• Pr Xavier Carcopino : Vaccination HPV : La France en retard sur ses voisins…

Xavier Carcopino

Discipline : Infectiologie

Date : 10/01/2024


  • 439_photoParole_134PE_Carcopino.jpg

La couverture vaccinale contre les HPV reste très insuffisante en France, malgré la nouvelle campagne dans les collèges.

Pourtant la vaccination est très efficace pour protéger des cancers et des verrues génitales.

Le point avec le Pr Xavier Carcopino, chef du service de Chirurgie gynécologique à l’hôpital Nord de Marseille (APHM) et président de la Société française de colposcopie.

 

TLM : Combien de personnes sont-elles concernées par l’infection à papillomavirus en France ?

Pr Xavier Carcopino : Tout le monde !

Les études montrent qu’une femme de 25 ans ayant eu deux partenaires sexuels a déjà plus de 85 % de probabilités d’avoir été infectée par le HPV.

Tout le monde, à un moment donné au cours de sa vie, rencontrera un HPV.

C’est tellement banal que, chez les moins de 30 ans, près de 50 % des femmes sont HPV-positives. Mais il faut dédramatiser : la dangerosité n’est pas liée au virus lui-même mais à l’immunité de chaque individu. Normalement le système immunitaire élimine ce virus en 8 à 10 mois. Le risque de cancer survient quand il ne joue plus son rôle et que l’infection à HPV se chronicise.

 

TLM : Quels sont les risques des virus HPV ?

Pr Xavier Carcopino : Ce sont d’abord, pour les deux sexes, les verrues génitales avec 100 000 personnes, femmes et hommes confondus, concernés chaque année. Elles constituent aussi un véritable problème de santé publique : elles sont contagieuses, coûtent cher à traiter (pommades, azote liquide, laser…), elles occasionnent de nombreuses consultations médicales. Sans oublier leur fort retentissement psychologique.

 

TLM : Les virus sont aussi responsables de cancers. Lesquels ?

Pr Xavier Carcopino : Chaque année en France, un peu plus de 6 000 nouveaux cas de cancers sont liés aux HPV. Avec plusieurs localisations : le col de l’utérus (3 000 cas par an), l’anus (1 500), la sphère ORL (1 500), la vulve et le vagin (250), le pénis (environ 100). Le cancer du col de l’utérus bénéficie d’un programme de dépistage chez les femmes car ses caractéristiques s’y prêtent et qu’il existe un test (frottis ou test HPV selon l’âge). Il n’existe pas de test de dépistage efficace pour les autres cancers induits par l’HPV même si une politique de dépistage pour le cancer de l’anus est actuellement à l’étude.

 

TLM : Quelles sont les recommandations actuelles pour la vaccination ?

Pr Xavier Carcopino : Il faut vacciner garçons et filles entre 11 et 14 ans : c’est la cible prioritaire avec deux injections à six mois d’intervalle. En rattrapage, on peut vacciner jusqu’à 19 ans inclus : dans ce cas, trois injections sont nécessaires à 0, 2 et 6 mois. Nous avons aussi la possibilité de vacciner les jeunes hommes homosexuels jusqu’à 26 ans. Les autorités de santé travaillent sur un projet pour vacciner l’ensemble des filles et garçons jusqu’à 26 ans. L’AMM a été donnée à partir de 9 ans, donc en pratique on peut se faire vacciner tardivement. Mais si on sort des tranches d’âge recommandées, la vaccination — de l’ordre de 350 euros pour trois doses — n’est plus prise en charge.

 

TLM : Quelle est l’efficacité de cette vaccination ?

Pr Xavier Carcopino : Le bénéfice du vaccin est d’autant plus important qu’on vaccine tôt, car alors la réponse immunitaire est meilleure. Si on vaccine avant 15 ans, l’efficacité est spectaculaire : plus de 85 % de cancers du col sont évités ! Pourquoi 15 % d’échecs ? Parce qu’aucun vaccin n’est efficace à 100 %. Mais ce vaccin cible 9 types d’HPV sur 15, qui sont les principaux impliqués dans les cancers HPV-induits. C’est pour cela qu’on continue de recommander le dépistage, y compris chez les femmes vaccinées.

 

TLM : Quels sont les effets secondaires du Gardasil ?

Pr Xavier Carcopino : Nous avons maintenant un grand recul : les essais ont démarré dans les années 2000, les premières vaccinations en 2007. Ce vaccin est sûr. Mais, comme pour tout vaccin, peuvent survenir des effets indésirables : les plus fréquemment observés sont des réactions locales au point d’injection, comme des rougeurs, parfois de la fièvre, rarement des malaises vagaux qui sont dus à l’injection mais pas au vaccin lui-même. Un fait divers a fait beaucoup de bruit, au début de la campagne de vaccination dans les collèges : à Nantes, un adolescent de 12 ans a lourdement chuté sur l’arrière de la tête lors d’un malaise survenu après avoir été vacciné contre les HPV. Il est malheureusement décédé d’un traumatisme crânien lié à cette chute… Et non au vaccin !

 

TLM : La couverture vaccinale contre les HPV est-elle suffisante en France ?

Pr Xavier Carcopino : Non, nous sommes quasiment en queue de peloton : autour de 40 % chez les filles en âge d’être vaccinées et autour de 10 % chez les garçons. On reste bien loin des objectifs de 80 % de couverture vaccinale fixés par les autorités de santé. Autant sur le plan individuel, la vaccination est efficace. Autant, avec ces chiffres, elle ne peut pas l’être en termes de santé publique. L’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Finlande, la Suède caracolent au-dessus de 70 % de couverture vaccinale. En Australie et au Canada, qui ont commencé en premier, elle se situe même au-dessus de 90 %. Dans ces pays, les verrues génitales ont clairement régressé dans la population vaccinée.

Les dernières études, publiées en 2020 et en 2021, montrent un effondrement du nombre de cancers HPV-induits dans les populations vaccinées en Angleterre et en Suède !

 

TLM : Pour quelles raisons sommes-nous loin du compte ?

Pr Xavier Carcopino : Nous avons raté notre politique vaccinale avec, au début, une mauvaise communication. A tort, on a sexualisé le vaccin en affirmant qu’il était réservé aux jeunes filles vierges, alors que cela est encore possible après le début de la vie sexuelle. Nous sommes le seul pays à avoir procédé ainsi et cela a constitué un frein à la vaccination.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste ? Doit-il convaincre les parents de l’intérêt de la vaccination ?

Pr Xavier Carcopino : Les parents « antivax » ne représentent qu’une petite minorité et il est illusoire de penser pouvoir les convaincre des bienfaits de ce vaccin pour leurs enfants ; c’est face aux autres que le médecin généraliste peut agir.

Il est souvent sollicité pour des conseils. Des enquêtes ont montré que, quand il explique le bénéfice de la vaccination, les patients le suivent dans la grande majorité des cas. Mais il ne vaccine que les gens qui se tournent vers lui. L’autorisation récente pour les pharmaciens, les infirmières et les sages-femmes à vacciner contre les HPV devrait logiquement aider à faire progresser cette couverture vaccinale..

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

  • Scoop.it