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  • Des entreprises plus puissantes que des Etats…

  • Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft... Aujourd’hui, ces noms sont incontournables. On désigne ces géants du web par l’acronyme Gafam, les surnoms «les Big Five» ou «The Five». Il s’agit des cinq principales firmes américaines sur le marché du numérique et dont le rayonnement est international. Elles sont issues de la révolution digitale qui a commencé à la fin des années 1970. Depuis, ces sociétés ont évolué et monopolisent désormais ce marché. À titre d’exemples, la grande majorité des téléphones intègrent des systèmes d’exploitation créés par Google ou Apple, et le nombre d’abonnés Facebook approche les 2,5 milliards, selon la firme. La puissance des Gafam tient au nombre astronomique d’utilisateurs de leurs produits et services, grâce auxquels ces firmes récoltent des milliards de données. Elles peuvent s’en servir pour leurs propres activités ou pour les revendre à d’autres sociétés.

    Cette domination virtuelle a des répercussions bien réelles. Les chiffres d’affaires des Big Five sont bien plus élevés que ceux des autres entreprises. En 2017, les revenus d’Apple équivalaient au tiers des recettes fiscales de l’Etat français sur cette même année. La crise de 2008 a permis à ces entreprises de s’imposer, finissant par concentrer à elles seules l’essentiel du marché du numérique. Elles se taillent aujourd’hui sur ce marché mondiale une part prépondérante et surtout multisectorielle : vente d’objets et de services divers, locations de logements de tourisme, production de contenus, etc. Les Gafam ne sont plus leaders sur un mar­ché, mais sur plusieurs, dont ils déstabilisent parfois les acteurs historiques. Amazon, par exemple, est souvent accusé de concurrencer et diminuer l’activité des librairies. En effet, selon E Kommerce, une solution Kantar Worldpanel, la plateforme aurait capitalisé 50 % de part de marché du secteur du livre en France en 2018. De plus, fortes de leur pouvoir économique, les Big Five rachètent de nombreuses start-up et autres entreprises afin de garder leurs innovations et parts de marché sous contrôle. C’est ce qui s’est produit pour Quidsi et son site diapers.com, numéro un de la vente en ligne de couches pour bébés dans les années 2000. Amazon propose une première offre de rachat, refusée par Quidsi. Le site de Jeff Bezos se lance alors dans une guerre commerciale en proposant des prix 30% inférieurs à ceux de diapers.com. En 2010, Quidsi est affaibli et accepte l’offre de rachat d’Amazon.

    Mais les Gafam entrent aussi en concurrence avec les Etats. Les services que ces grandes entreprises proposent relèvent parfois des fonctions régaliennes et de la souveraineté étatique, à l’instar de la crypto-monnaie développée par Facebook, le libra.

    Historiquement, ce sont les gouvernements —ou les royautés— qui battent monnaie. Maintenant, une entreprise privée s'octroie le droit de le faire. Tout comme la vérification des identités, auparavant réservée aux services de l’Etat, avec la reconnaissance faciale et le service Facebook Connect. Et les exemples pullulent. Plus probant encore, ces entreprises sont accusées par le gouvernement américain de remettre en cause son monopole de la violence légitime. En effet, elles se défendraient seules, en dehors de tout contrôle, des menaces de cyberattaque. Et en profiteraient au passage pour s’introduire dans les systèmes d’information adverses et les détruire. Une guerre numérique où les Etats et leurs garde-fous n’ont pas droit de cité. Toujours dans leurs rapports à l’autorité étatique, les Gafam sont aussi réputés pour leurs stratégies d’optimisation fiscale qui leur permet d’échapper à une large partie de l’imposition sur leurs bénéfices.

    De la même façon, ils s’émancipent des lois des pays —toutes assez peu adaptées à l’économie numérique— et s’implantent au maximum dans des états aux législations plus souples. Ainsi, au niveau européen, l'État membre dans lequel l’entreprise établit son siège social n’est pas habilité à lutter contre les pratiques de la société en dehors de son territoire. Les autres Etats subissent car ils ne peuvent rien faire contre une entreprise étrangère. Non contents de ne pas respecter les règles établies, les Gafam créent aussi les leurs. Ces fameuses « conditions générales d’utilisation »  deviennent des sortes de «lois internationales», plus puissantes que celles des Etats. Pendant longtemps Facebook ne communiquait pas d’informations sur sa politique de modération, que la firme a d’ailleurs fixée sur sa seule volonté, et imposait des clauses pour que les litiges liés à sa plateforme soient obligatoirement jugés par des tribunaux américains. Et ce quel que soit le pays. De même, après la fusillade de San Bernardino, qui avait provoqué la mort de 14 personnes en décembre 2015 aux Etats-Unis, Apple avait refusé d’aider la justice à débloquer —en délivrant ses secrets de fabrication aux autorités— les téléphones des terroristes.

    Enfin, les Big Five sont aussi puissantes politiquement, comme le prouve le lobbying qu’elles ont exercé durant les débats sur la directive européenne sur le droit d’auteur entre 2018 et 2019. Un phénomène qui n’est pas prêt de s’arrêter. Selon un rapport du gouvernement américain dévoilé par le site ReCode, Google, Amazon et Facebook auraient dépensé 48 millions de dollars en lobbying pour la seule année 2018. Soit une augmentation de 13% par rapport à l’année précédente…

    Diane Cacciarella

     

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