• Pr SABATÉ : Cibler les traitements contre le Syndrome de l’intestin irritable

Jean-Marc SABATÉ

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 22/06/2020


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Profond retentissement psychologique, sexualité altérée, idées suicidaires : dans ses formes sévères le SII impacte fortement la qualité de vie du patient (y compris celle du conjoint). Le Pr Jean-Marc Sabaté, gastro-entérologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny, préconise des traitements personnalisés

 

TLM : Quelle est la prévalence du SII ou colopathie fonctionnelle en France ?

Pr Jean-Marc Sabaté : On estime que 5% des Français sont concernés, dont deux femmes pour un homme. Le SII est un motif de consultation très fréquent chez les médecins généralistes et les gastroentérologues. Pourtant seuls un tiers des patients consultent. Certains se détournent du système de soins en raison d’une prise en charge jugée insatisfaisante de leur pathologie.

 

TLM : Quels sont les critères de diagnostic ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Depuis 2016, la définition du syndrome associe deux symptômes : des douleurs abdominales, plus d’une fois par semaine depuis au moins 6 mois et des troubles du transit (diarrhées, constipation, parfois en alternance). Les ballonnements, bien qu’absents de cette définition, existent chez 90% des malades. Il est important de rassurer les patients en leur expliquant que le SII ne se transforme ni en cancer ni en maladie inflammatoire du tube digestif.

 

TLM : Comment établir le diagnostic ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Certains recourent à des examens ou des analyses biologiques pour écarter la possibilité d’autres maladies mais ce n’est pas obligatoire : par exemple si le patient présente les mêmes symptômes depuis 10 ans et que cela ne ressemble pas à une maladie inflammatoire, on peut ne pas réaliser d’examens. Une enquête réalisée en 2015 avec l’Assurance maladie a révélé que 50% des patients passaient une échographie inutilement. La Société française de gastroentérologie a émis des recommandations sur les examens nécessaires tout en précisant qu’il est inutile de les répéter. 

 

TLM : Comment le SII impacte-t-il la qualité de vie des patients ? 

Pr Jean-Marc Sabaté : Le retentissement psychologique de cette affection est souvent sous-estimé. Chez les patients atteints de formes sévères (20 à 25 % des cas), la qualité de vie peut être autant altérée, voire plus, que celles souffrant de la maladie de Crohn, de diabète ou de dépression sévère. Une étude anglaise montre ainsi que les idées suicidaires et les tentatives de suicide étaient plus nombreuses chez les patients souffrant de colopathies que chez ceux souffrant de la maladie de Crohn. En outre, deux tiers des patients ont une sexualité altérée. A noter encore que ce syndrome affecte le aussi conjoint du patient dans des proportions au moins aussi importantes que dans les cas de cancer en phase terminale (enquête réalisée aux USA et en France. 

 

TLM : Où en est la prise en charge ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Les traitements les plus utilisés sont symptomatiques (antispasmodiques, laxatifs, anti-diarrhéiques etc.). Toutefois, grâce à une meilleure connaissance des mécanismes de la maladie, on peut proposer des traitements ciblés. Je teste ainsi avec mes patients les plus sévères différents traitements dont l’efficacité a été prouvée dans des études randomisées contre placebo et qui ciblent un mécanisme présent dans la maladie. 

 

TLM : Quid de l’hypnose, de l’acupuncture et de l’ostéopathie ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Plusieurs études ont confirmé que l’hypnose peut améliorer 50 à 60% des patients en échec de traitement standard de première ligne. En raison de son coût, cette thérapie est toutefois réservée aux patients les plus sévères. Concernant l’ostéopathie, deux études françaises ont montré des résultats intéressants. Une étude en cours, coordonnée par une équipe de l’hôpital d’Avicenne, permettra de distinguer l’effet de la technique de l’effet placebo lié au praticien. En revanche, les résultats discordants sur l’acupuncture semblent plutôt liés à un effet placebo.

 

TLM : La piste du microbiote est-elle toujours d’actualité ?

Pr Jean-Marc Sabaté : Un microbiote anormal semble présent chez deux tiers des patients. Néanmoins, les tests d’analyse de microbiote, très chers, n’ont pour l’instant aucun intérêt, puisqu’il n’existe pas de traitement personnalisé. Les probiotiques (non remboursés) peuvent améliorer certains patients. Mais il faut prescrire uniquement ceux qui ont fait la preuve de leur efficacité dans des études contre placebo. C’est le cas par exemple de la souche bifidobacterium infantis 35624 recommandée par la Société nationale française de gastroentérologie, ou du plantarum 299v recommandée par l’Organisation mondiale de gastroentérologie. Cette année, nous démarrons une étude pour évaluer l’efficacité contre placebo de la transplantation fécale administrée sous forme de gélules de selles congelées pour traiter le SII dans sa forme sévère chez 124 patients réfractaires à au moins deux stratégies thérapeutiques. 

 

TLM : Que pensez-vous de la prise en charge par les médecins généralistes ? 

Pr Jean-Marc Sabaté : Elle évolue dans le bon sens. Le SII ne faisait pas partie des maladies les mieux considérées et nombre de médecins estimaient qu’il s’agissait d’une maladie imaginaire. Avec l’aide de notre association (Association des patients souffrant du Syndrome de l’intestin irritable, www.apssii.org), nous proposons des actions de formation par exemple lors des congrès de médecine générale, pour améliorer encore la prise en charge des patients.

 

■ Propos recueillis par Sabine Casalonga

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