• Pr SAINT : Cystites récidivantes : l’exigence d’une prise en charge diversifiée

Fabien SAINT

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 10/01/2022


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Face à des résistances bactériennes aux antibiotiques qui se renforcent, le diagnostic étiologique des cystites récidivantes doit être soigneusement posé, le recours aux antibiotiques judicieux et la prise en charge élargie aux alternatives thérapeutiques à l’antibiothérapie. Explications du Pr Fabien Saint, urologue et chirurgien urologue au CHU Amiens-Picardie.

 

TLM : Quelle est le profil des femmes sujettes aux cystites récidivantes ?

Pr Fabien Saint : En population générale, on observe deux pics de prévalence : la femme jeune débutant sa vie sexuelle, où les facteurs favorisants sont classiquement d’ordre mécanique, et la femme ménopausée ou en péri-ménopause, avec des facteurs d’ordre anatomiques et parfois hormonaux. Dans nos consultations urologiques du quotidien, nous observons une forte prévalence chez les femmes de plus de cinquante ans : près de 60 % d’entre elles auront au moins un épisode d’infection urinaire au cours de leur vie (25 à 50 % de ces femmes nous seront adressées pour des cystites récidivantes). Les femmes plus jeunes sont fréquemment prises en charge par nos confrères généralistes et gynécologues. A noter que chez l’homme, les cystites sont plus rares et quasiment toujours liées à une pathologie organique, le plus souvent prostatique.

 

 

TLM : Pourquoi ces récidives ?

Pr Fabien Saint : Les cystites récidivantes, définies par quatre épisodes infectieux par an ou plus, sont souvent multifactorielles. Les facteurs favorisants doivent être recherchés et corrigés chaque fois que possible. Chez la jeune femme, l’examen clinique permettra parfois de retrouver des brides hyménéales responsables d’un mouvement de traction sur l’urètre, voire une diverticulite de l’urètre, relevant tous deux d’une prise en charge chirurgicale. A la ménopause ou péri-ménopause, par exemple, il faudra évaluer la trophicité de la muqueuse vaginale, rechercher un prolapsus, vérifier s’il existe ou non un traitement hormonal. Un bilan d’imagerie (cystoscopie, endoscopie...) pourra être nécessaire, éventuellement en adressant à l’urologue, pour rechercher des calculs ou, plus rarement, des polypes vésicaux. Dans tous les cas, les facteurs d’ordre hygiéno-diététique doivent être évalués : hydratation insuffisante, constipation, port de vêtements trop serrés, mauvaise technique d’essuyage... Dans cette indication, l’hydratation est fondamentale. A elle seule, elle permet de prévenir une bonne part des récidives de cystites : 1,5 litre par jour divise par deux le risque de récidives sur l’année.

 

TLM : Quelles sont les préconisations pour la prise en charge médicamenteuse ?

Pr Fabien Saint : Tout épisode infectieux symptomatique (brûlures mictionnelles +/- pollakiurie et urgenturie) requiert une antibiothérapie, quel que soit le niveau de bactériurie. L’antibiothérapie repose sur un antiseptique urinaire ou un antibiotique (fosfomycine, pivmécillinam...) pendant trois à cinq jours. L’ECBU avec antibiogramme doit être systématique. En effet, les résistances bactériennes sont fréquentes chez ces femmes souvent traitées. C’est la raison pour laquelle les traitements antibiotiques monodoses sont proscrits en cas de récidives et doivent être réservés aux cystites aiguës ponctuelles ou très espacées dans le temps. De même, les fluoroquinolones, grandes pourvoyeuses de résistances bactériennes, ne sont plus indiquées en première intention, tant pour les cystites à répétition que pour les cystites aiguës simples, isolées. Aujourd’hui, près de 15 % des E. coli sont résistants aux fluoroquinolones. Adossé à ce traitement curatif immédiat, on adjoindra utilement une œstrogénothérapie locale en cas d’atrophie vaginale chez la femme ménopausée (Trophicrème®, Colpotrophine®...). En restaurant la lubrification vaginale, elle réduit de façon significative le risque de récidives. Enfin, afin de limiter le recours à l’antibiothérapie, donc l’émergence de résistances bactériennes, et de préserver les microbiotes des alternatives thérapeutiques sont aujourd’hui mises en avant pour prévenir les infections urinaires à répétition.

 

TLM : Quels traitements alternatifs aux antibiotiques en prévention ?

Pr Fabien Saint : Un certain nombre de compléments alimentaires sont proposés en prévention des récidives. Parmi eux, la canneberge — et ses dérivés — est la seule à avoir démontré une efficacité en préventif au travers de nombreux essais cliniques randomisés. Elle est recommandée en prévention des récidives par la HAS ainsi que par les dernières recommandations américaines AUA/CUA/ SUFU de 2019. Venu d’Outre-Atlantique, la canneberge (cranberry) inhibe l’adhésion des bactéries dotées de pili (fimbriae) à la muqueuse vésicale, facilitant ainsi leur clairance. Ces bactéries sont essentiellement des entérobactéries, principales responsables des infections urinaires : E. coli, Klebsiella... La canneberge doit être utilisée à raison de 36 mg/jour, les formes en comprimés permettant un meilleur dosage que les jus de fruits et autres préparations. D’autres compléments alimentaires existent, mais leur niveau de preuve d’efficacité est pour l’instant moindre que pour la canneberge : les probiotiques, qui apportent notamment des lactobacillus pour restaurer la flore vaginale ; le D-mannose, doté lui aussi d’une action inhibitrice sur l’adhérence des bactéries aux cellules uro-épithéliales ; l’acide hyaluronique, qui agirait comme une sorte de pansement. Citons enfin l’immunoprophylaxie vaginale, objet de nombreux travaux aujourd’hui, qui permettrait de stimuler les défenses immunitaires loco-régionales par exposition antigénique à des fragments d’E. coli et autres bacilles Gram négatif.

 

TLM : Que faire en cas d’échec ?

Pr Fabien Saint : En ultime recours, lorsque l’infection récidive malgré une recherche étiologique approfondie et un traitement curatif et préventif bien mené, on mettra en place un traitement prophylactique médicamenteux selon un schéma intermittent : antiseptique urinaire (fosfomycine, nitrofurane...) ou antibiotique à faible niveau de résistance (triméthoprime à demi-dose), à raison d’une prise une fois par semaine ou tous les 15 jours pendant trois à six mois, voire plus. Sans oublier bien sûr de maintenir associées les règles hygiéno-diététiques, tout à fait fondamentales.

Propos recueillis

par Marie Christine Tomasso

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