• Pr Salomon Yves Cohen : Savoir diagnostiquer et traiter une DMLA

Salomon Yves Cohen

Discipline : Ophtalmologie

Date : 10/01/2024


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Pathologie oculaire chronique atteignant la zone centrale de la rétine, la DMLA évolue à partir de 50 ans. Alors que des traitements existent déjà pour la forme exsudative, une nouvelle molécule vient renforcer l’arsenal thérapeutique.

Le point avec le Pr Salomon Yves Cohen, ophtalmologiste et professeur associé à l’Université Paris-Est Créteil.

 

TLM : Qu’est-ce que la DMLA exsudative ?

Pr Salomon Yves Cohen : Il existe plusieurs formes de DMLA. La maladie débute par une phase précoce, appelée maculopathie liée à l’âge (MLA) qui peut ensuite évoluer en formes dégénératives sous l’influence de plusieurs facteurs. On parle alors de forme atrophique ou sèche et de forme exsudative ou humide. Cette dernière se traduit par la prolifération de nouveaux vaisseaux anormaux dans la choroïde qui vont entraîner un œdème de la rétine et altérer les cellules visuelles. Ils peuvent aussi saigner et provoquer un hématome. On distingue les différents types de néovaisseaux selon leur localisation : sous l’épithélium pigmentaire (la couche profonde de la rétine), sous la rétine sensorielle ou alors à l’intérieur de celle-ci (type I, II et III). Lorsque la macula est atteinte, la vision centrale devient floue (lecture, écriture, reconnaissance des visages) alors que la vision périphérique est conservée. L’évolution spontanée de la DMLA exsudative est particulièrement rapide, puisqu’en l’espace de deux ou trois mois sans traitement, elle peut aboutir à une perte définitive de la vision centrale.

 

TLM : Quels en sont les facteurs de risque ?

Pr Salomon Yves Cohen : L’âge constitue le principal facteur de risque de survenue d’une DMLA. Elle apparaît après 50 ans et sa fréquence augmente avec l’âge. Néanmoins, l’imputabilité génétique est elle aussi très forte. Le gène le plus souvent retrouvé étant celui du facteur H du complément, impliqué dans les réactions inflammatoires et immunitaires. Sans surprise, le tabagisme et l’alimentation occidentale — trop riche en viande et en graisses — représentent eux aussi des facteurs de risques importants. Par ailleurs, la question d’une exposition à des lumières trop fortes est de plus en plus discutée.

 

TLM : Devant quels symptômes envisager une DMLA exsudative ?

Pr Salomon Yves Cohen : Des métamorphopsies (déformations des lignes droites) d’apparition récente constituent le symptôme le plus typique. Certains patients vont se réveiller avec une tâche sombre devant l’œil, liée à des hémorragies, mais ces cas sont plus rares. Idéalement, la DMLA devrait être dépistée à un stade précoce, lors d’un examen du fond de l’œil de routine. Il est essentiel d’attirer l’attention des patients pour qu’ils effectuent eux-mêmes une surveillance œil par œil à la recherche de métamorphopsies. D’autant plus que la procédure est très simple. Il suffit de cacher un œil puis l’autre, et de regarder une grille de mots croisés ou une grille d’Amsler.

S’ils voient des déformations, il y a urgence à consulter !

 

TLM : Comment poser le diagnostic ?

Pr Salomon Yves Cohen : En première intention, le recours à des techniques non invasives est privilégié, comme la tomographie à cohérence optique (OCT) de la rétine. Cet examen clé est souvent couplé à l’OCT-angiographie pour visualiser la vascularisation normale et anormale du fond d’œil sans injection de colorant. Dans les cas plus difficiles, nous sommes obligés de recourir à des examens invasifs par la voie de l’angiographie avec injection de fluorescéine et/ou de vert d’indocyanine. Une fois le diagnostic de DMLA exsudative posé, la HAS recommande de traiter dans les sept jours.

 

TLM : De quel arsenal thérapeutique disposons-nous ?

Pr Salomon Yves Cohen : Les anti-VEGF sont le traitement de première intention de la DMLA exsudative depuis 2007. Ils ont remplacé la photocoagulation au laser et la thérapie photodynamique à la vertéporfine.

Aujourd’hui, nous avons le choix entre plusieurs médicaments : le ranibizumab, l’aflibercept et, depuis peu, le faricimab. Ce dernier est le premier anticorps bispécifique à usage intraoculaire ciblant simultanément l’angiopoiétine 2 et le facteur de croissance endothélial vasculaire-A (VEGF-A). Les anti-VEGF doivent être administrés par voie intravitréenne. Même s’il s’agit d’une procédure de routine (plus d’1200 000 injections réalisées par an), cet acte nécessite des conditions d’asepsie rigoureuses. Habituellement, avec le ranibizumab et l’aflibercept, le protocole classique consistait à faire trois injections mensuelles suivies d’une évaluation. Dans l’AMM du faricimab, il est conseillé de pratiquer quatre injections initiales.

 

TLM : Le faricimab est aussi indiqué dans la prise en charge de l’œdème maculaire diabétique (OMD) ?

Pr Salomon Yves Cohen : Oui, cet anticorps bispécifique cible les deux médiateurs clés impliqués dans la pathogénèse de la DMLA exsudative et de l’OMD. En pratique, nous disposons des mêmes médicaments anti-VEGF (ou de cet anticorps) pour les néovaisseaux sous-rétiniens, qu’ils soient liés à la DMLA ou à la myopie. Ils vont également être efficaces sur les œdèmes rétiniens qui compliquent le diabète et sur les occlusions veineuses de la rétine. Dans tous les cas, ces traitements empêchent le développement des néovaisseaux et diminuent leur perméabilité. L’œdème rétinien maculaire va régresser et la rétine reprendre sa forme normale. Le principal inconvénient des anti-VEGF est leur durée d’action limitée. Dans la DMLA, la plupart des patients ont besoin de nouvelles injections entre quatre et huit semaines. Dans l’OMD, le traitement initial repose souvent sur six injections avant de commencer à les espacer. Mais ce qui est rassurant dans cette dernière affection, c’est qu’avec un traitement bien adapté au départ, il semblerait que les injections soient de moins en moins nécessaires au fil du temps.

 

TLM : Ce nouveau traitement pourrait donc permettre d’espacer la fréquence des injections intravitréennes ?

Pr Salomon Yves Cohen : Dans le cadre des protocoles qui ont validé cette molécule, des rythmes d’injections différents ont été testés. Après les quatre injections initiales, les patients ont été traités toutes les 8, 12 ou 16 semaines. Et les résultats ont révélé qu’environ 80 % d’entre eux pouvaient tenir 12 ou 16 semaines sans nouvelle intervention. Autrement dit, avec le faricimab, nous espérons pouvoir obtenir le même résultat visuel avec moins d’injections. Si tout cela est encore très récent en France, les échos en provenance des États-Unis ou de Suisse se veulent assez positifs sur le sujet.

Propos recueillis

par Romy Dagorne

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