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  • La loi HPST, une nouvelle chance pour les Réseaux

  • TLM : Quel bilan dressez-vous des réseaux de santé en France depuis leur apparition à la fin des années 1980 ?

    Dr Bernard Elghozi : C’est la coupe à moitié pleine et à moitié vide. Il s’agissait, pour les acteurs des secteurs sanitaire et social, de bâtir sur leur micro-territoire, des outils et méthodes d’un travailler ensemble. L’objectif est atteint : en quelques années nous nous sommes dotés d’une culture et de pratiques communes. La formation universitaire n’avait pas préparé la médecine de ville à répondre aux besoins de santé des plus vulnérables, à prendre en charge l’angoisse des personnes souffrant d’addiction, à aider et à accompagner les personnes âgées dans l’isolement, à soutenir les exclus de tous bords que l’on voit arriver dans nos consultations. Il nous a donc fallu cons truire ensemble une nouvelle façon de travailler. C’est ainsi que les réseaux sont nés : de la rencontre des acteurs de terrain, et notamment des médecins généralistes en agglomération avec les publics précaires. Ces nouvelles problématiques posaient —et continuent de poser — de vraies questions de santé publique où les approches médicale, sociale, économique, psycho-relationnelle, etc. sont indissociables. Au même moment d’autres acteurs du secteur sanitaire et social étaient sur le même territoire confrontés aux mêmes populations aux prises avec les mêmes difficultés. Nous nous sommes rapprochés les uns des autres. La confrontation de nos expériences a permis de dégager de premières pistes, d’élaborer des outils pour des pratiques communes et, par là, de poser les fondamentaux de méthode pour les pratiques en réseaux. Parce qu’ils avaient à faire face aux mêmes problèmes, aux même public en difficulté, nous avons été rejoints assez vite par quelques hospitaliers et par des médecins de santé publique. Ces derniers nous ont accompagnés dans la réflexion et dans la construction méthodologique.

     

    TLM : Quelle a été alors l’attitude des institutions et des autorités de tutelle ?

    Dr Bernard Elghozi : Elles ont soutenu  cette dynamique, et c’est l’un des éléments essentiels et fondateurs de cette culture réseau qui est la nôtre. Au niveau national la Direction générale de la Santé a accompagné et soutenu le mouvement des réseaux depuis le début des années 90. En Ile-de- France, l’Union régionale des caisses d’assurance maladie, l’Agence régionale de l’hospitalisation et l’Union régionale des médecins libéraux ont participé à l’émergence de cette « culture Réseaux » avec la première vague de réseaux financés entre 2000 et 2005. Comme ces problématiques sont au croisement de la santé publique et des questions de société, nombre d’élus et de collectivités locales qui partageaient ces questionnements ont apporté leur soutien à la dynamique en cours. Le soutien de la Direction générale de la Santé a été décisif.

    Dés le début des années 90 la DGS et sa mission Sida, faisant preuve d’un vrai courage politique, ont créé et financé un dispositif qui nous a permis de monter des actions de formation médicale continue multidisciplinaire avec la participation de travailleurs sociaux et de professionnels de santé hospitaliers. Nous avions la chance d’avoir un directeur de la DGS, Jean François Girard —hommage soit rendu à sa clairvoyance et à la durée de sa fonction— qui connaissait bien la problématique des réseaux et qui a su nous accompagner. C’est lui qui nous a poussés à nous organiser au niveau national et a créer la Coordination nationale des Réseaux. De 1992 à 1999 il y a eu une multiplication des séminaires de formation aux pratiques en réseau, au « travailler ensemble » en Île-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais, en PACA, dans le Centre, en Rhones- Alpes, etc.

     

    TLM : La formation a joué un rôle déterminant dans l’essor des réseaux…

    Dr Bernard Elghozi : La formation est au fondement même de la pratique en réseaux. C’est le temps de la rencontre, se connaître et se confronter. Quand je connais l’autre, que je peux situer ses compétences et ses limites, identifier mes propres limites, il devient facile de travailler ensemble. La formation c’est aussi, en somme, un carnet d’adresses vivant, dynamique et interactif. Naturellement ces formations devaient être transversales et multidisciplinaires. La formation classique ne pouvait répondre à nos besoins. Il fallait en construire un nouveau type. Des formations recherche-action chaque fois adaptées à des besoins locaux différents. Nous avons créé une structure nationale de FMC, Nouvelles pratiques sanitaires et sociales, dont la mission était d'accompagner ceux qui voulaient avancer dans ce sens. J’ajoute que nous nous sommes rapidement engagés dans une démarche qualité. Face à une situation complexe qui nécessite plus de deux intervenants, il faut apprendre à travailler ensemble, et donc des protocoles, des procédures, des évaluations et être capable de tracer ce que l’on fait. C’est ainsi que nous avons été, dès les années 90, des pionniers de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Ceux qui étaient impliqués dans les réseaux l’étaient également dans la FMC et dans l’EPP. Nous avons su répondre à une exigence de haut seuil.

