• Pr TOUNIAN : Allergies alimentaires de l’enfant : Les nouvelles pratiques

Patrick TOUNIAN

Discipline : Pédiatrie

Date : 11/07/2022


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Les dernières recommandations préconisent l’introduction préventive très précoce d’allergènes (arachide, fruits à coque, poisson, œuf) dans l’alimentation de l’enfant et du nourrisson. Le Pr Patrick Tounian, chef du service de Nutrition et de Gastroentérologie pédiatrique de l’hôpital Trousseau (AP-HP), décrypte ces nouvelles pratiques.

 

TLM : Quelles sont les nouvelles recommandations en nutrition pour prévenir les allergies alimentaires de l’enfant ?

Pr Patrick Tounian : Des nouvelles recommandations récentes viennent compléter celles faites dans les années précédentes. Dès 2017, les sociétés savantes d’allergologie et de nutrition recommandaient pour la première fois l’introduction précoce de l’arachide entre quatre et onze mois chez le nourrisson, pour réduire le risque d’allergie à l’arachide chez l’enfant. En 2022, les pédiatres de la Société française d’allergologie, suivant l’Académie européenne d’allergologie, ont publié dans Archives de Pédiatrie, leurs dernières recommandations pour la prévention des allergies alimentaires. Elles proposent désormais l’introduction précoce de plusieurs aliments allergisants, notamment les fruits à coques, le poisson, les œufs, l’arachide. C’est la première fois que des sociétés savantes poussent à l’introduction précoce des fruits à coques et du poisson. Ce choix ne repose pas sur une étude précise, mais plutôt sur l’extrapolation de ce qui a été observé et recommandé pour la prévention des allergies à l’œuf et à l’arachide.

 

TLM : Sur quelles études se basent ces recommandations ?

Pr Patrick Tounian : L’introduction précoce de l’œuf et de l’arachide est basée sur une série d’études publiées en 2015, 2016 et 2017, dans des revues internationales. La première étude randomisée a été publiée en 2015 dans le New England Journal of Medicine. Elle porte sur deux groupes d’enfants souffrant d’eczéma. La moitié ont bénéficié de l’introduction précoce de l’arachide entre quatre et onze mois, trois fois par semaine, l’autre moitié n’a pas reçu d’arachide dans la même période. Et ceci jusqu’à l’âge de cinq ans. Les résultats montrent une diminution importante du risque d’allergie à l’arachide chez les enfants ayant commencé à manger précocement de l’arachide par rapport aux autres.

La seconde étude a été publiée en 2016, aussi dans le New England Journal of Medicine. Elle porte sur 1 303 nourrissons de trois mois, ayant un allaitement maternel exclusif, divisé en deux groupes : le premier conservant l’allaitement exclusif jusqu’à six mois ; le second recevant l’introduction précoce, dès trois mois, de six allergènes alimentaires, lait de vache, arachide, œuf bouilli, sésame, poisson, blé. Pour les enfants ayant bien suivi le protocole, l’introduction précoce de ces aliments est associée à une diminution des allergies à ces produits. Dans le Lancet en 2017, une étude randomisée a porté sur des enfants de quatre-cinq mois souffrant d’eczéma. La moitié ont ingurgité de la poudre d’œufs, les autres une poudre placebo. Là encore l’introduction précoce d’œufs réduit les risques ultérieurs d’allergie. Ces grands travaux ont révolutionné la façon de prévenir les allergies.

 

TLM : Peut-on aussi réduire l’allergie aux protéines de lait de vache par une introduction précoce dans l’alimentation ?

Pr Patrick Tounian : C’est un sujet brûlant. Un travail a montré que chez les enfants allaités, l’introduction tardive de protéines de lait de vache, après quatre mois, augmentait le risque d’allergie au lait de vache. Les pédiatres allergologues de la Société française d’allergologie suggèrent désormais d’introduire très précocement le lait de vache chez ces enfants.

Certains préconisent, dès les premiers jours de la vie, une petite dose quotidienne de 10 millilitres de yaourt, lait de vache ou lait infantile. Pour l’instant, je ne me suis pas encore positionné sur ce sujet. L’idée de recommander à un enfant exclusivement allaité de recevoir du lait de vache est un peu difficile à concevoir — il est plutôt politiquement incorrect de remettre en cause le sacro-saint allaitement, et là il faut être scientifiquement correct. Or cette préconisation d’introduire du lait de vache très tôt repose principalement sur une étude qui n’est pas totalement rigoureuse.

Nous réfléchissons à lancer une étude randomisée sur ce sujet. Pour l’instant, on peut recommander par exemple une cuillère par jour de yaourt ou de lait à partir de trois-quatre mois chez les enfants en allaitement exclusif.

 

TLM : L’allergie aux protéines de lait de vache est-elle fréquente ?

Pr Patrick Tounian : Elle concerne entre 0,5 et 2 % des enfants. Ces allergies apparaissent très tôt, dès les premiers contacts avec le lait de vache, au moment du sevrage de l’allaitement. Il y a cependant quelque chose de clairement établi désormais : ce sont les « biberons dangereux ». De nombreux nouveau-nés destinés à être exclusivement allaités reçoivent à la maternité un biberon de lait infantile avec des protéines de lait de vache entières, alors que dans la grande majorité des cas il n’y a pas de justification médicale (risques d’hypoglycémie chez le nouveau-né, mère hospitalisée et ne pouvant pas allaiter, etc.).

Quand, quelques mois plus tard, la maman arrête l’allaitement et donne un biberon de lait, le fait d’avoir eu ce premier biberon multiplie par deux le risque d’allergie aux protéines de lait. Nous avons confirmé récemment ce risque accru d’allergie aux protéines de lait de vache ultérieur lié à la prise d’un complément à la maternité, dans Acta Paediatrica. Un nouveau-né qui va être allaité ne doit pas recevoir de biberon à base de protéines de lait de vache entières. Si un complément est nécessaire, ce doit être un hydrolysat poussé de protéines de lait de vache.

 

TLM : Comment se manifeste l’allergie au lait chez le nourrisson ?

Pr Patrick Tounian : Il peut s’agir d’urticaire, d’œdème, de choc allergique, de vomissements, qui surviennent rapidement lors de l’introduction du lait. Le diagnostic est facile dans ces formes IgE-médiées. Il y a d’autres formes non-IgE-médiées, avec des rectorragies, une absence de prise de poids, une courbe de croissance qui stagne ; le diagnostic est alors plus difficile. Il y a aussi, plus rarement, le syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires : 30 minutes à 6 heures après l’ingestion de lait, l’enfant est pris de vomissements incoercibles, de léthargie, de déshydratation. Le traitement repose sur l’éviction des protéines de lait de vache et sur les hydrolysats poussés des protéines de lait de vache ou les hydrolysats de protéines de riz.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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