• Pr WISLEZ : Pour atténuer les atteintes de la chimiothérapie...

Marie WISLEZ

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 10/01/2022


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Les effets secondaires d’une chimiothérapie doivent être surveillés de près, notamment la neutropénie, afin de les prévenir et en limiter l’impact. Le point avec le Pr Marie Wislez, pneumologue cancérologue, PU-PH, chef de l’unité d’Oncologie thoracique à l’hôpital Cochin (Paris).

 

TLM : Chimiothérapie cytotoxique et chimiothérapie conventionnelle, s’agit-il de deux mécanismes équivalents ?

Pr Marie Wislez : Elles désignent exactement la même chose. La chimiothérapie anticancéreuse utilise des médicaments cytotoxiques qui tuent les cellules cancéreuses mais d’autres aussi : en particulier les cellules à renouvellement rapide comme celles des cheveux et des ongles, du tube digestif sur tout son parcours (de la bouche à l’anus) ainsi que celles de la moelle osseuse sanguine où sont produits les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. La chimiothérapie n’est pas un traitement ciblé, ce qui explique sa toxicité pour les cellules normales et donc ses nombreux effets secondaires.

 

TLM : Dans quels types de cancers la chimiothérapie est-elle prescrite ? Peut-elle être parfois « détrônée » par les nouveaux traitements anticancéreux ?

Pr Marie Wislez : Elle reste une des bases du traitement de tous les cancers. Pour le poumon, par exemple, on bénéficie depuis les années 2000 de la révolution des thérapies ciblées, et depuis 2015 de celle l’immunothérapie pour les patients métastasés. De façon plus récente, on peut même prescrire ces nouveaux traitements pour des cancers localement avancés. Et même pour des cancers localisés, juste après une chirurgie. Il n’empêche que l’immunothérapie est le plus souvent couplée avec une chimiothérapie car les résultats de l’immunothérapie sont longs à attendre. Donc on reste encore confronté à la toxicité de la chimiothérapie.

 

TLM : Quels en sont les effets indésirables ?

Pr Marie Wislez : Tout d’abord les mucites (aphtes, sécheresse, douleur buccale, difficultés à avaler), l’anorexie, les nausées, les vomissements, les douleurs abdominales, les ballonnements, les diarrhées ou la constipation ; puis la toxicité hématologique (neutropénie, anémie, thrombopénie). Quand il y a une chute des globules blancs, des germes du tube digestif peuvent passer dans le sang (translocation bactérienne) et provoquer une septicémie ; la neutropénie fébrile est une urgence thérapeutique à traiter par antibiothérapie. Il peut y avoir une toxicité rénale avec le cisplatine, mais cette dernière peut être également favorisée par les troubles digestifs entraînant parfois une déshydratation. Sans oublier les effets indésirables très connus comme l’alopécie et la fatigue.

 

TLM : Peut-on diminuer les doses d’une chimiothérapie tout en maintenant son efficacité ?

Pr Marie Wislez : On doit moduler les doses face à des toxicités majeures. Pour qu’une chimiothérapie soit efficace, il faut l’administrer à un patient en bon état général. Donc, lorsque ce dernier ne l’est pas à cause des effets secondaires, il n’y a qu’une seule possibilité : diminuer les doses et trouver le bon compromis. C’est d’ailleurs ce que les patients redoutent. Ils nous disent : « Si vous diminuez les doses, le traitement sera moins efficace » ! Mais nous n’avons pas le choix, malgré ce risque de moindre efficacité ! Le métabolisme des médicaments est différent d’une personne à l’autre et il faut adapter les doses à chaque patient.

 

TLM : La neutropénie est-elle un effet indésirable fréquent ? Avec quelles conséquences pour le patient ?

Pr Marie Wislez : La neutropénie est provoquée par une diminution du nombre de polynucléaires neutrophiles, un type de globules blancs très impliqués dans la défense antimicrobienne de l’organisme. La neutropénie fait partie des complications fréquentes, notamment avec le cisplatine, un peu moins avec des molécules plus récentes. Il faut la surveiller de près car l’organisme ne peut plus se défendre contre les infections bactériennes. Quand on prescrit une chimiothérapie cytotoxique à un sujet fragile ou âgé, on peut donner, à titre préventif, des facteurs de croissance, un traitement qui stimule la production de globules blancs. De la même façon, après une première cure de chimiothérapie ayant provoqué une neutropénie, on agit pour les suivantes : soit on baisse les doses de médicaments, soit on prescrit des facteurs de croissance.

 

TLM : Les soins de support ont-ils une efficacité pour limiter les effets indésirables ?

Pr Marie Wislez : Ils sont indiqués dès la prise en charge car ils vont permettre de mieux supporter la chimiothérapie ou les traitements en général. L’activité physique est particulièrement importante car elle permet de lutter contre tous les effets secondaires : marcher régule le transit, diminue les nausées et les douleurs, stimule le mental... C’est fondamental. Son rôle sur la neutropénie n’a pas fait l’objet d’études. La prise en charge psychologique et sociale est très importante aussi : il faut trouver des solutions pour la déprime, l’emploi, etc. Les associations de patients ont aussi un rôle à jouer de soutien et de conseil.

 

TLM : Les nouveaux traitements — immunothérapie ou thérapies ciblées — peuvent-ils entraîner une diminution des prescriptions de chimiothérapie cytotoxique ?

Pr Marie Wislez : On l’espère, mais pour l’instant ils repoussent le moment d’administrer la chimiothérapie. Par exemple, pour les patients métastatiques, on prescrit des chimiothérapies quand les thérapies ciblées et/ou l’immunothérapie ne sont plus efficaces. Dans certains cancers du poumon, on démarre le traitement en couplant une chimiothérapie à une immunothérapie pendant trois mois. Ensuite on maintient l’immunothérapie seule chez 15 à 20 % des malades pendant environ deux ans, avec de très bonnes réponses prolongées. De la même façon quand les thérapies ciblées ne sont plus efficaces, nous avons recours à la chimiothérapie. Ces nouveaux traitements ne guérissent pas encore les patients, donc à un moment donné on a recours à la chimiothérapie. Nous ne sommes pas sortis de l’ère de la chimiothérapie.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste : lui incombe-t-il de gérer les effets indésirables ?

Pr Marie Wislez : Il faut prendre acte que les médecins généralistes ont de moins en moins le temps de se déplacer au domicile des patients. En outre, tous ne sont pas formés aux toxicités des chimiothérapies. Il revient donc souvent à l’hôpital de gérer les effets secondaires. Souvent, aussi, les patients font appel directement au cancérologue sans contacter le médecin traitant. Mais on aimerait, dans l’objectif d’une prise en charge globale du malade, que tous les généralistes contribuent à la gestion des effets indésirables. L’amélioration des moyens de communication entre la ville et l’hôpital va probablement nous permettre d’optimiser ces interactions.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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