• Pr S. Leprêtre : La plus-value des thérapies ciblées dans la leucémie lymphoïde chronique

Stéphane Leprêtre

Discipline : Hématologie, Immunologie

Date : 10/01/2024


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Bien tolérées, utilisées soit en monothérapie soit en combinaison par voie orale, les thérapies ciblées dans la prise en charge de la LLC induisent aujourd’hui une excellente survie globale, avec des réponses qui durent quatre, cinq, six ans, voire plus, se félicite le Pr Stéphane Leprêtre, hématologue au Centre de lutte contre le cancer Henri-Becquerel à Rouen.

 

TLM : La leucémie lymphoïde chronique est-elle de plus en plus fréquente ?

Pr Stéphane Leprêtre : La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est un cancer de la moelle osseuse qui aboutit à une prolifération de lymphocytes B, associée à des défauts de fabrication de ces lymphocytes. Les cellules qui circulent sont des lymphocytes B matures tous identiques correspondant à un clone B. La LLC correspond à un syndrome lymphoprolifératif chronique.

Cette pathologie touche essentiellement des personnes âgées. Les deux tiers des patients ont plus de 65 ans. La prévalence de la maladie augmente d’ailleurs parallèlement à l’espérance de vie. Il y a chaque année plus de 4 000 nouveaux cas diagnostiqués en France. Cette maladie, rare avant 50 ans, est à prédominance masculine : deux-tiers des patients sont des hommes. Elle peut rester indolente pendant des années et même ne jamais se manifester. Elle peut aussi se réveiller au bout d’un certain temps, parfois au bout d’une dizaine ou une quinzaine d’années.

 

TLM : Quelles sont les circonstances de découverte de la LLC ?

Pr Stéphane Leprêtre : La leucémie lymphoïde chronique est le plus souvent de découverte fortuite, lors d’un bilan sanguin pour une autre raison. La prise de sang met alors en évidence une hyperlymphocytose. En pratique, cette hyperlymphocytose est caractérisée par un taux de lymphocytes supérieur à 5 000 par millimètre cube de sang. Le diagnostic doit être aussi envisagé lorsque le taux de lymphocytes est supérieur à 4 000 à plusieurs reprises. La maladie peut aussi être identifiée lors d’un bilan pour adénopathies. L’apparition d’une anémie hémolytique auto-immune doit également faire évoquer une LLC, car les lymphocytes non fonctionnels peuvent être à l’origine d’anticorps dirigés contre les globules rouges. Par ailleurs, l’invasion de la moelle osseuse par l’hyperlymphocytose peut perturber la production des globules rouges et des plaquettes, et induire une anémie et une thrombopénie. L’exploration d’une anémie ou d’une thrombopénie peut aussi être une circonstance de diagnostic. Enfin, la LLC peut être découverte lors d’un bilan chez un patient souffrant d’infections à répétition.

 

TLM : Les patients ne sont donc pas forcément symptomatiques au moment du diagnostic ?

Pr Stéphane Leprêtre : Au moment du diagnostic, deux tiers des patients n’ont aucun symptôme. Pour ces formes asymptomatiques, une surveillance régulière tous les trois ou six mois, selon les patients, est suffisante. Dans un tiers des cas, les malades sont symptomatiques : fatigue, fièvre, perte de poids, anémie, thrombopénie, atteintes ganglionnaires… Ces patients doivent alors être traités de manière active.

 

TLM : Quel bilan faut-il faire en cas de suspicion de LLC ?

Pr Stéphane Leprêtre : Le bilan repose sur l’examen clinique, un bilan biologique, l’échographie, le scanner. Une analyse de sang spécifique, l’immuno-phénotypage par cytométrie de flux dans des centres experts, à l’hôpital et dans quelques laboratoires, permet de confirmer la clonalité des cellules B en circulation et de calculer le score de Matutes qui établit le diagnostic de LLC s’il est égal à 4 ou 5.

Aucun autre examen n’est nécessaire. En particulier, il n’y a pas lieu de réaliser un myélogramme ou une biopsie de la moelle osseuse ou des ganglions. La classification de Binet, notamment, permet de définir le stade de la maladie. La leucémie lymphoïde chronique est classée en trois stades — A, B ou C — en fonction des symptômes et de l’envahissement ganglionnaire. Le stade A, une hyperlymphocytose isolée, correspond à une LLC indolente ; les stades B et C caractérisent les formes actives de la maladie. Au stade B, l’hyperlymphocytose est associée à un envahissement ganglionnaire. Au stade C, l’hyperlymphocytose est associée à la fois à un envahissement ganglionnaire et à une insuffisance médullaire. Le traitement s’impose uniquement pour les stades B et C.

 

TLM : Comment prend-on en charge aujourd’hui les LLC symptomatiques ?

Pr Stéphane Leprêtre : Jusqu’à présent, les LLC symptomatiques étaient traitées par chimiothérapie puis par immunochimiothérapie.

Plus récemment, l’avènement des thérapies ciblées a vraiment transformé leur prise en charge. Le choix de la thérapie ciblée repose notamment sur les caractéristiques génétiques de la LLC, et en particulier, sur le statut mutationnel du gène P53 et des IGHV, gènes de la partie variable des chaînes lourdes des immunoglobulines. Ainsi l’inhibiteur oral de la tyrosine kinase de Bruton (iBtk) va bloquer une protéine spécifique et permettre de contrôler la maladie. Ce traitement par voie orale est plutôt bien toléré. Un autre traitement ciblé repose sur les inhibiteurs de BCL-2, qui bloque l’apoptose cellulaire. Le choix du traitement dépend du profil moléculaire de la maladie et des éventuelles contre-indications. Ces thérapies ciblées ont transformé la prise en charge des patients. En pratique, ces biothérapies sont utilisées soit en monothérapie sous la forme d’un traitement continu, soit en combinaison pour une durée fixe de traitement. Aujourd’hui, grâce aux thérapies ciblées, la survie globale est excellente, avec des réponses qui durent quatre, cinq, six ans, voire plus.

 

TLM : Quels sont les avantages sur la qualité de vie des patients de ces nouvelles stratégies thérapeutiques ?

Pr Stéphane Leprêtre : La prise en charge par ces thérapies ciblées disponibles par voie orale, en ambulatoire, améliore considérablement aussi la qualité de vie des patients. Il existe certains effets secondaires en fonction des molécules prescrites que le patient doit connaître. Des progrès significatifs ont été enregistrés dans cette maladie au cours des années récentes.

 

TLM : Et quelle prise en charge pour les patients asymptomatiques ?

Pr Stéphane Leprêtre : Les patients asymptomatiques souffrant d’une LLC au stade A n’ont pas besoin de traitement. Ils doivent faire l’objet d’une surveillance régulière comprenant un examen clinique tous les trois, six ou douze mois selon les cas, associée à un bilan sanguin. Ces patients sont exposés à un risque infectieux accru et doivent bénéficier de mesures de prévention des infections, notamment la vaccination contre la grippe, le Covid-19, les pneumocoques…

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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