• Pr SEVESTRE-PIETRI : comprendre la prise en charge de la maladie veineuse thromboembolique

Marie-Antoinette SEVESTRE-PIETRI

Discipline : Cardiologie

Date : 10/01/2022


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Pour un meilleur suivi des patients, il convient de privilégier les structures proposant une « filiarisation » de la prise en charge de la maladie, conseille le Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri, chef du service de Médecine vasculaire au CHU d’Amiens-Picardie, présidente de la Société française de médecine vasculaire et coordinatrice du DES de Médecine vasculaire Hauts-de-France.

 

TLM : A quoi correspond la maladie veineuse thromboembolique ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : Elle correspond à deux pathologies : la phlébite et l’embolie pulmonaire. Il s’agit d’une maladie fréquente qui touche entre 1,5 et 2 individus pour 1 000 habitants en France. Tout le monde peut être concerné, et pas exclusivement les personnes âgées. Les femmes notamment, en raison de leur exposition aux facteurs de risque hormonaux que représentent la prise d’une contraception orale œstroprogestative et la grossesse, ou parce qu’elles sont davantage sujettes que les hommes aux maladies auto-immunes, qui constituent un facteur de risque de maladie veineuse thromboembolique. Les médecins doivent donc garder à l’esprit que cette maladie peut atteindre tous leurs patients dès lors qu’ils présentent des facteurs de risque.

 

TLM : Quels sont ces facteurs de risque ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : On en distingue plusieurs, selon qu’ils sont majeurs ou mineurs, transitoires ou permanents. La chirurgie de la hanche, d’un genou ou du rachis, par exemple, qui impose une anesthésie de plus de 90 minutes et une immobilisation post-opératoire, représente un facteur de risque majeur transitoire ; de même pour un cancer associé à un traitement par chimiothérapie, qui multiplie par 6 ou 7 le risque de thrombose. Parmi les facteurs de risque permanents, l’âge et le fait d’être un homme — ce dernier majorant surtout le risque de récidive, sans que l’on sache très bien pourquoi. Chez les femmes, à l’inverse, les facteurs hormonaux accroissent le risque, mais une fois écartés, les récidives sont rares.

 

TLM : Quid des facteurs génétiques ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : On estime que 5 % de la population générale est porteuse d’une mutation du facteur V (ou facteur de Leiden) et 2 % d’une mutation du facteur II (ou prothrombine). Ces mutations sont donc très fréquentes et sont associées à une augmentation du risque de thrombose modeste. Il faut savoir que ces anomalies génétiques jouent essentiellement un rôle de déclencheur dans la thrombose veineuse, mais qu’elles sont très faiblement associées à un risque de récidive. Les déficits en inhibiteurs de la coagulation — et plus particulièrement en antithrombine — sont bien plus souvent en cause mais ils sont beaucoup plus rares. On les recherche uniquement en cas d’antécédents familiaux ou lorsque la maladie veineuse thromboembolique survient chez une personne jeune.

 

TLM : De nouvelles recommandations de prise en charge de la maladie veineuse ont été publiées en 2019. Que préconisent-elles ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : Elles simplifient le diagnostic et le traitement d’une thrombose veineuse profonde (TVP) ou d’une embolie pulmonaire. Le diagnostic, qui doit être réalisé en urgence, repose sur la présence de signes évocateurs (une dyspnée, une tachycardie ou une douleur thoracique inexpliquées pour l’embolie pulmonaire) et l’existence de facteurs de risque, qui, combinés, permettent de déterminer une probabilité plus ou moins forte de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire. Si cette probabilité est faible, un simple dosage des D-dimères suffit à infirmer le diagnostic ; si elle est forte, ce dosage est inutile, il faut réaliser directement un examen d’imagerie — un angioscanner thoracique, une scintigraphie pulmonaire ou un échodoppler veineux des membres inférieurs.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge des patients ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : Elle repose essentiellement sur l’administration immédiate d’un traitement médicamenteux anticoagulant — soit de l’héparine de bas poids moléculaire, soit un anticoagulant oral direct —, afin de réduire le risque de mortalité. Dans le cas d’une embolie pulmonaire, les recommandations prônent une stratification du traitement en fonction de la gravité et du risque de mortalité qui varie fortement d’une situation à l’autre.

 

TLM : Comment évalue-t-on ce risque ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : La présentation clinique du patient est déterminante : une hypotension artérielle et/ou un état de choc sont associés à un risque de mortalité précoce élevé et imposent un traitement par thrombolyse et une hospitalisation en service de réanimation. En l’absence de ces signes de gravité, un score clinique pronostique permet de distinguer les patients à faible risque des patients à risque intermédiaire, dont découle la démarche thérapeutique. Ceux qui ne présentent aucun risque de mortalité précoce n’ont pas besoin d’être hospitalisés de façon prolongée, ils pourront suivre leur traitement en ambulatoire ; une hospitalisation en unité de soins conventionnels est en revanche conseillée pour les patients à risque intermédiaire faible, et en unité de soins intensifs ou en réanimation pour ceux ayant un risque intermédiaire élevé afin de pouvoir intervenir rapidement en cas de décompensation.

 

TLM : Quelle est la durée de ce traitement ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : C’est à trois ou six mois que l’on décide la durée du traitement, selon le risque de récidive du patient. De façon peut-être contre-intuitive, on considère qu’un homme sans facteur de risque a plus de chances de récidiver, on va donc privilégier un traitement au long cours avec des doses adaptées.

 

TLM : Le port d’une compression présente-t-il un intérêt ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : Oui, et même double : il soulage les symptômes en réduisant l’œdème et il aide à prévenir le syndrome post-thrombotique, associant lourdeur des jambes, démangeaisons, impatiences, atrophie blanche et dermite ocre. Ce syndrome apparaît — s’il n’est pas prévenu — 5 à 10 ans après la survenue d’une maladie veineuse. On conseille donc le port de bas jarret ou de chaussettes de compression de classe 3 ou 4 tous les jours, pendant deux ans. Et de les renouveler tous les trois à quatre mois.

 

TLM : Vous dirigez le DES de Médecine cardiovasculaire à Lille et Amiens. Que pouvez-vous nous en dire ?

Pr Marie-Antoinette Sevestre-Pietri : La médecine vasculaire est considérée depuis 2017 comme une spécialité à part entière. Ce DES propose une année commune avec la cardiologie au cours de laquelle les étudiants effectuent un stage dans ces deux disciplines, puis trois années d’étude spécifique de la médecine vasculaire — les deux premières alternant cours et stages, et la dernière comme médecins juniors. Il s’agit d’une spécialité très demandée et appréciée, notamment pour ses innovations techniques et médicales. Nous accueillons plus d’une cinquantaine d’étudiants par an, mais le nombre de médecins formés ne suffit malheureusement pas à pallier les départs à la retraite à Lille et Amiens.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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