• Pr SCHAEVERBEKE : De la bonne prescription des médicaments biosimilaires

Thierry SCHAEVERBEKE

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 11/07/2022


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Copies de médicaments biotechnologiques, les médicaments biosimilaires sont aussi efficaces que le princeps, et pour un coût moindre.

Toutefois tous les praticiens ne systématisent pas leur prescription. Explications du Pr Thierry Schaeverbeke, chef du service de Rhumatologie au CHU de Bordeaux.

 

TLM : Comment se définit un médicament biosimilaire ?

Pr Thierry Schaeverbeke : Un médicament biosimilaire est la copie d’un médicament biotechnologique de référence autorisé en Europe depuis plus de huit ans et dont le brevet est tombé dans le domaine public. D’un point de vue pharmaco-économique, les médicaments biosimilaires correspondent à l’application du concept de médicament générique —issu, quant à lui, de la synthèse chimique— aux biomédicaments.

Alors que dans les médicaments génériques la molécule chimique synthétisée est strictement identique au médicament princeps, dans le cadre d’un biosimilaire, l’identité stricte est impossible ; en effet, les biomédicaments, qui sont produits par génie génétique à partir d’organismes vivants, ne sont pas des produits parfaitement homogènes. Prenons l’exemple d’une séquence d’ADN d’intérêt1 que l’on positionne dans une cellule cultivée dans un fermenteur. Si les cellules vont toutes produire la même protéine de base (la même séquence d’acides aminés), les modifications post-traductionnelles (l’ajout de sucres notamment) vont varier en fonction de la vitesse de synthèse de la protéine, plus lente ou plus rapide en début ou fin de cycle de production, en fonction des nutriments apportés aux cellules... Ainsi, les biomédicaments (princeps ou biosimilaires) sont toujours des produits hétérogènes. Pour délivrer une autorisation de mise sur le marché, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) impose, sur la base de la réglementation européenne, que les variations enregistrées au niveau d’un médicament biosimilaire soient comparables à celles qui existent au sein de son médicament princeps. Et de fait, le biosimilaire et son princeps sont tellement proches qu’ils sont comparables : il n’y a pas de variation entre eux qu’il s’agisse de leurs modalités d’administration, de leur efficacité ou de leurs effets indésirables.

 

TLM : Dans quelles pathologies utilise-t-on des biosimilaires ?

Pr Thierry Schaeverbeke : Initialement, les biosimilaires étaient surtout utilisés en hématologie ou dans le cadre de la transplantation. On peut citer, par exemple, l’EPO ou l’hormone de croissance. Depuis cinq ans, on y a recours dans des pathologies telles que la maladie de Crohn, la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante ou encore la rectocolite hémorragique ou le psoriasis.

 

TLM : Quel est l’intérêt de recourir à des médicaments biosimilaires ?

Pr Thierry Schaeverbeke : L’intérêt est clairement financier. Les médicaments biotechnologiques sont onéreux. Or la différence de prix entre le biosimilaire et le princeps est de 30 %. L’économie est donc substantielle. Ainsi, le coût du traitement de la spondylarthrite ankylosante par un médicament issu des biotechnologies est de l’ordre de 10 000 euros par an pour un patient tandis que recourir à un biosimilaire génère une économie d’environ 3000 euros. En France, pour les seuls anti-TNF utilisés dans la polyarthrite rhumatoïde et la spondylarthrite ankylosante, les économies générées par une utilisation plus systématique des biosimilaires pourrait atteindre 150 millions d’euros par an !

 

TLM : Dans quelles situations prescrit-on un médicament biosimilaire ?

Pr Thierry Schaeverbeke : Il convient de distinguer deux situations. Dans la première, le patient n’a jamais été traité par un biomédicament ; il n’y a alors strictement aucune raison de prescrire un biomédicament princeps, et la prescription d’un biosimilaire devrait être systématique, sans qu’il soit nécessaire de dire au patient que le produit prescrit est un biosimilaire.

La deuxième situation est celle où le patient est déjà traité par un médicament princeps qui s’avère efficace. Il est possible de changer le princeps par un biosimilaire ; on parle alors d’interchangeabilité, acte médical consistant à remplacer un médicament biologique par un biosimilaire. Il faut en informer le patient, recueillir son accord et assurer une surveillance clinique. Le plus important est d’être transparent vis-à-vis du patient : il faut lui expliquer que le changement de médicament se justifie par des raisons économiques, et que les économies générées collectivement permettent d’assurer l’accessibilité à ce type de traitement à plus de patients. Généralement, le changement de médicament n’est pas perceptible par le patient. Il reste que dans 10 à 20 % des cas, un effet nocebo se produit : certains malades se sentent moins bien, sans que l’on puisse en objectiver les raisons (pas de reprise de l’inflammation ni des gonflements articulaires), si bien qu’il est parfois nécessaire de revenir à la molécule princeps.

 

TLM : Les biosimilaires sont-ils suffisamment prescrits en France ?

Pr Thierry Schaeverbeke : Au regard des avantages de ces médicaments, je ne le pense pas. Là-dessus la France est en retard par rapport à d’autres pays. Les pouvoirs publics ont donc fait le choix d’intéresser financièrement les praticiens, en leur versant une prime lorsqu’ils passent d’un traitement princeps à un biosimilaire. Pour ma part, je n’y suis pas favorable : j’estime préférable de mieux informer les praticiens et les patients afin qu’ils comprennent l’intérêt des biosimilaires. Pour l’heure, les pouvoirs publics n’ont pas autorisé les pharmaciens à effectuer la substitution. Et j’espère que cela restera ainsi, afin de favoriser la traçabilité et d’éviter tout risque thérapeutique. Dans le cadre d’une maladie complexe, seul le praticien qui suit le patient est en capacité de déterminer quel est pour ce dernier le meilleur traitement.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

1. On nomme ainsi un ADN préparé en vue du clonage.

Les biomédicaments

Les biomédicaments sont les médicaments ayant pour matière première de leur principe actif une source biologique. Ils se distinguent des médicaments dont le principe actif est issu de la synthèse chimique, les plus représentés dans la pharmacopée. L’avènement des biotechnologies a permis la mise au point de nouvelles générations de médicaments basées sur une véritable ingénierie du vivant. La technique de recombinaison génétique qui consiste à utiliser les capacités naturelles des cellules des êtres vivants à se répliquer a permis de créer des procédés de production biologique à l’échelle industrielle, qui ont contribué à l’essor des protéines thérapeutiques (hormones, facteurs de croissance, cytokines) dans les années 1980. En faisant produire des biomédicaments, d’abord par des micro-organismes, puis par des lignées cellulaires spécialement mises au point, l’industrie a développé par la suite des biotechnomédicaments présentant une grande spécificité d’action et une qualité optimisée qui a permis de s’affranchir progressivement des matières premières biologiques humaines et animales.

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