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  • Le "burn out" ou le médecin victime de sa vocation

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    Le burn out, fréquemment rencontré aujourd'hui dans toutes les dimensions de la société, a été décrit dans un premier temps chez les soignants , qui ont donc été ses premières victimes.

             Après avoir accusé le surmenage et le stress, la tendance actuelle serait de mettre en cause l'organisation du travail, et de lui opposer le "management " comme solution universelle.

    Ce syndrome que je vais évoquer sommairement ici ,est cependant tout autre chose que la simple conséquence d'une activité trop intense et mal gérée. Il est aussi et peut être surtout, l'aboutissement d'une profonde méconnaissance de soi et ses propres attentes. C'est en cela que le burn out, maladie redoutable, puisque pouvant mener à la dépression et au suicide, réalise une entité tout à fait à part dans le cadre habituel des pathologies rencontrées en médecine quotidienne.

    Il est constitué de la conjonction d'une véritable pathologie psychique , dont les causes et les conséquences sont à la fois socales et économiques , voire politiques mettant directement en accusation  la société dans la quelle nous évoluons. Le burn out apparaît aussi comme le résultante pathologique d'un monde de la relation et de la communication que nous ne savons pas encore maîtriser.

             Le surmenage n'est donc jamais la seule cause du burn out des soignants ; il est certes un élément déterminant mais ne suffit que rarement à expliquer la totalité de la symptomatologie.

     Il faut pour comprendre son incidence particulière chez les soignants, savoir prendre en compte la représentation pour ces derniers de l'idée même de maladie.

             Cette notion de souffrance du soignant est particulièrement difficile à identifier comme telle, et vient interroger sur les motivations du choix d'un métier où l'on est sensé soigner les autres avant de se soigner soi-même ; où être en "bonne santé" physique et mentale apparaît comme un devoir, et sa transgression , la maladie, comme un aveux de faiblesse; d'où les difficultés pour l' identification personnelle de ses symptômes.

             Cette interrogation existentielle fondamentale fait souvent du médecin une victime de sa vocation, accepter les limites de ses efforts étant difficile à admettre comme à définir. Il est pourtant indispensable de pouvoir distinguer ce qui est un travail quotidien normal par sa fréquence et son intensité et une relation à l'autre épuisante par sa redondance, sa fréquence et le poids de ses responsabilités.

     

             Le syndrome de burn out, ou "épuisement au travail" ou encore "épuisement émotionnel", se définit aussi comme "maladie de la relation" ou encore, comme une " maladie de l'âme en quête de son idéal" pour reprendre l'expression du premier "découvreur" de cette pathologie, le psychiatre Américain Freudenberger, qui décrivit ce syndrome dans les années cinquantes .

     

              Dans cette simple phrase tout est dit. Le terme de "maladie" exprime le caractère pathologique des réactions de l'individu atteint ; "l'âme" ou

    "l'esprit" désignent parfaitement la fonction essentielle touchée puisque représentant une part inaliénable et irremplaçable de l'individu.

             Quant à la "quête d'idéal", recherche de toute une vie, l'impossibilité contenue dans les termes résume bien l'obstacle, voire la contradiction majeure dans laquelle se trouve le médecin victime de sa vocation.

    Cette quête et cette recherche recouvrent des objectifs essentiels mais, la plupart du temps, impossibles à obtenir.

             Un "idéal" par définition est effectivement un but que l'on se fixe en sachant (en principe) qu'on ne pourra l'atteindre totalement, et c'est sans doute pour l'ensemble de ces raisons que l'on peut, si l'on n' y prend pas garde, se "brûler" littéralement de l'intérieur et foncer "dans le mur" en toute inconscience et sans même s'appercevoir que l'on en est arrivé là.

             Freudenberger utilise pour décrire cette situation l'image très évocatrice d'un immeuble entièrement calciné à l'intérieur et dont la façade semblerait intacte. Ici l'idéal - par exemple sauver tout le monde de la souffrance et de la mort- apparaît comme une sorte de "miroir aux alouettes"  sur lequel on ne peut que se cogner plus ou moins sévèrement, selon l'intensité de ses espoirs et de ses croyances.

