• Pr Saurin : Le bon usage des colorants réels et virtuels dans l’endoscopie digestive

Jean-Christophe Saurin

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 18/04/2023


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Malgré des avantages intéressants —plus facile, plus rapide, moins coûteuse—, la coloration virtuelle n’a pas détrôné la coloration réelle dans l’endoscopie digestive, où elle conserve toute sa place, estime le Pr Jean-Christophe Saurin, chef du service de Gastroentérologie du CHU Edouard-Herriot à Lyon.

 

TLM : Peut-on rappeler les indications de l’endoscopie digestive ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Cet examen permet d’analyser la muqueuse des organes digestifs (œsophage, estomac, intestin grêle, côlon, rectum) pour s’assurer qu’elle est normale ou déterminer si elle présente un début de maladie qui peut aller de l’inflammation au cancer en passant par les stades de pré-cancer.

L’un des gros avantages de l’endoscopie est que cet examen permet de tout faire en même temps : détecter une anomalie, la caractériser c’est-à-dire en donner la nature, et la traiter si besoin.

 

TLM : Le recours aux colorants est-il indispensable ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Oui, absolument. Car ils permettent de caractériser une anomalie telle une modification de la couleur ou du relief qui a été préalablement détectée par un examen soigneux à la lumière blanche. J’insiste : les colorants ne sont jamais appliqués d’emblée, sans une analyse minutieuse préalable de la muqueuse. Quant à la nature des colorants, elle dépend de l’organe examiné et des lésions que l’on recherche.

 

TLM : Que cherche-t-on à détecter au niveau de l’œsophage ?

Pr Jean-Christophe Saurin : On cherche essentiellement à mettre en évidence des lésions précancéreuses, autrement dit des dysplasies et des cancers. L’œsophage est tapissé d’une muqueuse dite épidermoïde en raison de sa ressemblance avec la composition de la peau : dans sa partie haute, la consommation excessive d’alcool et/ou de tabac peut favoriser le développement de petits cancers, des carcinomes épidermoïdes ; dans sa partie basse, à proximité de la jonction avec l’estomac, l’acidité gastrique induite par des remontées gastriques importantes, fréquentes et prolongées dans le temps peut modifier et détériorer la nature des tissus de la muqueuse qui sont alors remplacés par une muqueuse de type intestinal : c’est ce qu’on appelle l’œsophage de Barrett. L’endoscopie digestive permet de détecter la présence de cette métaplasie et d’en analyser le stade.

 

TLM : Et quels colorants utilise-t-on ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Pour cet examen, les gastroentérologues peuvent recourir à deux types de colorants réels : l’indigo carmin pour sa capacité à bien mettre en évidence le relief, ce qui est particulièrement précieux lorsque l’on recherche un œsophage de Barrett ; et le Lugol pour détecter un carcinome épidermoïde. Naturellement marron, ce colorant se fixe au collagène de la muqueuse épidermoïde et devient blanc/jaune en cas d’anomalie. Les choses sont cependant en train de changer grâce aux progrès obtenus avec les colorants électroniques ou virtuels, qui permettent de voir les vaisseaux sanguins devenus anormaux en cas de dysplasie.

 

TLM : Comment définir les colorants virtuels ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Leur principe repose sur l’exploitation des propriétés physiques et optiques de certaines bandes spécifiques du spectre de la lumière blanche. Ces colorants virtuels peuvent être obtenus de deux façons : soit par illumination du tissu avec une lumière à une certaine longueur d’onde, ce qui va révéler au sein de ce tissu des composants plus réactifs à cette longueur d’onde (autofluorescence) ou absorbant dans une plus large mesure cette longueur d’onde (NBI, également appelée imagerie spectrale en bandes étroites) ; soit par un traitement électronique du signal obtenu en lumière blanche classique (système FICE).

 

TLM : Les colorants utilisés au niveau de l’estomac sont-ils les mêmes ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Au Japon, qui est le pays expert en termes d’endoscopie et de colorants, certains gastroentérologues recourent encore à l’indigo carmin pour sa capacité à mettre en évidence les creux et les reliefs. En France, on utilise rarement ce colorant réel ; dans 98% des cas, la coloration électronique NBI est devenue le « gold standard » pour visualiser le réseau vasculaire et plus précisément les bouquets de vaisseaux anormaux ou l’absence de vaisseaux, qui caractérisent des stades de cancérogenèse plus ou moins avancés.

 

TLM : Et en ce qui concerne le côlon et le rectum ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Les choses sont plus nuancées. La coloscopie a plusieurs indications justifiant l’utilisation de chromoscopie : la recherche et la caractérisation des polypes, le suivi de maladies à haut risque de cancer comme la maladie de Lynch, et la surveillance des maladies inflammatoires de l’intestin (MICI). La détection des polypes se fait exclusivement par un examen minutieux à la lumière blanche, à l’aide d’un endoscope à très haute définition. L’usage de colorants, qu’ils soient réels ou virtuels, n’est pas nécessaire lors de cette première étape du diagnostic endoscopique. On y recourt essentiellement pour caractériser et réaliser un bilan d’extension. On utilise alors essentiellement la coloration virtuelle. Cependant la chromoendoscopie à l’aide de colorants réels, et plus précisément l’indigo carmin, conserve tout son intérêt dans la détection, la caractérisation et surtout le suivi des personnes souffrant d’une MICI, d’une polypose ou d’une maladie de Lynch.

 

TLM : Quels sont les avantages et les inconvénients des colorants réels et des colorants électroniques ?

Pr Jean-Christophe Saurin : Les deux types de colorants ont leurs avantages et leurs inconvénients : les colorants virtuels sont faciles à utiliser puisqu’ils sont intégrés directement dans le logiciel de l’endoscope et ne coûtent rien ; ils offrent le même niveau de prédiction au niveau de l’œsophage et de l’estomac ; en revanche, ils ne sont pas aussi spécifiques que les colorants réels au niveau du côlon. Ces derniers ont donc encore toute leur place, mais leur coût peut représenter un frein, notamment en médecine privée. Selon moi, l’avenir de l’endoscopie comprend sans doute en grande partie l’utilisation de l’intelligence artificielle, à la fois pour mieux détecter les anomalies, et ensuite pour en préciser la nature.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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