• Pr SITBON : Traiter l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique

Olivier SITBON

Discipline : Pneumologie

Date : 10/10/2021


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Grâce à la chirurgie, l’angioplastie des artères pulmonaires et un traitement médicamenteux, les possibilités thérapeutiques et le pronostic de l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique (HTP-PEC) se sont nettement améliorés, se réjouit le Pr Olivier Sitbon, du Centre de référence de l’Hypertension pulmonaire, service de Pneumologie de l’hôpital Bicêtre (AP-HP).

 

TLM : Quelles sont l’incidence et la prévalence de l’HTP-PEC ?

Pr Olivier Sitbon : L’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique (HTP-TEC) est une maladie rare, avec une prévalence de 30 à 50 personnes par million d’habitants. Il y aurait ainsi en France environ 3 000 malades atteints par cette maladie, avec 300 à 400 nouveaux cas par an. Sur le plan physiopathologique, l’HTP-TEC est caractérisée par une diminution du flux vasculaire dans les artères pulmonaires liée à l’obstruction vasculaire, et aussi par l’existence d’une microvasculopathie similaire à celle observée dans l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Les symptômes de l’HTP-TEC sont peu spécifiques, d’où le retard fréquent au diagnostic. Le premier signe, c’est une dyspnée qui se manifeste à l’effort, pouvant être confondue avec un symptôme d’embolie pulmonaire aiguë. A un stade plus avancé, une insuffisance cardiaque droite apparaît, avec œdèmes des membres inférieurs, douleurs thoraciques, hépatalgies... L’HTP-TEC concerne classiquement des patients ayant eu dans les mois ou les années précédentes un ou plusieurs épisodes d’embolie pulmonaire. Néanmoins, une fois sur deux environ, on ne retrouve aucun antécédent d’embolie pulmonaire chez ces patients. Les facteurs de risque habituels de maladie thromboembolique veineuse (comme des anomalies génétiques de la coagulation) sont rarement retrouvés.

 

TLM : Comment en fait-on le diagnostic ?

Pr Olivier Sitbon : La démarche diagnostique habituelle commence par la recherche d’une cause à une dyspnée d’effort isolée, symptôme peu spécifique. Le médecin, généraliste ou spécialiste (cardiologue, pneumologue), effectue un bilan général complet pour trouver l’origine de cet essoufflement à l’effort en partant d’examens simples comme la recherche d’anémie par exemple, à la réalisation d’examens plus spécialisés comme des explorations fonctionnelles respiratoires, un scanner thoracique, un bilan cardiaque... C’est le plus souvent l’échocardiographie qui permet de suspecter le diagnostic d’hypertension pulmonaire. Si l’hypothèse d’une HTP-TEC est envisagée, le patient est référé à un centre d’expertise. Le diagnostic d’hypertension pulmonaire sera alors confirmé par cathétérisme cardiaque droit et l’origine thrombo-embolique par une scintigraphie pulmonaire ventilation/perfusion et un angioscanner thoracique.

 

TLM : Comment évolue cette maladie ?

Pr Olivier Sitbon : Si la prise en charge est tardive, la maladie peut évoluer en quelques années vers une insuffisance cardiaque droite sévère, avec un retentissement fonctionnel important et une dyspnée majeure. Il y a bien sûr des formes plus ou moins sévères. Mais le diagnostic et le traitement précoce permettent vraiment d’améliorer les patients.

 

TLM : Comment traiter les patients atteints d’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique ?

Pr Olivier Sitbon : Première chose, le traitement fait appel à des anticoagulants qui doivent être poursuivis toute la vie et qui, s’ils ne soignent pas la maladie, visent à prévenir d’éventuelles récidives d’embolie pulmonaire. Nous préférons utiliser les antivitamines K (AVK) plutôt que les nouveaux anticoagulants oraux directs, parce que nous en avons une plus large expérience et beaucoup de recul. Ensuite, plusieurs options thérapeutiques sont possibles, en fonction de la localisation des lésions artérielles pulmonaires et de l’état général du patient. Notre service à l’hôpital Bicêtre est le centre de référence de l’hypertension pulmonaire à la tête d’un réseau de centres de compétences couvrant tout le territoire. S’agissant de la prise en charge de l’HTP-TEC, nous travaillons en étroite collaboration avec l’Hôpital Marie-Lannelongue (Le Plessis-Robinson), centre constitutif du centre de référence, également rattaché à l’Université Paris-Saclay.

