• Pr Véronique Vitton : Œsophagite à éosinophiles : Du diagnostic au traitement

Véronique Vitton

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 23/10/2023


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« L’œsophagite à éosinophiles est peu diagnostiquée car encore mal connue », indique le Pr Véronique Vitton, gastro-entérologue à l’hôpital Nord de Marseille. Et d’ajouter : « Même les gastro-entérologues n’y pensent parfois pas ou la banalisent… »

 

TLM : Quelle est la physiopathologie de l’œsophagite à éosinophiles (OeE) ?

Quelles sont les personnes à risque ?

Pr Véronique Vitton : L’OeE est une maladie inflammatoire de l’œsophage résultant d’une infiltration de l’œsophage par des polynucléaires à éosinophiles. Cette infiltration peut également exister dans d’autres organes (intestins, côlon, estomac), il s’agit alors de pathologies très différentes (gastrite à éosinophiles, etc.) bien que ressemblantes. L’OeE survient souvent chez des patients allergiques. En effet, il existe des mécanismes communs avec certains terrains allergiques (patients asthmatiques ou avec polyposes nasales). Dans tous les cas, l’OeE est une maladie bénigne.

 

TLM : Quelle est son étiologie ?

Pr Véronique Vitton : Elle n’est pas vraiment connue à part le fait qu’elle soit associée à des terrains allergiques. Des différences existent entre l’adulte et l’enfant. Chez l’enfant, nous pensons que l’OeE est plus volontiers allergique. D’ailleurs les régimes d’éviction font partie du traitement. Chez l’adulte, nous ne savons pas très bien pourquoi cette pathologie survient, ni pourquoi elle se localise à cet endroit. Découverte récemment, à peine une quarantaine d’années, cette maladie faisait penser au départ à des reflux ou des troubles gastriques et s’est longtemps appelée « reflux avec hyper-éosinophilie » ou « œsophagite avec éosinophilie ».

Nous n’avons pas encore toutes les réponses à nos questions.

 

TLM : Son incidence est-elle en augmentation ?

Pr Véronique Vitton : Oui, elle s’accroît clairement dans tous les pays d’Europe. Bien sûr les études épidémiologiques la recherchent plus qu’avant mais les allergies augmentent ainsi que les polluants.

 

TLM : Quels en sont les symptômes ?

Pr Véronique Vitton : Il existe deux groupes de symptômes. Le premier est l’impact alimentaire brutal. Le profil de patients correspond en général à des hommes jeunes, en théorie un peu allergiques, qui arrivent aux urgences pour un morceau de viande coincé. Avec l’impaction alimentaire, les manifestations sont aiguës, le diagnostic est assez rapide et les patients bien suivis.

Le deuxième groupe est constitué par des patients ayant une dysphagie intermittente qui n’est pas très claire. Ils consultent tardivement, parfois après dix ans de gênes à la prise alimentaire.

 

TLM : Sur quels examens repose le diagnostic ?

Pr Véronique Vitton : L’endoscopie gastro-duodénale s’accompagne de biopsies de l’œsophage. Au moins six biopsies minimum sont nécessaires sur, au moins, deux sites différents de l’œsophage (par exemple la partie proximale et distale). Il est rare de se tromper. En effet, à l’endoscopie, l’un des aspects dit « pseudo-trachéal » est assez évident (anneaux). Mais dans tous les cas, le diagnostic repose sur la biopsie comptabilisant le nombre d’éosinophiles sur les prélèvements.

 

TLM : Que disent les dernières recommandations concernant sa prise en charge ?

Pr Véronique Vitton : Nous participons actuellement aux recommandations françaises. Pour l’instant, les traitements en première intention sont les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). C’est le résultat de la confusion diagnostique qui a duré longtemps, les IPP traitant le reflux. Les patients sont améliorés avec un effet légèrement antiinflammatoire local mais ces médicaments ne sont souvent pas efficaces. Actuellement, le traitement de référence en deuxième intention est le budézonide.

Nous l’indiquons souvent en première intention. Cette corticothérapie a un effet local. Depuis plus d’un an, il est sorti en comprimés orodispersibles à croquer.

Leur substance un peu visqueuse adhère aux parois de l’œsophage un tempssuffisant pour avoir un effet local. Le traitement dure huit semaines (un comprimé matin et soir). Les résultats sont spectaculaires. Une biothérapie (dupilumab) a eu récemment l’indication OeE. Elle s’adresse aux adultes et adolescents (> 12 ans) en échec de tous les traitements habituels et chez des patients ayant un asthme associé ou une polypose nasale dans des contextes particuliers. Elle est délivrée dans les centres référents.

 

TLM : La prise en charge doit-elle s’accompagner d’évictions alimentaires ?

Pr Véronique Vitton : La question des évictions alimentaires d’allergènes les plus connus (crustacés, kiwis, cacahuètes) se discute.

Chez l’adulte, nous proposons aux patients qui souhaitent essayer d’éviter certains allergènes. Mais nous ne réalisons pas de test d’allergie cutanée.

Chez l’enfant, les pédiatres pratiquent beaucoup plus l’éviction.

 

TLM : Faut-il instaurer un traitement d’entretien ? Quels sont les risques de complications ?

Pr Véronique Vitton : L’OeE est une maladie chronique. Le traitement devrait donc être gardé à vie. Mais cela est discuté. Le risque d’évoluer vers une sténose reste théorique. En pratique, il est difficile de dire à un patient jeune de prendre toute sa vie de la cortisone pour un risque rare de sténose. Nous ne savons pas non plus quelle surveillance endoscopique mettre en place puisqu’il n’existe pas de risque de cancer. En revanche, les recommandations indiquent qu’une endoscopie doit être renouvelée 8 ou 12 semaines après la mise en place du traitement afin de vérifier la disparition de l’infiltration à éosinophiles.

 

TLM : Cette pathologie est-elle suffisamment diagnostiquée ?

Pr Véronique Vitton : Non, elle est peu diagnostiquée car mal connue. Lorsque j’ai passé l’internat en 98, l’OeE n’était pas au programme. Même les gastro-entérologues n’y pensent parfois pas ou la banalisent. Le médecin généraliste peut orienter son patient s’il a des petits blocages alimentaires et un terrain allergique. Chez l’enfant, un retard du statut pondéral ou, parfois, comme souvent pour certains troubles de la motilité de l’œsophage, des pseudo-tableaux d’anorexie peuvent faire évoquer l’OeE.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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