• Pr Thibaut Desmettre : La prise en charge des urgences hémorragiques

Thibaut Desmettre

Discipline : Hématologie, Immunologie

Date : 17/01/2023


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Si le médecin généraliste a un doute, la meilleure solution est d’appeler le 15 afin de dialoguer directement avec un médecin urgentiste, pour évaluer le niveau de gravité, les mesures à initier immédiatement et décider de l’orientation du patient —si necessaire— vers un centre spécialisé, avec un moyen de transport adapté, indique le Pr Thibaut Desmettre, chef du pôle Urgences/SAMU/Réanimation du CHU de Besançon.

 

TLM : Quels sont les différents types d’hémorragie ?

Pr Thibaut Desmettre : D’une part, nous distinguons les hémorragies avec un contexte traumatique, responsables de saignements, par exemple, intracrâniens, intra-thoraciques ou abdominaux pelviens qui vont engager très rapidement le pronostic vital. Une origine traumatique peut également provoquer un saignement important par lésion artérielle localisée au niveau d’un membre. Le cuir chevelu étant très vascularisé, une plaie à ce niveau peut causer une hémorragie importante. D’autre part, il existe des hémorragies non traumatiques comme, par exemple, chez des patients traités par anticoagulants ou encore chez ceux souffrant de pathologies liées aux troubles de la coagulation.

Chez ces derniers un ou plusieurs facteurs de coagulation, intervenant dans la cascade qui conduit normalement à la formation d’un caillot, peuvent être défaillants ou absents, en raison de maladies génétiques ou de traitements inhibant certains d’entre eux. Les maladies hémorragiques rares les plus fréquentes sont l’hémophilie et la maladie de Willebrand. La fréquence de ces maladies est de 1 pour 5 000 pour l’hémophilie A et de 1 pour 30 000 pour l’hémophilie B. En France, de 5 à 7 000 patients sont hémophiles A et B. Des maladies plus rares atteignent d’autres facteurs de la coagulation comme le déficit en facteur I (fibrinogène), une maladie héréditaire très rare, ou encore un déficit en facteur II (hypoprothrombinémie) ou également en facteur V et VIII, VII, X, XI, et XIII.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge des hémorragies ?

Pr Thibaut Desmettre : Il est très important, au départ, de connaître le contexte de survenue de l’hémorragie (accident, hémorragie spontanée…) et de rechercher le terrain sur lequel survient le saignement (traitement anti-coagulant, maladie de la coagulation, fragilités, comorbidités,…). Ensuite, nous devons identifier son retentissement général sur les fonctions vitales et réaliser les premières mesures permettant de stopper le saignement. Ce sont des gestes de secourisme comme une compression sur un site, lorsque c’est possible (par exemple en cas d’épistaxis) ou des techniques d’hémostase locale. Pour les hémorragies profondes, il faut recourir à un plateau technique permettant de réaliser très rapidement le diagnostic et une intervention chirurgicale ou une embolisation. Ce sont de vraies urgences pour lesquelles le temps est un facteur pronostique fondamental. Il s’agit d’une course contre la montre pour prendre en charge ces patients dans toute la séquence diagnostique et thérapeutique. C’est le concept « du temps perdu qui ne se rattrape pas dans ces urgences-là », car le saignement actif entraîne une anémie aiguë et un état de choc hypovolémique. Concernant les maladies de la coagulation, elles ne sont pas forcément plus compliquées à prendre en charge mais nécessitent d’y penser et de rechercher, dans le cas d’un patient inconscient, sa carte ou son dossier médical, si nous y avons accès. Dans le cas contraire, nous pouvons être amenés à réaliser un dépistage.

 

TLM : Les urgences hémorragiques sontelles les plus fréquentes ?

Pr Thibaut Desmettre : La traumatologie sévère ne représente pas un pourcentage très important de patients mais elle mobilise beaucoup de personnel à la fois aux urgences et dans d’autres services puisque nous devons pouvoir faire appel très rapidement à un chirurgien, un radiologue, etc. Cela nécessite la mise en place d’une vraie coordination hospitalière. D’autre part, les hémorragies spontanées constituent également un autre challenge. En effet, nous sommes régulièrement confrontés à des patients sous traitement anticoagulant. C’est notamment le cas des personnes âgées souffrant d’arythmie.

 

TLM : Quel est le degré de mortalité engendré par les hémorragies ?

Pr Thibaut Desmettre : Nous disposons de statistiques par type de pathologies lorsqu’elles sont prises en charge à l’hôpital mais nous n’avons pas de registre général sur l’ensemble des hémorragies. Au sein de la Société française de médecine d’urgence, nous avons le souhait de mettre en place ce type de registre de façon continue afin d’alimenter notre réflexion et les actions attendues.

 

TLM : Quand le médecin de ville doit-il adresser son patient aux urgences ?

Pr Thibaut Desmettre : Dès qu’il a un doute, le meilleur moyen est d’appeler le 15 afin qu’il puisse dialoguer directement avec un médecin urgentiste. L’appel permet d’évaluer le niveau de gravité, les mesures mises en place, celles à initier immédiatement mais aussi d’orienter le patient vers le centre spécialisé —et pas forcément à l’hôpital le plus proche—, d’identifier le transport nécessaire —ambulance, équipe médicalisée— et de préparer l’arrivée de ce patient.

 

TLM : Existe-t-il suffisamment de formations aux gestes et situations d’urgence tant auprès des urgentistes qu’auprès des médecins généralistes ?

Pr Thibaut Desmettre : Nous travaillons depuis plusieurs années à des modalités d’apprentissage plus ludiques pour varier les possibilités de formation. Parmi les différents outils existant aujourd’hui, le jeu « Immergency », du laboratoire Octapharma, présente plusieurs scénarii de différentes situations hémorragiques avec des niveaux de gravité plus ou moins importants. Cet outil permet de se tester et d’évaluer soi-même ses propres capacités diagnostiques et thérapeutiques.

 

TLM : Pouvons-nous parler d’une pénurie de médecins d’urgence à l’instar des autres spécialités ?

Pr Thibaut Desmettre : Lorsque nous observons le fonctionnement des structures d’urgence aujourd’hui, nous pouvons penser qu’il faudrait plus de praticiens pour les faire fonctionner et donc former plus de médecins. Cependant une partie du flux des patients que nous voyons pourrait être prise en charge par d’autres structures, ce qui permettrait de nous recentrer sur notre cœur de métier, à savoir gérer les urgences vitales. Je pense qu’il faut repenser nos filières de prise en charge.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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