             Cependant l'"épuisement émotionnel" ou "maladie de l'âme" , le burn out ne touchera de toute manière qu'un médecin sur trois, si il est soumis à la même pression et dans les mêmes conditions de travail. Tout le monde ne fera donc pas un  syndrome de ce type, à surmenage égal.

     

             Quels sont les éléments majeurs qui vont faire la différence ?

             Le sexe certainement : les femmes, "pluri-surmenées" et multi-tâches, seront environ deux fois plus nombreuses à être touchées par cette maladie.

             L'âge aussi entre en jeu et c'est vers le milieu de la vie professionnelle que les risques sont majeurs. Ainsi , un pourcentage important de médecins généralistes vont-ils décrocher leur plaque après 15 ans d'exercice !

             Mais d'autres facteurs, comme je l'ai évoqué dans les premières lignes sont également présents. C'est le cas de "l'intensité " avec laquelle est vécue la relation avec les patients ; une distance dans la relation mal évaluée, par exemple, peut faire courir un risque important.

             Il est bon de méditer la métaphore des relations humaines rapportée par le philosophe Schopenhauer, quand il évoque le contact pénible que peuvent ressentir des porc-épics en hiver, qui se rapprochant trop pour se réchauffer se blessent, et qui lorsqu'ils s'éloignent se refroidissent et cherchent alors à se rapprocher à nouveau. Ces allers-retours  affectifs et relationnels sont autant de facteurs de souffrances pour qui n'y est pas véritablement préparé.

             Les médecins dans leur relation aux patients sont un peu comme ces "porc-épics »,  tant il est difficile dans la pratique quotidienne de doser la bonne distance qui nous sépare du patient, mais aussi de comprendre nos propres besoins et de cesser de croire que l'on peut venir en aide à tout le monde ; l’équilibre entre le froid et la "morsure des épines" est souvent bien compliqué à trouver.

             Pour ce qui est du syndrome de burn out proprement dit, trois dimensions essentielles sont requises pour le définir dans sa totalité.

             Il s'agit de l'apparition d'un épuisement émotionnel progressif qui se traduit par une absence des réactions normalement présentes dans une relation normale. Cet état entraîne une "sécheresse dans la relation" que l'on qualifie de déshumanisation. L'exemple type est celui du patient réifié dans le discours du médecin et, comme cela peut être le cas à l'hôpital ou dans les institutions, désigné

    symptôme et la chambre du patient plutôt que le patient lui-même.

             Une autre étape , souvent la plus visible et la plus grave, se traduit par un détachement ou un désinvestissement personnel. La personne n'est plus en état de faire quoi que ce soit. Un peu comme dans un état dépressif grave, sauf … qu'elle n'est pas dépressive.

             Au-delà de ces trois symptômes dont l'évolution est  souvent moins nette que celle décrite ici, il faut évoquer de nombreuses causes extérieures ou personnelles.        

             Le stress est bien entendu l'élément majeur retenu pour ce qui est des causes externes à l'individu. Mais nous l'avons vu ce dernier est supporté de façon très variable d'un individu à l'autre et reste loin de tout expliquer.

             Les causes "personnelles" sont plus utiles à cerner, car en exerçant un travail approprié sur soi-même et par le fait même d'en accepter la possibilité on aura fait une partie importante du trajet.  Il s'agit en effet le plus souvent de motivations personnelles mal identifiées, de vocation et d'attente déçues et surtout d'une recherche de reconnaissance qui représentent parfois cette "quête d'idéal" dont l'atteinte impossible fera souffrir la personne . Il est alors nécessaire de quitter l'idée que l'on peut être aimé exclusivement "par et pour son travail" et que l'amour véritable , celui que chacun recherche plus ou moins consciemment, se trouve tout à fait ailleurs.

             Quant au traitement de ce syndrome, il est souvent similaire à celui d'un état dépressif , comportant des antidépresseurs et devra passer le plus souvent par une psychothérapie plus ou moins longue, permettant ainsi d'éviter les récidives cependant fréquentes.

     

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