• Pr SAUER : Agir tôt pour freiner l’évolution de la myopie de l’enfant

Arnaud SAUER

Discipline : Ophtalmologie

Date : 11/04/2022


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L’avènement de nouveaux traitements permet de réellement freiner l’évolution de la myopie, et pas seulement de la compenser. A condition de la dépister précocement pour une prise en charge efficiente, comme l’explique le Pr Arnaud Sauer, ophtalmologue, PU-PH au CHU de Strasbourg.

 

TLM : Quelle est la prévalence actuelle de la myopie ?

Pr Arnaud Sauer : La prévalence et l’incidence de la myopie augmentent de façon continue en Europe et en France depuis une dizaine d’années, avec 30 à 40 années de retard sur le « boom » observé en Asie dans les années 1950-70. En 2000, 20 % de la population européenne présentaient une myopie stable.

Les projections montrent qu’en 2050, plus d’un Européen sur deux sera myope.

 

TLM : Une étude épidémiologique menée par le CHU de Poitiers en partenariat avec KRYS Group a été récemment publiée*. Apporte-t-elle des précisions sur le développement de la myopie ?

Pr Arnaud Sauer : Classiquement, on décrit trois pics de développement : dès l’âge de 5-6 ans chez certains enfants, puis à l’adolescence vers 10-14 ans, lors de la phase de croissance : le globe oculaire augmente de taille et devient trop grand par rapport à sa puissance réfractive. Un troisième pic plus tardif, universitaire, survient vers 18-20 ans, où les étudiants aggravent un peu leur myopie. L’étude du CHU de Poitiers montre que l’évolution de la myopie est encore plus précoce : on observe que le deuxième pic survient dès 7-12 ans.

 

TLM : Comment s’explique cette évolution de la myopie ?

Pr Arnaud Sauer : La rapidité d’évolution montre clairement que désormais les facteurs environnementaux prennent le pas sur la génétique. Il faudrait quatre à cinq générations pour objectiver une variation génétique. Là, les changements de mode de vie suffisent pour engendrer une myopie.

Une étude menée sur des populations migrant de Singapour aux USA l’a bien montré : la myopie peut se développer sur une même génération par simple changement des habitudes de vie. Ces facteurs environnementaux sont de deux ordres : une exposition à la lumière du jour insuffisante et l’utilisation accrue de la vision de près.

 

TLM : Quels sont les risques à terme ?

Pr Arnaud Sauer : Un œil myope est un œil trop long par rapport à sa puissance réfractive, il est plus fragile qu’un œil emmétrope. Il expose à des risques de décollement de rétine, de glaucome primitif à angle ouvert et de pathologies de la macula par traction ou néo-vascularisation. Ces risques augmentent très nettement au-delà d’une longueur oculaire axiale de 26 millimètres, critère désormais retenu pour définir la myopie. Les risques sont également d’ordre médico-économique : à Singapour, par exemple, le coût des complications de la myopie est de 500 millions d’euros par an. Le dépistage doit donc être le plus précoce possible, plus volontariste que par le passé puisque nous disposons maintenant de nouveaux traitements pour freiner l’évolution de la myopie et donc prévenir ces complications.

 

TLM : Quelles sont les préconisations en matière de dépistage ?

Pr Arnaud Sauer : Les tests oculaires devraient être pratiqués une première fois dans la tranche d’âge un à trois ans. Mais il n’existe pas de consensus national à ce sujet et tout dépend de la volonté des structures régionales et locales.

Le second examen a lieu normalement lors de l’entrée en CP. C’est le moment idéal pour dépister la myopie, mais là encore l’examen n’est pas toujours réalisé. Les pédiatres et les généralistes doivent donc être vigilants et ne pas hésiter à effectuer un test d’acuité visuelle. Si la vision de loin est inférieure à 10/10, il faut adresser à l’ophtalmologue pour mesure de la longueur axiale et de la courbure de cornée. Ensuite, après le CP, le diagnostic est plus simple car les enfants myopes deviennent symptomatiques : baisse de la vision de loin, difficultés pour voir le tableau à l’école, plissement du front.

 

TLM : Depuis une dizaine d’années, de nouveaux traitements freinateurs de la myopie existent. De quoi s’agit-il ?

Pr Arnaud Sauer : Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans un dogme passif de compensation de la myopie mais bien dans la prévention et le traitement. Il existe de nombreuses possibilités pour freiner l’évolution de la myopie. Depuis fin 2020, nous disposons de verres freinateurs de nouvelle génération très satisfaisants. Ils sont dotés de microlentilles qui projettent les images périphériques sur le devant de la rétine. Très bien tolérés, ils permettent une bonne freination de la myopie. Je les utilise plutôt quand l’enfant parle, afin de bien contrôler la vision. Nous disposons également de nouvelles lentilles spécifiques, de deux types : les lentilles d’orthokératologie à porter la nuit, qui remodèlent la cornée en « l’aplatissant », mais nous manquons cependant de recul ; et les lentilles souples anti-myopie, dotées elles aussi de segments de microlentilles. Ces lentilles sont très intéressantes chez les adolescents car ils sont motivés et compliants aux règles d’hygiène. Enfin, le collyre à l’atropine à faible dose (0,01 % ou 0,05 %) reste le traitement médicamenteux de référence.

Il permet une freination de la myopie de plus de 50 % et peut s’utiliser en association avec les équipements anti-myopie.

 

TLM : Quid des mesures environnementales ?

Pr Arnaud Sauer : Deux mesures sont essentielles : augmenter l’exposition à la lumière du jour et limiter le travail de près en intérieur (livres, écrans...), l’effet étant moins néfaste en extérieur. Une exposition de deux heures par jour à la lumière du jour réduit ainsi d’un tiers l’évolution de la myopie. En intérieur, une bonne méthode consiste à appliquer la règle anglo-saxonne des trois fois 20 : « toutes les 20 minutes, pendant 20 secondes, regarder à 20 pieds (environ cinq mètres) ». Cela permet de relâcher l’accommodation, de limiter la sursollicitation de la vision de près facteur d’aggravation de la myopie.

Autant de conseils à prodiguer utilement aux parents et à leurs enfants...

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

* Tricard D, et al. “Progression of Myopia in children and teenagers : a national wide longitudinal study”, British J of Opthalmology. Published Online First : 12 March 2021. doi : 10.1136/bjophtalmol-2020-318256

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