 

TLM : Comment la meilleure option thérapeutique est-elle déterminée ?

Pr Olivier Sitbon : Face à un patient souffrant d’une HTP-TEC, une réunion de concertation pluridisciplinaire est toujours organisée, avec les pneumologues, les chirurgiens, les radiologues interventionnels, pour décider de la prise en charge la mieux adaptée, en fonction des résultats de l’imagerie, du retentissement hémodynamique. Le choix est dicté tout d’abord par la localisation des lésions sur le réseau pulmonaire, mais aussi par la sévérité de l’hypertension pulmonaire et l’état général du patient. La chirurgie dite endartériectomie pulmonaire est la méthode de choix et de référence. Elle donne d’excellents résultats. Mais les lésions doivent être accessibles, proximales, sur les gros vaisseaux. Il faut de surcroît que le patient ne souffre pas de comorbidités importantes. L’équipe chirurgicale de Marie-Lannelongue, qui pratique une centaine d’endartériectomies pulmonaires par an, est la seule équipe réalisant cette intervention en France, et ce depuis plus de 20 ans. Cette chirurgie est complexe, mais avec un taux faible de mortalité quand elle est réalisée dans un centre d’expertise comme celui de l’Hôpital Marie-Lannelongue. Une fois opérés les patients vont habituellement beaucoup mieux, avec des améliorations très importantes de leur hypertension pulmonaire et parfois normalisation de l’hémodynamique cardio-pulmonaire.

 

TLM : Et pour les autres patients ?

Pr Olivier Sitbon : La seconde option c’est l’angioplastie des artères pulmonaires, technique récente réalisée dans deux centres en France, à l’Hôpital Marie-Lannelongue et au CHU de Grenoble. Elle a pour objectif est de ré-ouvrir la lumière des artères pulmonaires sténosées par le matériel séquellaire endo-vasculaire, à l’aide d’une sonde à ballonnet. Contrairement à ce qui est pratiqué dans l’angioplastie coronarienne, il n’y a pas de nécessité de placer un stent après angioplastie artérielle pulmonaire. Cette technique est adaptée aux patients présentant une obstruction des artères pulmonaires de moyen calibre. Ce type de radiologie interventionnelle est pratiqué depuis sept à huit ans, avec des résultats très satisfaisants. Nous avons montré que depuis l’utilisation à plus grande échelle de cette technique, la survie globale des patients ayant une HTP-TEC s’est améliorée significativement. L’angioplastie des artères pulmonaires est le plus souvent associée à un traitement médicamenteux préalable afin d’améliorer les conditions hémodynamiques et réduire les complications de l’angioplastie (hémoptysies en particulier). Le riociguat est un vasodilatateur spécifique, stimulateur de la guanylate cyclase soluble. C’est le seul médicament à avoir une AMM dans cette indication. Il peut être poursuivi ultérieurement, après l’angioplastie et parfois après la chirurgie.

 

TLM : Et pour ceux qui ne peuvent bénéficier ni de la chirurgie ni de l’angioplastie ?

Pr Olivier Sitbon : Pour les patients non accessibles à la chirurgie ou à l’angioplastie, le traitement médical repose sur ce même médicament, le riociguat, qui améliore les symptômes et l’hémodynamique des patients. Il est pris par voie orale, trois fois par jour. Les patients vont mieux de manière générale avec ce médicament qui augmente leurs performances notamment lors de la marche, mais ils ne sont pas guéris. Aujourd’hui, l’immense majorité des patients souffrant d’HTP-TEC bénéficient de la prise en charge instrumentale, chirurgie ou angioplastie. Grâce à tous ces progrès, le pronostic de la maladie s’est nettement amélioré.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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