• Pr Yesim Dargaud: Des traitements qui améliorent la qualité de vie des patients hémophiles

Yesim Dargaud

Discipline : Hématologie, Immunologie

Date : 08/07/2024


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Grâce à un arsenal thérapeutique élargi — anticorps monoclonaux mimant le facteur VIII injectés par voie sous-cutanée, thérapie génique —, relève le Pr Yesim Dargaud, responsable de l’unité Hémostase clinique à l’hôpital cardiologique Louis-Pradel de Lyon, il est aujourd’hui possible de prendre une décision partagée avec le patient atteint d’hémophilie pour choisir le traitement qui lui sera le mieux adapté.

 

TLM : Combien de personnes en France souffrent-elles d’hémophilie ?

Pr Yesim Dargaud : Il y a dans notre pays 8 000 patients atteints d’hémophilie. Il s’agit d’une maladie génétique à transmission récessive liée à l’X. Dans 30 % des cas, cependant, elle est secondaire à une néomutation : l’absence d’antécédents familiaux n’exclut donc pas le diagnostic. Une personne sur 5 000 en France souffre d’hémophilie A, liée à une mutation sur le gène du facteur VIII, une sur 30 000 est atteinte d’hémophilie B, due à une mutation sur le gène du facteur IX. Près de 40 % des patients atteints d’hémophilie présentent une forme sévère avec un taux indétectable de facteur VIII ou IX dans le sang. Les autres souffrent soit d’une forme modérée, soit d’une forme mineure. Ce sont surtout les patients présentant des formes sévères qui sont à risque de complications graves comme les arthropathies hémophiliques ou les hémorragies intracrâniennes. La très grande majorité des patients avec des formes sévères sont des hommes, mais quelques rares femmes peuvent souffrir aussi de formes sévères, lorsque par exemple les deux chromosomes X sont atteints. Les formes mineures sont plus fréquentes chez les femmes. Le grand danger de l’hémophilie, surtout lorsqu’elle est sévère, ce sont les complications articulaires. Les saignements répétés au niveau des articulations, notamment celles des genoux et des chevilles, altèrent les cartilages et entraînent une hémarthrose précoce qui transforme les hémophiles sévères en grands handicapés.

 

TLM : A quel moment le diagnostic est-il posé ?

Pr Yesim Dargaud : Dans les familles concernées par l’hémophilie, le diagnostic peut être fait en anténatal, pendant la grossesse. Il y a 20 ans, lorsque l’hémophilie était dépistée avant la naissance, les parents demandaient le plus souvent une interruption médicale de grossesse (IMG). Aujourd’hui, grâce aux avancées thérapeutiques, moins de 20 % seulement des parents réclament une IMG. En France, tous les patients souffrant d’hémophilie bénéficient d’un génotypage pour identifier la mutation en cause. Et cela facilite le diagnostic anténatal. Parfois, le diagnostic n’est pas posé à la naissance, mais dans un service d’urgence, à la suite d’une complication. Nous travaillons actuellement sur un projet d’intelligence artificielle dédié notamment à l’hémophilie pour lutter contre l’errance diagnostic pour les enfants. Dans ce projet nous avons défini un algorithme dans lequel nous intégrons des données biologiques et radiologiques pour diagnostiquer plus facilement certaines pathologies de l’hémostase chez l’enfant comme l’hémophilie ou encore la maladie de Willebrand.

 

TLM : Quand et comment prendre en charge l’hémophilie ?

Pr Yesim Dargaud : Lorsque le diagnostic d’hémophilie a été fait en anténatal, le pédiatre présent dans la salle d’accouchement conseille déjà l’équipe sur la manière d’éviter les actes traumatiques. Tant que l’enfant ne rampe pas et ne marche pas, le risque est mineur. En revanche, dès qu’il se met à ramper et a fortiori à marcher, la vigilance s’impose et la prévention peut être envisagée. Depuis plusieurs décennies, la prise en charge est prophylactique, pour éviter les saignements, grâce à l’injection de facteur VIII ou IX. Pendant longtemps, ces facteurs de coagulation étaient d’origine plasmatique. Depuis 15 ans, ce sont des facteurs de coagulation recombinants qui sont prescrits en prévention, par voie intraveineuse. Initialement, les patients recevaient trois à quatre injections intraveineuses par semaine, soit un traitement lourd. Des facteurs IX recombinants avec une demi-vie multipliée par 4 ou 5 ont été développés. Grâce à ce progrès, une seule injection intraveineuse tous les dix jours est suffisante, ce qui améliore nettement la qualité de vie des patients. Pour les patients souffrant d’un déficit en facteur VIII, il n’a pas été possible d’allonger la demi-vie aussi longtemps. Des injections restent nécessaires tous les 4/5 jours.

 

TLM : Quelles sont les autres avancées thérapeutiques ?

Pr Yesim Dargaud : La dernière grande avancée thérapeutique pour les patients atteints d’hémophilie A, c’est l’arrivée sur le marché d’anticorps monoclonaux qui miment le facteur VIII. Ces anticorps monoclonaux sont prescrits par voie sous-cutanée, ce qui simplifie leur utilisation. De surcroît, selon les patients, ils peuvent être prescrits une fois par semaine, une fois tous les quinze jours ou une fois toutes les quatre semaines. Ce nouveau médicament basé sur des anticorps monoclonaux, l’emicizumab, n’a pas de relation structurelle ni d’homologie de séquence avec le facteur VIII. Il conserve donc son efficacité chez les patients ayant des anticorps dirigés contre le facteur VIII. Aujourd’hui, grâce à ces nouveaux traitements, nous avons largement amélioré la qualité de vie des patients souffrant d’hémophilie et la prophylaxie des accidents hémorragiques. D’autres molécules arrivent d’ailleurs sur le marché, ce sont des « agents modifiant l’équilibre de l’hémostase ».

 

TLM : Et que peut-on attendre de la thérapie génique ?

Pr Yesim Dargaud : L’autre grande nouveauté qui vient de bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché en France, c’est la thérapie génique. Le principe est de faire produire par les cellules du patient le facteur de coagulation qui manque. Pour cela, le gène codant pour le facteur VIII ou le facteur IX a été introduit dans un virus qui sert de transporteur. Ce virus modifié est injecté dans la circulation, une seule fois. Cela permettrait d’obtenir une expression de 35 % des facteurs de coagulation, transformant un patient hémophile sévère en hémophile mineur. Le problème c’est qu’il y a une grande variabilité de réponse. Certains patients répondent très bien, d’autres pas du tout. Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur ce traitement. On ne sait pas combien de temps il sera efficace, ni quels sont les effets secondaires à long terme. Par ailleurs, 30 à 35 % de la population est immunisée contre le virus transporteur et ne peut donc pas bénéficier de cette procédure. Cependant, aujourd’hui, grâce à cet arsenal thérapeutique élargi, nous pouvons prendre une décision partagée avec le patient, pour choisir le traitement qui lui est le mieux adapté.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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