• Pr. VITTON : La constipation, un trouble à ne pas banaliser...

Véronique VITTON

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 24/07/2020


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NOMBRE DE PRÉJUGÉS DEMEURENT PAR RAPPORT À LA CONSTIPATION.
LE PATIENT DOIT ACCEPTER QU’IL S’AGÎT D’UNE MALADIE À PART ENTIÈRE,
ET CE D’AUTANT QUE LE TRAITEMENT —DES MOLÉCULES SURES ET EFFICACES— APPORTE UN BÉNÉFICE CERTAIN, ASSURE LE PR VÉRONIQUE VITTON, DU SERVICE HÉPATO-GASTRO-ENTÉROLOGIE ET ONCOLOGIE DIGESTIVE
À L’HÔPITAL NORD DE MARSEILLE

 

TLM : Quelle est la fréquence de la constipation ?
Pr Véronique Vitton :
Elle touche 10 à 20 % de la population, peut-être plus car elle est souvent banalisée tant par les patients que par les professionnels de santé. Ce type de trouble fonctionnel n’est en effet pas considéré comme une maladie et suscite peu l’intérêt du soignant alors qu’il peut avoir un retentissement important sur la qualité de vie.

 

TLM : Et ses différentes formes ?
Pr Véronique Vitton :
On distingue la constipation de transit, due à une motricité trop lente du côlon et généralement idiopathique, de la constipation distale ou d’évacuation. Cette dernière se manifeste par des efforts de poussée, alors même que le rythme des selles paraît satisfaisant, une sensation d’évacuation incomplète et parfois la nécessité de manœuvres digitales pour aider à l’évacuation.

 

TLM : Quelles sont les populations les plus touchées ?
Pr Véronique Vitton :
On observe une nette prédominance féminine, probablement pour des raisons hormonales et, très souvent, périnéales. L’accouchement provoque en effet fréquemment des troubles de la statique pelvienne pouvant se traduire par des problèmes d’évacuation. La constipation touche toutes les tranches d’âge avec un pic autour de 40-50 ans, qui résulte d’un cumul de facteurs de risque : suite d’accouchements, ménopause... Mais aussi de mauvaises habitudes, notamment dans les constipations d’évacuation. Le fait de faire

systématiquement l’effort de pousser et de ne pas traiter les épisodes de constipation conduit à une installation de la constipation. A noter que l’effort de poussée peut conduire à une neuropathie d’étirement évoluant vers l’incontinence. La constipation d’évacuation est enfin observée dans certaines situations cliniques, neurologiques notamment (sclérose en plaque, traumatismes médullaires...), dans lesquelles ce symptôme passe au second plan et est insuffisamment pris en charge. Son déclenchement concorde avec des perturbations émotionnelles (stress, fatigue) et/ou des changements d’alimentation, de rythme de vie...

 

TLM : La constipation bénéficie-t-elle des avancées de la recherche sur la sphère intestinale ?
Pr Véronique Vitton : La recherche sur le microbiote, et plus particulièrement sur les probiotiques, intéresse plutôt les diarrhées. Il n’y a pas d’indication pour ce type de traitement dans la constipation car la dysbiose n’est pas si franche. Les signes fonctionnels (ballonnements) ne sont pas dus à une dysbiose mais à la fermentation des selles non évacuées. Ils disparaissent avec le rétablissement d’un transit normal. En revanche le regain d’intérêt pour l’intestin et le succès de livres grand public sur le sujet contribuent à libérer la parole des patients face à ce symptôme toujours considéré comme honteux.

 

TLM : Quelles sont aujourd’hui les recommandations de prise en charge ?
Pr Véronique Vitton : La première recommandation est de ne pas avoir peur des laxatifs.

Il s’agit de molécules simples et sures permettant d’hydrater les selles et de les lester ou de lubrifier pour faciliter l’évacuation. Il n’y a donc pas de danger à les utiliser, y compris les laxatifs stimulants, indiqués en seconde intention, ne présentant qu’un risque de tachyphylaxie. Ce problème n’est en revanche pas observé avec les autres laxatifs, justifiant leur emploi au long cours. Le second point tient à la façon de présenter la constipation. Le patient doit accepter qu’il s’agît d’une maladie à part entière nécessitant un traitement médical efficace, parfois à vie, et montrer le bénéfice qu’il apporte. Des études ont montré que les constipés sont des patients généralement insatisfaits de leur traitement, n’arrivant pas à leur assurer un rythme « idéal ». Rappelons que le transit reste un élément de focalisation, voire d’obsession, pour les patients, plus particulièrement aux âges extrêmes. Il faut donc insister sur le bénéfice tiré du traitement.

Enfin, la prise en charge doit tenir compte de l’échelle de Bristol. Si les selles ont une consistance normale, il n’y a pas lieu de les hydrater, avec le risque d’induire des selles liquides. Un lubrifiant pour faciliter l’évacuation suffit. Si les selles sont dures et petites, il faut agir sur leur consistance et leur volume pour relancer le transit au moyen de laxatifs de lest. Leur petite taille gênant leur évacuation, l’association à un lubrifiant peut se révéler bénéfique.

 

TLM : Quel message adresseriez-vous aux médecins généralistes s’agissant de la constipation ?
Pr Véronique Vitton :
Au-delà de la notion, essentielle, qu’il ne faut pas banaliser la constipation ni avoir peur des laxatifs, il faut aussi rappeler que la constipation peut être le symptôme révélateur d’une pathologie grave. Une constipation chez un patient ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal et des rectorragies doit conduire à se poser régulièrement la question du dépistage de ce cancer.

 

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