• Pr SABATE : Multifactoriel, le SII exige une approche thérapeutique individualisée

Jean-Marc SABATE

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/04/2022


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Pathologie pouvant affecter fortement la qualité de vie des patients, le syndrome de l’intestin irritable est une maladie multifactorielle. L’approche thérapeutique doit donc être individualisée. Les explications du Pr Jean-Marc Sabaté, gastroentérologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny).

 

TLM : Quels sont les facteurs qui induisent le syndrome de l’intestin irritable ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est une maladie associant des douleurs abdominales présentes depuis au moins six mois et survenant au moins une fois par semaine à des troubles du transit, diarrhée ou constipation. Le diagnostic est exclusivement clinique. Il n’y a pas de marqueur spécifique pour cette maladie. Différents mécanismes peuvent être identifiés, mais aucun n’est présent chez 100 % des patients. Les troubles de la motricité de l’intestin concernent un patient sur deux.

Des anomalies de la perméabilité ou des micro-inflammations sont présentes chez 45 % des patients, peut-être plus fréquemment chez ceux qui souffrent de diarrhées. Des anomalies du microbiote sont constatées. La dysbiose, déséquilibre de la biodiversité de la flore intestinale, impacterait les deux tiers des patients. La pullulation de bactéries au niveau de l’intestin grêle peut également être constatée de façon plus rare, tout comme des anomalies du métabolisme des acides biliaires. L’alimentation peut jouer de plusieurs façons, avec différents mécanismes. D’autres facteurs sont centraux comme les anomalies de contrôle de la douleur au niveau de la moelle épinière ou du cerveau, mais aussi l’hypersensibilité viscérale chez les deux tiers des patients. Les facteurs psychosociaux entrent aussi en ligne de compte.

 

TLM : Peut-on dire que le syndrome de l’intestin irritable est une affection multifactorielle ?

Pr Jean-Marc Sabaté : C’est vraiment le terme qui convient. Certaines études abordent un seul mécanisme et ciblent un seul traitement. Il est important d’expliquer au patient qu’il peut y avoir plusieurs mécanismes et qu’il faudra les tester en utilisant différents traitements dont l’efficacité a été démontrée : des probiotiques qui ont fait l’objet d’études randomisées en cas d’anomalie du microbiote, des traitements agissant sur la perméabilité... Les recommandations anglo-saxonnes préconisent d’expliquer au malade que sa maladie est multifactorielle. Insister par ailleurs sur le fait qu’il s’agit d’une vraie maladie et que différents mécanismes doivent être pris en considération. Un traitement administré au hasard a peu de chances de fonctionner, notamment pour les malades sévères. Le médecin doit assurer un suivi.

 

TLM : Quelle est la prise en charge du syndrome de l’intestin irritable ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Différents traitements, dont les médicaments mais aussi les probiotiques, peuvent faire partie de la première ligne de réponse. Dans certains pays comme l’Angleterre ou l’Australie, les recommandations alimentaires viennent en premier ; je considère, me concernant, qu’un régime peut être difficile à vivre... Les généralistes donnent volontiers en première ligne des antispasmodiques et des modificateurs du transit, voire des traitements pour absorber les gaz : des traitements qui ne fonctionnent pas toujours et chez tous les patients... Pour ma part, je fais confiance aux études qui ont rarement testé des associations thérapeutiques de différents traitements.

Ainsi pour les probiotiques comme pour les autres stratégies thérapeutiques j’aurai tendance à les proposer d’abord seuls, comme par exemple pour le bifidobacterium longum 35624 —dont la Socié té nationale française de gastro-entérologie (SNFGE) souligne l’intérêt—, et qui permet effectivement d’améliorer un certain nombre de patients.

Pour les probiotiques, les seuls que je préconise sont ceux qui ont fait l’objet d’études randomisées — probiotique contre placebo — et qui ont obtenu des résultats positifs. En France, il n’existe que trois à cinq probiotiques disponibles qui remplissent ces critères. Des probiotiques qu’il m’arrive de prescrire en traitement unique y compris pour des patients présentant une forme sévère de la maladie. Dans les premières études réalisées avec les probiotiques, la sévérité n’était souvent pas mentionnée et les impacts sur la qualité de vie n’étaient pas non plus pris en compte. L’étude française que nous avons menée avec la souche bifidobacterium longum 35624, et dont la publication vient d’être acceptée, compte une bonne part de patients avec une forme sévère ou une sévérité moyenne. Paradoxalement, dans cette étude plus la forme du SII était sévère, plus les probiotiques ont montré un bénéfice. Il ne faut donc pas hésiter à les utiliser dans cette situation. Dans certains cas, notamment les formes avec constipation douloureuse, il peut être pertinent de proposer plusieurs traitements car certaines médicamentations prescrites aux Etats-Unis ne sont pas disponibles en France mais on dispose de traitements améliorant pour certains le transit et pour d’autres avec un effet plus important sur les douleurs. Concernant les traitements alternatifs, une étude multicentrique en France est également en cours pour évaluer l’intérêt de l’ostéopathie. Quant à l’hypnose, il est prouvé qu’elle améliore la situation pour 50 à 60 % de patients en échec de traitement en première ligne prescrit par les médecins généralistes. L’idéal est d’apprendre ensuite au patient à pratiquer l’autohypnose, si le traitement a été efficace.

 

TLM : Quels sont les arguments en faveur du rôle du microbiote dans le SII ?

Pr Jean-Marc Sabaté : D’abord, ce sont les patients qui en parlent. Des études ont montré que la maladie est parfois apparue après la prise d’antibiotiques ou une gastro-entérite. Les techniques moléculaires qui ont été développées permettent de s’affranchir de la culture des bactéries et pointent l’existence d’une dysbiose.

Pour affirmer le rôle du microbiote, nous nous basons sur les résultats d’études expérimentales réalisées chez l’animal, et d’études thérapeutiques avec probiotiques, ainsi que celles portant sur la transplantation du microbiote fécal, bien que ces dernières enregistrent des résultats discordants.

 

TLM : Comment jugez-vous la prise en charge par les médecins généralistes ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Je pense que la prise en charge s’est améliorée ces dernières années. Il y a eu beaucoup de communications sur cette maladie. L’association des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable (www.apssii.org) contribue également à sa visibilité. Les médecins généralistes ont désormais une approche plus globale des patients, un peu moins centrée sur les traitements mais incluant l’empathie et l’écoute. Je regrette toujours cependant de voir des patients à qui leur médecin aurait pu prescrire les traitements que j’utilise personnellement en consultation. Il est important que les généralistes s’approprient tous les traitements disponibles en France. La Société nationale française de gastro-entérologie va d’ailleurs réactualiser prochainement ses recommandations pour informer les médecins, mais aussi les patients, et favoriser l’accès à des traitements qui ont fait leurs preuves.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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