     

    TLM : Concernant le bilan vous parliez de coupe à moitié vide…

    Dr Bernard Elghozi : Effectivement, depuis 2006, les réseaux sont en difficulté parce qu’il n’y a pas de volonté politique claire. Bien que les besoins ne cessent d’augmenter, la progression de leur financement n’a pas suivi. Entre 2000 et 2006 l’enveloppe est passée de 25 millions à 170 millions d’euros, 2006 inaugure une période de stagnation, voire de régression puisque 15 à 20 % ont été rognés, et que depuis cette enveloppe ne bouge plus. Autrement dit, les centaines de réseaux que compte le territoire et qui sont financés peu ou prou par les différents dispositifs institutionnels doivent continuer à se développer à moyens constants, et comme il y a de nouveaux réseaux à financer, les moyens de poursuivre le développement des réseaux ne sont plus disponibles.

     

    TLM : Comment expliquez-vous cette nouvelle politique ?

    Dr Bernard Elghozi : Tant qu’il y avait un pilote a bord, cela a marché. Quand le dossier n’a plus été entre les mains de la DGS, nos interlocuteurs du ministère n’ont plus vraiment su où ils allaient, faute de convergence entre la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Cette dernière avait et a toujours pour critère essentiel l’évaluation coût/efficience. Certes, il n’est pas certain que l’outil réseau permette de faire des économies, mais ce dont je suis vraiment sûr c’est qu’il représente une meilleure réponse aux besoins de santé des populations en situation de vulnérabilité (sanitaire, sociale ou économique). Nous avons, à l’époque, également été desservis par un rapport défavorable de l’IGAS. Sans revenir sur les conditions de sa réalisation, le résultat en a été délétère et a confirmé la CNAM dans sa décision de ne pas faire des réseaux un outil stratégique prioritaire de l’organisation des soins de proximité et/ou de premier recours. Ce qui n’empêche pas de nous demander de faire encore et toujours du réseau : pour les soins palliatifs, les addictions, le cancer, etc. Mais avec les même moyens ! Comment faire pour répondre à cette demande dans ces conditions !

     

    TLM : Vous voulez dire que les réseaux n’ont pas leur part de responsabilité dans cette stagnation ?

    Dr Bernard Elghozi : Il y a eu, certes, un déficit de communication : nous n’avons pas su faire connaître notre travail. Mais était-ce notre rôle ? Les institutionnels qui avaient pour mission de nous évaluer n’avaient pas les moyens de le faire. Les dizaines, voire les centaines de rapports que nous avons adressés à nos autorités de tutelle demeurent entassés dans des armoires sans qu’il ne leur ait été possible d’exploiter la mine d’informations qu’ils contiennent. En Île-de- France, par exemple, nous avons toujours rêvé d’un centre de ressources qui puisse nous accompagner, avec des universitaires, des chercheurs en sciences sociales, en santé publique, etc. : là-dessus aucune proposition n’est jamais venue.

     

    TLM : La loi Hôpital, patients, santé et territoires peut-elle changer la donne ?

    Dr Bernard Elghozi : Elle instaure une autre règle du jeu et une nouvelle gouvernance. La loi se donne pour objectif de développer les coordinations locales en santé, les pôles locaux. C’est maintenant le territoire qui compte, et donc ses acteurs. L’acquis et l’expérience des réseaux peuvent et doivent être mis à contribution. Les maisons médicales dont on parle tant resteront un leurre, à moins de s’appuyer sur un tissu sanitaire, social et relationnel avec les élus, les institutions et les collectivités. Les réseaux trouvent donc ici toute leur place. Autre enjeu territorial de demain : le transfert de l’hôpital vers l’ambulatoire d’un certain nombre de missions qui peuvent être assurées par la médecine de ville. L’hôpital public devrait en assurer la coordination avec les professionnels de santé de ville, il s’agit d’une réelle ouverture sur la vie de la cité, une interface articulée. Or, sur ce plan, nous avons au cours des 20 dernières années raté la révolution des cultures : l’hôpital est resté dans ses murs. La HAS a publié des recommandations sur la sortie de l’hôpital, elles ne sont pas appliquées de façon systématique. Pour une articulation ville-hôpital il faut deux acteurs. Les médecins généralistes l’ont compris, mais du côté des hospitaliers on est loin du compte. C’est donc un chantier à reprendre. L’interface est à construire. Et il y faut des outils que les réseaux maîtrisent bien : formation transversale, analyse des pratiques, EPP, coordination ville-hôpital, articulation avec les acteurs sociaux. L’économie d’échelle réalisée serait non négligeable. De ce point de vue il y a une vraie convergence entre les Agences régionales de santé et les réseaux. Mais ceux-ci ne sauront intervenir que pour autant que la nouvelle règle du jeu les reconnaîsse, et qu’on leur donne les moyens de travailler. A cet égard je relève que le nouveau dispositif offre des ouvertures dont les réseaux peuvent tirer parti, et je pense aux nouveaux modes de rémunération prévus pour les maisons de santé. J’appelle donc les acteurs de réseaux à se mobiliser à nouveau, à sortir du pessimisme. Il est important de reconstruire une dynamique locale, avec les acteurs, les établissements de santé, les intervenants sociaux, les élus, les associations de malades, etc. Les formations transversales retrouvent aujourd’hui une nouvelle actualité, il faut les relancer et savoir enjamber la marche qui se présente à nous.

    Propos recueillis par Bernard Maruani

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