• Pre Claire Pouplard : Conduite à tenir devant une thrombopénie induite par l’héparine

Claire Pouplard

Discipline : Cardiologie

Date : 06/07/2023


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Pathologie rare et iatrogène, la thrombopénie induite par l’héparine (TIH) est difficile à diagnostiquer et à prendre en charge. « Le médecin généraliste a un rôle de surveillance et d’alerte », indique Madame la Pofesseure Claire Pouplard, cheffe du service d’HématologieHémostase au CHRU de Tours.

 

TLM : Quelles sont les situations cliniques associées à un risque de TIH ?

Pre Claire Pouplard : Le risque de TIH dépend du type d’héparine reçue par le patient, de sa situation clinique et de facteurs génétiques. Les héparines non fractionnées (HNF) sont associées au risque le plus élevé. Viennent ensuite les héparines de bas poids moléculaires (HBPM), puis le fondaparinux (risque extrêmement faible). Le risque de TIH varie également selon la situation clinique du patient. Dans un contexte de chirurgie (cardiaque, notamment, avec circulation extra-corporelle), le risque est plus élevé.

Ces chirurgies sont souvent associées à une activation importante des plaquettes qui libèrent une chimiokine, le facteur plaquettaire 4 (FP4), contre lequel sont dirigés les anticorps de TIH. De même, un contexte d’ECMO (Extracorporeal Membrane Oxygenation) génère une forte activation plaquettaire. Des patients peuvent combiner deux risques : celui de l’HNF et celui de concentrations élevées de FP4. Enfin, il existe des facteurs génétiques. Parmi les patients subissant une même chirurgie avec les mêmes traitements hépariniques, certains développent une TIH et d’autres non. Cette pathologie auto-immune est plus fréquente chez les femmes. Certains polymorphismes, comme le polymorphisme H/R 131 du récepteur Fc des IgG présent à la surface des plaquettes, sont associés à une augmentation du risque thrombotique lorsque l’allèle R est présent.

 

TLM : Quelle surveillance de la numération plaquettaire (NP) effectuer ?

Pre Claire Pouplard : Elle est différente en fonction du niveau de risque de TIH. Selon les recommandations, chez un patient traité par HNF, quelle que soit l’indication, une surveillance de la NP doit être réalisée deux à trois fois par semaine entre le 4e et le 14e jour de traitement. Dans un contexte médical à visée prophylactique, chez un patient traité par HNF, la surveillance peut être allégée (une à deux fois par semaine). Ce rythme s’applique également aux patients traités par HBPM soit dans un contexte chirurgical à posologie prophylactique ou curative, soit en cas de cancer. Enfin, lorsque l’HBPM est prescrit dans un contexte médical à posologie préventive ou curative, il n’est plus recommandé de surveiller la NP, de même que chez un patient traité par le fondaparinux.

 

TLM : A partir de quelles circonstances peut-on diagnostiquer une TIH ?

Pre Claire Pouplard : La première est la survenue d’une thrombopénie dans un délai de 4 à 14 jours après le début du traitement par héparine. Ce peut être soit une véritable thrombopénie (nombre de plaquettes <à 150 G/L), soit uniquement une baisse de la NP >50% par rapport à la valeur initiale (NFS réalisée avant d’initier le traitement par héparine ou lors des 24 premières heures). La TIH se suspecte aussi devant la survenue de complications thrombotiques alors que le patient est correctement pris en charge par son traitement antithrombotique.

 

TLM : Sur quels examens s’appuyer pour complèter le diagnostic ?

Pre Claire Pouplard : Si une TIH est suspectée, la probabilité clinique doit être évaluée à l’aide du score des 4T : profondeur de la thrombopénie (Thrombocytopenia), délai d’apparition (Timing), survenue de complications thrombotiques (Thrombosis) et autres causes de thrombopénie (oTher). Il est évident qu’une chirurgie dans les 72 heures ou une chimiothérapie ou une transfusion avec un purpura post-transfusionnel sont une source potentielle de thrombopénies. Il est donc recommandé de calculer ce score pour évaluer la probabilité clinique pré-tests biologiques. Si cette probabilité est faible, les recommandations indiquent de ne pas effectuer d’autres examens.

Si elle est intermédiaire ou élevée, des tests biologiques doivent être réalisés.

En première intention, un test immunologique permet de rechercher des anticorps dirigés contre le FP4 modifié par l’héparine. Des tests rapides donnent un résultat dans l’heure qui suit l’arrivée du tube au laboratoire. Ces tests sont sensibles mais peu spécifiques. Des tests immunologiques semi-quantitatifs évaluent l’importance de la réponse immune en mesurant la quantité d’anticorps circulants.

En cas de positivité de ces tests, pour confirmer la maladie, un test fonctionnel d’activation plaquettaire doit être réalisé dans des laboratoires d’hémostase spécialisés. Les recommandations indiquent qu’un diagnostic de TIH ne peut être affirmé que lorsque le test immunologique et le test fonctionnel sont positifs. Trop de patients ont reçu un diagnostic de TIH posé uniquement sur l’existence d’un test immunologique positif et le manque de spécificité de ces tests induit de faux diagnostics de TIH, ce qui est préjudiciable.

 

TLM : Comment s’ordonne la prise en charge ?

Pre Claire Pouplard : Si une TIH est suspectée et que la probabilité clinique est intermédiaire ou élevée, le traitement héparinique doit être arrêté. Le patient a un risque thrombotique très important même si au moment du diagnostic il n’a pas thrombosé. Un traitement anticoagulant non héparinique alternatif doit immédiatement être prescrit. Le danaparoïd sodium et l’argatroban possèdent l’AMM. Le danaparoïd sodium ne peut pas être utilisé en cas d’insuffisance rénale. L’argatroban ne peut pas être utilisé en cas d’insuffisance hépatique sévère. Cela va dicter le choix de la thérapeutique. La prise en charge d’une TIH nécessite une hospitalisation et un suivi biologique spécifique. Certains patients sont traités avec du rivaroxaban (anticoagulant oral direct) ou encore avec le fondaparinux mais ces deux traitements n’ont pas l’AMM dans cette indication.

 

TLM : Comment prévenir la survenue d’une TIH ou d’une récidive ?

Pre Claire Pouplard : L’utilisation de l’HNF sur une durée la plus courte possible permet de réduire le risque de TIH.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste ?

Pre Claire Pouplard : Il a souvent des patients traités par HBPM, ce qui nécessite de surveiller leur NP. Il a un rôle d’alerte devant une baisse de plus de 50% de la NP survenant dans un délai compatible avec une TIH et devant un patient développant sous héparine un événement thrombotique inattendu.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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