• Pr Serge Perrot : Quelle approche thérapeutique pour les douleurs du quotidien

Serge Perrot

Discipline : Divers

Date : 08/10/2024


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Selon plusieurs études, le mal de dos et le mal de tête sont les douleurs physiques les plus fréquentes chez les adultes français.

Suivent les douleurs articulaires, musculaires, abdominales et dentaires. Comment les prendre en charge ? Le point avec le Pr Serge Perrot, directeur du Centre de la douleur, rhumatologue à l’hôpital Cochin et professeur de Thérapeutique à l’Université Paris-Cité.

 

TLM : Les douleurs les plus courantes affectent combien de personnes en France ?

Pr Serge Perrot : On estime qu’il existe 12 millions de douloureux chroniques en France. 50 à 60 % de la population mondiale aura au moins une fois mal au dos dans l’année. Les douleurs les plus courantes sont également les céphalées, les douleurs tendino-musculaires et abdominales (dues aux règles et l’endométriose notamment). Une étude a montré que les motifs de consultation les plus fréquents en médecine générale sont les douleurs de dos, les douleurs articulaires et les problèmes de peau. La douleur est le premier motif d’achat en pharmacie. Et en rhumatologie, 90 % des patients consultent à cause de leurs douleurs.

 

TLM : Quelles sont les molécules antidouleur les plus prescrites ?

Pr Serge Perrot : Le paracétamol et les AINS. Parmi ces derniers, l’ibuprofène et d’autres molécules de la même famille sont très utilisés. Au fond, nous disposons de peu de médicaments contre les douleurs courantes. Pour des douleurs plus aiguës, on peut passer à la vitesse supérieure avec les opioïdes, principalement le tramadol, la codéine et les opioïdes faibles. A partir du 1er décembre 2024, la codéine et le tramadol devront être prescrits sur des ordonnances sécurisées, afin d’éviter les mésusages.

 

TLM : Que penser de certaines alertes des autorités de santé sur le paracétamol et l’ibuprofène ?

Pr Serge Perrot : Tous les ans nous recevons des alertes sur ces deux molécules. Sont-elles pour autant dangereuses ?

Non, pas si elles sont prescrites convenablement. Le paracétamol peut entraîner des risques hépatiques en cas de surdosage et chez des patients fragiles, amaigris ou qui souffrent de plusieurs pathologies. Les AINS ont fait l’objet d’une alerte au moment du Covid. En fait les études réalisées par la suite étaient rassurantes : il n’y a pas de risques à utiliser les AINS, en cures courtes, en cas de Covid.

 

TLM : Quelle est la place des AINS dans le traitement des douleurs en médecine générale ?

Pr Serge Perrot : Ils occupent une place essentielle à condition de prescrire conjointement des thérapies non médicamenteuses. La combinaison de ces deux approches est très efficace contre les douleurs chroniques. Mais les thérapies non médicamenteuses ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale. L’activité physique, l’acupuncture, l’hypnose et la balnéothérapie ont pourtant fait leurs preuves dans ce domaine. Il faudrait les rendre accessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de se les offrir. Actuellement il existe une médecine de la douleur à deux vitesses, avec d’un côté les gens riches qui ont facilement accès aux médecins et aux approches non médicamenteuses, et les autres !

 

TLM : Comment prendre en charge les céphalées et le mal de dos ?

Pr Serge Perrot : Les céphalées se traitent avec les AINS, de façon ponctuelle. Quand il s’agit de véritables migraines, il faut aller vers les triptans et d’autres traitements spécifiques de cette maladie. Pour le mal de dos, c’est aussi les AINS. Il faut éviter les morphiniques et, dans tous les cas, privilégier des approches non médicamenteuses et une meilleure hygiène de vie. Par exemple, le mal de dos nécessite de reprendre une activité physique, de faire du renforcement musculaire, de bénéficier de séances de relaxation ou de sophrologie. Sans oublier l’adaptation du poste de travail. Mais c’est plus facile de prescrire un comprimé que de l’activité physique. Or toutes ces maladies douloureuses sont liées au mode de vie. La douleur est un signal d’alarme : le cerveau nous l’envoie pour signaler un déséquilibre dans notre vie, entre notre corps qui ne travaille pas assez et notre cerveau qui travaille tout le temps ! Il faut rééquilibrer cette situation. Pour les douleurs courantes, le meilleur médicament, c’est votre corps !

 

TLM : Les AINS sont-ils la réponse aux courbatures, aux douleurs dentaires et aux règles douloureuses, par exemple ?

Pr Serge Perrot : Les courbatures représentent un phénomène normal de réparation après des séances de sport et elles ne doivent être soulagées par des AINS que si elles sont handicapantes. En revanche, ils sont utiles pour les règles douloureuses, de façon ponctuelle.

Dans les centres antidouleur, nous utilisons aussi la stimulation électrique transcutanée : de petits appareils électriques qui permettent d’atténuer les douleurs menstruelles. Les douleurs dentaires répondent bien aux AINS : mais il faut consulter le dentiste pour régler la cause de la douleur.

 

TLM : Comment bien utiliser les AINS en médecine générale ?

Pr Serge Perrot : Ce ne sont pas des traitements au long cours. Ils doivent être prescrits sur une courte durée et accompagnés de conseils d’hygiène de vie. On prend un AINS pour pouvoir franchir une étape : bouger davantage et reprendre ses activités le plus rapidement possible.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des douleurs courantes ?

Pr Serge Perrot : Il a un rôle essentiel. D’abord celui de « coach », en quelque sorte, en améliorant le bon usage des médicaments antidouleur. Il doit s’assurer que les patients n’en prennent pas trop, qu’ils les utilisent à bon escient et qu’ils n’ont pas d‘accoutumance. Il vérifiera aussi que les patients se tournent aussi vers d’autres approches, en particulier l’activité physique. Il a aussi un rôle de lanceur d’alerte en vérifiant que ces douleurs ne cachent pas autre chose en prescrivant, si nécessaire, des analyses complémentaires, en dirigeant les patients vers le rhumatologue, le psychiatre, un centre antidouleur. Les spécialistes peuvent affiner un diagnostic et les renvoyer chez le généraliste. Dans les centres antidouleur, nous travaillons main dans la main avec les médecins généralistes.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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