale est à l’accroissement de l’exigence des « consommateurs » à l’égard des professionnels, cette proportion augmente.  La mise en cause peut prendre plusieurs formes aux conséquences bien différentes :

     • réclamation amiable adressée directement au praticien par la victime, son avocat ou son assureur de protection juridique et qui peut déboucher sur une transaction amiable entre l’assureur du médecin concerné et la victime ou son représentant ;

     • saisine de la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI), qui a pour mission de qualifier l’accident de « fautif » ou d’« aléa » et ainsi de désigner celui qui devra procéder à la réparation du dommage, c’est-à-dire le fautif (ou plutôt son assureur) ou un fonds de solidarité, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ;

     • assignation devant le Tribunal de grande instance, ayant initialement pour but d’obtenir une expertise puis la réparation du dommage qui aura été ainsi évalué (pour les soins délivrés en secteur public, la procédure se déroule devant le Tribunal administratif) ;

     • plainte pénale, ayant pour objectif principal la sanction de la personne poursuivie (emprisonnement avec sursis, amende, interdiction d’exercer) et qui peut également permettre d’obtenir une indemnisation si les soins ont été délivrés en secteur privé ;

     • plainte ordinale, qui doit normalement être appréciée par rapport au Code de déontologie médicale et qui peut conduire à une sanction disciplinaire pouvant aller de l’avertissement à l’interdiction définitive d’exercer la profession mais qui ne peut jamais comprendre la réparation du dommage. Les plaintes pénales ne représentent aujourd’hui que 5 % de ces choix, ce dont il faut se réjouir, alors que près de 85 % des demandes ont un but exclusivement indemnitaire.

    Et en médecine générale ?

    Sur la première courbe (voir ci-contre), nous constatons un nombre d’accidents déclarés en légère baisse pour un nombre d’assurés en légère augmentation (de 40 867 médecins généralistes en 2004 à 43 568 en 2009). Ceci a pour effet une amélioration de la sinistralité en médecine générale que l’on constate sur la deuxième courbe et qui est revenue à celle enregistrée en 2002. Cette évolution n’est pas très différente de celle vue précédemment pour l’ensemble des médecins, ce qui n’est pas étonnant, la médecine générale étant la spécialité de très loin la plus nombreuse. Une sinistralité de 1 signifie qu’en moyenne un médecin généraliste sur trois voit sa responsabilité mise en cause dans sa carrière, ce qui n’est pas élevé quand on le rapporte au nombre d’actes réalisés au cours de celle-ci.

    Que reproche-t-on aux médecins généralistes ?

    C’est certainement sur cet aspect qu’il convient de s’arrêter le plus car cela permet de déterminer, parmi les nombreux aspects du métier, ceux qui prêtent le flanc à la critique et, nous l’avons vu, à la condamnation. Dans le schéma (voir page de droite), nous retrouvons la répartition des dossiers déclarés par les médecins généralistes en fonction des activités exercées.

     • Tout d’abord la place très importante (1/3) du diagnostic, ce qui est parfaitement compréhensible pour des médecins consultés en premier, pour toute pathologie, dans un contexte d’urgence, de consultation ciblée ou de bilan régulier. Sur les 134 déclarations relatives au diagnostic, 54, soit plus du tiers, portent sur des tumeurs, des métastases, des pathologies malignes. Cette part importante devrait perdurer car l’une des priorités du plan cancer 2009-2013 est d’associer plus étroitement les médecins traitants à la lutte contre le cancer. Viennent ensuite les pathologies cardiovasculaires et cérébrales avec 32 dossiers, les urgences abdominales médico-chirurgicales (19), les lésions osseuses, tendineuses (12) et les autres pathologies (17).

    Si les magistrats admettent encore que certaines pathologies sont d’un diagnostic difficile et qu’il n’est pas nécessairement fautif de ne pas les découvrir immédiatement, ils exigent que la démarche diagnostique soit rigoureuse, comprenne les examens nécessaires et que les déductions du praticien soient correctes. Il est donc important que les médecins traitants sachent s’entourer d’avis autorisés dès que cela est nécessaire. Les dossiers relatifs au diagnostic posent souvent la question de la détermination du dommage résultant du retard à la mise en œuvre du traitement approprié. Qui peut, en effet, dire précisément quelles sont les conséquences de 3 mois de retard dans le traitement d’un cancer du sein ?

     • La prise en charge fait l’objet d’un nom­bre équivalent de déclarations (132), qui portent principalement sur le délai d’hospitalisation ou l’absence d’avis spécialisé. Elles concernent des cas d’infection (25), des plaies et des traumatismes (22), des prises en charge thérapeutiques (14), des affections diverses en établissement (13), des cancers (9), des problèmes rhumatologiques (7), des grossesses (5), des maladies cardiovasculaires et cérébrales (5)… A noter 5 dossiers relatifs à un décès de cause inconnue, peu de temps après une visite à domicile, ou avant l’arrivée du médecin, après une demande de visite pour des motifs divers, sans urgence.

