• Pr. ZYSMAN : La BPCO, une pathologie silencieuse à prendre très au sérieux...

Maeva ZYSMAN

Discipline : Pneumologie

Date : 25/04/2021


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TLM : Si la BPCO touche environ trois millions de personnes en France, seuls 25% des patients se savent atteints de la maladie. Pourquoi est-elle à ce point sous-diagnostiquée ?

Dr Maéva Zysman : Tout d’abord parce que, souvent, les malades vont avoir tendance à mettre leurs symptômes sur le compte de l’âge, et surtout de leur tabagisme, sans y voir une pathologie sousjacente réelle en raison de l’installation très insidieuse d’un mal qui progresse lentement et dont les épisodes aigus seront considérés comme de simples bronchites. C’est grâce à un suivi global —assuré notamment par le médecin généraliste, qui sera le plus à même de repérer qu’un patient est sujet à des bronchites répétées, qu’il présente un profil à risque et qu’il pourrait correspondre aux critères diagnostiques de la BPCO — qu’elle sera détectée. Les médecins équipés d’un spiromètre pourront aller, le cas échéant, jusqu’à un diagnostic de certitude, permettant d’orienter le patient vers un pneumologue. Certes la réalisation d’une spirométrie nécessite une consultation plus longue ainsi qu’une formation, mais elle garantit un diagnostic initial fiable.

Quelle évaluation peut-on faire de la prévalence de la mortalité de cette maladie évolutive et invalidante, voire dans certains cas mortelle ?

Question difficile car les grandes cohortes incluent des patients qui présentent une forme avancée et une histoire relativement longue de la maladie. Face à des patients atteints d’une forme sévère à très sévère de la maladie, on note un taux de 50% de mortalité dans les trois ans après une exacerbation de BPCO ayant nécessité une hospitalisation. Pour la population générale, la mortalité est plus difficile à estimer car nous ne disposons pas d’un suivi adapté des cohortes de patients pour les formes légères et modérées de la BPCO. Un taux qui se situe probablement en dessous de 10%.

Quel est le poids des comorbidités dans la mortalité chez les patients atteints de BPCO ?
Une première certitude, le tabagisme aggrave la mortalité des patients atteints de BPCO ; cette donnée est démontrée sur des cohortes de population générale : un individu atteint de BPCO décède plus tôt que celui qui n’en souffre pas, et celui qui continue à fumer décède encore plus rapidement. Les deux principales causes de mortalité liées à la BPCO se partagent, à part égale, entre les causes liées directement à la BPCO et les comorbidités cardiovasculaires (coronaropathie, artérite des membres inférieurs) ; viennent ensuite les cancers liés au tabac (cancer du poumon, cancer sphère ORL), mais on meurt aussi directement des exacerbations sévères de la BPCO. Pour un patient hospitalisé suite à une exacerbation sévère de BPCO, le risque est très élevé de décéder des suites de la maladie. On note ainsi un taux de 20% de mortalité dans l’année qui suit une première exacerbation sévère de BPCO et 50% dans les trois ans et demi. Ce qui donne une idée de la gravité de cet événement lorsqu’il survient.
 

Les dernières propositions de la GOLD (Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease) suggèrent l’effet bénéfique de la trithérapie par rapport à la bithérapie pour les patients avec des antécédents d’exacerbations....  En effet, un patient sujet à des exacerbations malgré un traitement en bithérapie trouvera un bénéfice à être traité par trithérapie. Deux études importantes publiées en 2020 —et incluant plus de 10 000 patients — montrent un bénéfice tant par rapport à la survenue d’exacerbations qu’en terme de survie pour le patient. Sur ce dernier point, c’est une grande première pour une étude médicamenteuse dans la BPCO. Des études précédentes avaient tenté de montrer un progrès sur la mortalité ; ainsi la dernière étude TORCH, qui remonte à 2007 et qui associait un corticoïde inhalé à un bêta2-mimétique de longue durée d’action, n’avait pas réussi à atteindre son objectif. C’est donc la première fois que des trithérapies — en l’occurrence un traitement associant un corticoïde inhalé, un bêta-2 agoniste de longue durée d’action et un bronchodilatateur anticholinergique de longue durée d’action — montrent un bénéfice en termes de mortalité dans deux études indépendantes, même s’il est encore tôt pour évaluer ses effets sur la mortalité globale.

Aux avant-postes du dépistage, quelle feuille de route le généraliste doit-il suivre pour dépister les patients BPCO ?

Tout patient, soit fumeur, soit exposé dans son milieu professionnel à des toxiques respiratoires, ou qui aurait connu dans son enfance des pathologies respiratoires mal équilibrées — nous savons aujourd’hui que cela correspond à une catégorie de patients BPCO —, sitôt qu’il se dit « essoufflé » ou sujet à des exacerbations ou des bronchites répétées, devra absolument subir un examen de souffle. Si le médecin ne dispose pas de l’appareillage nécessaire, il adressera son patient à un confrère pneumologue pour un examen fonctionnel respiratoire, afin d’obtenir un diagnostic de certitude. Les patients ayant été déjà hospitalisés pour une exacerbation — événement grave dans l’évolution de la maladie — seront systématiquement orientés vers le pneumologue. Il est à noter que beaucoup de patients ayant déjà été hospitalisés à plusieurs reprises pour ce motif n’ont jamais rencontré un pneumologue, ce qui est dramatique... Dès qu’un patient est limité dans ses activités de la vie quotidienne, par exemple dans son périmètre de marche — cela se mesure à l’aide de l’échelle de dyspnée MRC qui compte cinq degrés d’essoufflement —, il faut lui faire subir un examen et l’adresser à un pneumologue. Quant au patient fumeur, il faut l’aider à s’engager dans une démarche de sevrage tabagique et l’orienter vers une réhabilitation respiratoire. Une démarche qui est généralement menée trop tardivement en France.

Propos recueillis par Maurice Bober

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