• Pr Sabine Roman : Diagnostic et traitement de l’œsophagite à éosinophiles

Sabine Roman

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/01/2024


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S’il est aussi proposé en première intention dans les recommandations européennes et internationales, le traitement par corticothérapie locale n’est remboursé en France qu’après échec des IPP, rappelle le Pr Sabine Roman, gastroentérologue-hépatologue à l’hôpital Edouard-Herriot (Lyon).

 

TLM : Qu’est-ce que l’œsophagite à éosinophiles ?

Pr Sabine Roman : Décrite pour la première fois au début des années 1990, l’œsophagite à éosinophiles est une inflammation œsophagienne chronique en lien avec une réponse immune de type Th2, réponse impliquée également dans la physiopathologie de l’asthme et de l’atopie. Elle peut évoluer vers la fibrose.

L’exposition à des allergènes va entraîner une fabrication de cytokines au niveau de la muqueuse œsophagienne avec une attraction des polynucléaires éosinophiles sur le site de l’inflammation.

 

TLM : En connaît-on l’incidence ?

Pr Sabine Roman : Pas de données précises en France, mais nous devons être assez proches de nos voisins suisses chez qui l’incidence est de l’ordre de 50 cas pour 100 000 par an, avec une prévalence en augmentation. Cela s’explique sans doute par une meilleure reconnaissance de la maladie aujourd’hui, mais d’autres facteurs doivent aussi expliquer cette hausse des cas diagnostiqués. La répartition géographique inégale des cas laisse suspecter des origines alimentaires. Cette maladie est plus fréquemment observée des les pays riches. Il existe une prédominance masculine (deux hommes atteints pour une femme). Enfin, si l’affection peut survenir à n’importe quel âge de la vie, le pic d’incidence est observé dans la trentaine.

 

TLM : Devant quels symptômes envisager cette pathologie ?

Pr Sabine Roman : Environ 95 % des patients atteints d’œsophagite à éosinophiles présentent une dysphagie. Les symptômes peuvent être intermittents, et des épisodes d’impaction alimentaires sont fréquemment rapportés. Les passages aux urgences ne sont pas rares. On n’observe généralement pas de perte de poids chez l’adulte. De manière générale, les patients s’adaptent à ces symptômes de façon assez remarquable. Cela explique que les symptômes soient souvent anciens (parfois 15 ou 20 ans). La durée des repas est allongée avec une mastication prolongée. La prise de boissons au cours du repas est également fréquente pour faciliter la progression du bol alimentaire.

Des patients vont éviter certains aliments ou certains comportements (dîner au restaurant, par exemple) pour limiter la survenue des symptômes. Ces conduites d’évitement entraînent finalement une altération de la qualité de vie et peuvent contribuer au retard diagnostique. Des manifestations de régurgitations, des sensations de brûlures sont parfois associées.

 

TLM : Comment poser le diagnostic ?

Pr Sabine Roman : Le diagnostic est évoqué sur la présentation clinique et sera ensuite confirmé par voie endoscopique. On peut y retrouver des aspects typiques comme des anneaux circulaires, des sténoses ou encore des sillons longitudinaux. Mais le juge de paix en matière de diagnostic, ici, est représenté par les biopsies œsophagiennes. Il est recommandé d’en pratiquer au moins six à deux niveaux différents, au niveau de l’œsophage distal et proximal. La présence d’une inflammation avec polynucléaires éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne (> à 15 éosinophiles par champ à fort grossissement) permet de poser le diagnostic. En tout état de cause, toute dysphagie (hors origine connue type angine) doit conduire à la réalisation d’une endoscopie œso-gastro-duodénale et de biopsies œsophagiennes.

 

TLM : Quel est le traitement de première intention ?

Pr Sabine Roman : Les IPP sont prescrits en première intention, avec environ 50 % des patients qui vont présenter une réponse clinique et histologique favorable. Tous les traitements aujourd’hui disponibles pour cette pathologie sont des traitements suspensifs, c’est-à-dire qu’on observe une réponse pendant la durée du traitement mais des rechutes surviennent très fréquemment à l’arrêt du traitement, avec des délais variables. D’où l’intérêt de mettre en place un traitement d’entretien. La durée de ces traitements est assez mal codifiée. En pratique, on débute par un traitement d’attaque de 8 à 12 semaines, ensuite on bascule sur un traitement d’entretien dont la durée précise n’est pas connue aujourd’hui.

 

TLM : Mais alors que faire pour les patients résistants aux IPP ?

Pr Sabine Roman : Dans ces cas une corticothérapie par voie orale sera envisagée. Auparavant, les sprays inhalés de corticoïdes prescrits dans la prise en charge de l’asthme constituaient une alternative possible (à condition de les pulvériser dans la bouche avant déglutition) ou le recours à des préparations magistrales. Aujourd’hui, le budésonide orodispersible a l’AMM pour le traitement de l’œsophagite à éosinophiles ; il est remboursé après échec des IPP. Deux prises par jour sont recommandées. Ce médicament a un effet local, sans passage systémique et présente peu d’effets secondaires.

 

TLM : Doit-on associer une stratégie d’éviction alimentaire aux traitements ?

Pr Sabine Roman : Les régimes d’éviction ont montré leur efficacité dans la prise en charge de cette affection et constituent un traitement de première ligne. Historiquement, il a été proposé d’éliminer six groupes d’aliments (lait, soja, œuf, blé, fruits à coque et poissons et fruits de mer), puis quatre, puis deux, pour finalement ne retirer que le lait. Bien qu’efficaces, les régimes d’éviction sont souvent réservés aux patients très motivés, d’autant plus qu’il est nécessaire de pratiquer des endoscopies à répétition pour observer s’il y a ou non une réponse chez le patient. Enfin, il n’y a pas de corrélation entre les résultats de tests allergologiques et la réponse au régime d’éviction. En effet, un régime d’éviction ciblé sur les allergies retrouvées à partir des tests ne fait pas mieux qu’un régime d’éviction empirique. Il n’est donc pas recommandé de réaliser de bilan allergologique sauf cas particulier.

 

TLM : Quelle place pour les biothérapies ?

Pr Sabine Roman : Différentes biothérapies ont montré un intérêt dans le traitement des œsophagites à éosinophiles. Toutefois aucune n’est encore disponible en France dans cette indication. Nous sommes en attente de la commission de transparence pour le dupilumab, qui a une AMM européenne et pourrait constituer une option efficace en cas d’échec des autres traitements cités. Mais, à mon sens, les biothérapies ne concerneront que certaines formes sévères et on ne connaît pas encore bien les conséquences de ce traitement à long terme.

 

TLM : Quel rôle pour le médecin généraliste ?

Pr Sabine Roman : Il a un rôle déterminant dans le diagnostic de cette affection et doit adresser tout patient présentant une dysphagie (hors origine connue) à un spécialiste gastroentérologue. Une fois le diagnostic posé, il peut motiver le patient sur la bonne observance de son traitement. Enfin, si la prescription initiale du traitement doit être faite par un gastroentérologue, le renouvellement peut être prescrit par un médecin généraliste.

Propos recueillis

par Elvis Journo

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