    Cette énumération est significative des nouvelles exigences des patients vers une prise en charge globale, le rappel des examens périodiques à réaliser, une solution rapide à tous les problèmes de santé qu’ils rencontrent…

     • La réalisation de gestes techniques par les médecins généralistes continue à être source de reproches en raison des complications survenues (31 dossiers). Il s’agit de vaccinations (8) d’actes de médecine esthétique (7) ou d’ostéopathie (4), d’infiltrations (4), d’injections intramusculaires ou intraveineuses (3), d’actes de mésothérapie (2), d’extractions de bouchon de cérumen (2) et d’une circoncision. Dans ces affaires, il est souvent examiné la compétence du praticien dans la réalisation de ces gestes, sa formation à ceux-ci, le nombre qu’il réalise chaque année, l’environnement dans lequel il les pratique, la rapidité de la détection de la complication et le traitement de celle-ci.

     • La iatrogénie médicamenteuse tient une place importante avec 24 déclarations en 2009, ce qui doit attirer l’attention des praticiens. Les complications sont de gravité très variable : du choc anaphylactique conduisant au décès à l’absence de toute séquelle. Il sera bien évidemment discuté de l’indication de la thérapie, de l’existence ou non d’une alternative comportant moins de risque, de la description ou non de la complication dans les mentions légales du produit, de la date de découverte de ce risque de complication, de l’information donnée au patient sur la surveillance à respecter et sur les signes à rechercher et enfin du traitement de la complication institué. Si le prescripteur d’un traitement médicamenteux n’est pas automatiquement responsable en cas de survenue d’une complication de celui-ci, il doit néanmoins être en mesure de prouver qu’il a respecté les recommandations en vigueur au jour de sa prescription.

     • Les médecins généralistes sont les plus concernés par les plaintes pour non-assistance en danger (11 cas en 2009), ce qui est normal quand on est appelé en première intention. Il s’agit souvent d’un refus de se déplacer sur des doléances diverses et il est parfois difficile de le justifier quand on connaît a posteriori la pathologie (infarctus du myocarde, colique néphrétique, voire arrêt cardiorespiratoire). C’est donc plus le comportement du médecin qui est l’objet de la critique que la partie strictement médicale. Pour preuve, un exemple significatif : une jeune femme devant être hospitalisée pour une occlusion fébrile fait un arrêt cardiaque quelques minutes après le départ du médecin qui n’a pas attendu l’ambulance ; elle est décédée.

     • Parmi les autres dossiers nous retrouvons 11 contestations de certificats rédigés par des médecins généralistes, ce qui est en diminution, mais qui restent souvent bien difficiles à défendre. Il y a aussi 9 dommages corporels, essentiellement dus à des chutes au cabinet, surtout en montant ou descendant de la table d’examen et qui peuvent être à l’origine de séquelles graves, notamment des fractures. Le comportement et la déontologie sont en cause dans 11 autres dossiers en sachant que le manque d’humanité, d’accompagnement, d’information, de suivi, un examen trop rapide ou un refus de prise en charge sont souvent invoqués. L’activité d’expert n’est pas à l’abri des reproches si l’on en croit les 4 dossiers ouverts à ce propos contre des médecins généralistes. Notons, enfin, 5 déclarations adressées par des médecins généralistes pour non dépistage de malformations fœtales lors d’échographies de grossesse, ce qui montre, s’il y en avait encore besoin, le risque de cette activité.

    Tous ces dossiers permettent de déterminer les contours du risque en médecine générale, même s’ils se limitent aux cas suivis d’une réclamation de la victime. C’est l’aspect qualitatif qui est le plus important et qui doit conduire à des réflexions destinées à trouver les moyens à mettre en œuvre pour éviter ces accidents. Cela va de la nécessité d’un examen clinique complet, qui est bien souvent très contributeur, à l’éclairage de la marche située entre la salle d’attente et le bureau du praticien, en passant par une grande rigueur dans la gestion des appels téléphoniques et maintenant des mails, dans la réception des résultats des examens prescrits…

    Les efforts de gestion des risques peuvent être utilisés pour la défense du praticien poursuivi et aurons certainement un effet positif, mais ils n’excusent pas la faute commise ou l’organisation du cabinet qui est restée défectueuse. Enfin, les soins devant être conformes aux données acquises de la science, cela implique un investissement personnel important dans la mise à jour de ses connaissances ; tous les patients devant pouvoir bénéficier des progrès de la médecine dans le domaine du diagnostic et dans celui du traitement.

    Sur le plan juridique, les règles applicables ne sont malheureusement toujours pas stabilisées, notamment du fait qu’elles sont, encore pour beaucoup, issues de la jurisprudence, par définition évolutive. En conséquence, là aussi, un entretien régulier des connaissances est nécessaire.

    Germain Decroix
    Juriste, Le Sou Médical - Groupe MACSF,
    Rédacteur en chef de la revue « Responsabilité » 

     

    1. « Responsabilité » - Novembre 2010 - « Le risque des professions de santé en 2009 », consultable sur www.macsf.fr.

     

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