• Pr Roman Rouzier : Les bénéfices des tests de signatures génomiques dans le cancer du sein

Roman Rouzier

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 10/01/2024


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« En cas de doute sur le risque de récidive, la signature génomique permet d’éviter une chimiothérapie quasiment une fois sur deux.

 

C’est un vrai bénéfice tant sanitaire qu’économique », indique le Pr Roman Rouzier, chirurgien spécialisé en tumeurs gynécologiques et mammaires et directeur du Centre François Baclesse (Caen).

 

TLM : Quelle est la prise en charge du cancer du sein ?

Pr Roman Rouzier : Elle est d’abord chirurgicale le plus souvent. Le retrait de la tumeur et de quelques ganglions permet d’évaluer le risque de récidive.

En fonction de celui-ci, un traitement complémentaire est proposé. La radiothérapie et l’hormonothérapie sont quasiment toujours prescrites. La grande question concerne la mise en place d’une chimiothérapie. Celle-ci évite la survie de métastases pouvant se manifester des années plus tard. Cette probabilité est évaluée sur deux critères principaux : le risque anatomique (taille de la tumeur, envahissement ganglionnaire) et biologique (génétique des cellules tumorales). Une tumeur de grade III, très proliférante avec envahissement ganglionnaire, exige une chimiothérapie alors que celle de grade I — faiblement active, < 2 cm, sans envahissement ganglionnaire — n’en nécessite pas. Entre les deux, une zone grise ne permet pas de savoir s’il faut pratiquer ou non une chimiothérapie. Pour ces femmes, les tests génomiques sont utiles.

 

TLM : La signature génomique a-t-elle un intérêt prédictif ?

Pr Roman Rouzier : Entre 15 et 20 % des patientes ayant une tumeur avec des caractéristiques similaires récidiveront sous forme de métastases alors que la majorité seront guéries. L’objectif est d’avoir une définition plus fine de ce risque à l’échelon individuel afin d’évaluer le bénéfice de la chimiothérapie.

Lorsqu’il existe un doute, la signature génomique permet d’éviter une chimiothérapie quasiment une fois sur deux. C’est un vrai bénéfice tant sanitaire qu’économique. C’est important !

 

TLM : À quelles patientes s’adresse le test génomique comme Oncotype DX ?

Pr Roman Rouzier : La HAS a défini ses conditions d’utilisation. Il est indiqué pour des tumeurs de grade II, avec pas ou peu d’envahissement ganglionnaire, de taille >1 cm, des récepteurs aux hormones et un statut HER2- (HER2+ nécessite une chimiothérapie). De 25 à 30 % des patientes pourraient ainsi bénéficier du test génomique, soit plus de 8 000 femmes par an.

 

TLM : Quel est le principe de fonctionnement de ce test ?

Pr Roman Rouzier : Une analyse standard évalue peu de dimensions (trois ou quatre gènes). Différents tests génomiques étudient plusieurs dizaines de gènes.

L’Oncotype DX teste 21 gènes. Pour celui-ci, le tissu tumoral part en Allemagne ou aux États-Unis et les résultats arrivent en une dizaine de jours.

Par exemple, si le risque de récidive à 10 ans est de 20 % et le bénéfice de la chimiothérapie de 10 %, cette dernière sera mise en place. Si le risque est de 13 % et le bénéfice de 4 %, il sera discuté avec la patiente.

En termes de démocratie sanitaire, cela compte vraiment.

 

TLM : Qu’en est-il de la fiabilité ?

Pr Roman Rouzier : Les chiffres sont robustes car ils ont été validés par des études de phase III. RxPONDER a démontré la pertinence d’Oncotype DX chez les patientes atteintes d’un à trois ganglions envahis. La survie du groupe qui avait évité la chimiothérapie grâce au test était équivalente au groupe contrôle chez qui une chimiothérapie était prescrite de façon systématique. La précédente étude TAILORx réalisée auprès de patientes sans envahissement ganglionnaire avait obtenu les mêmes résultats. Aujourd’hui, au niveau international, ces signatures génomiques sont intégrées dans les référentiels comme l’ASCO, l’ESMO…

 

TLM : Ces tests sont-ils remboursés par l’Assurance maladie en France ?

Pr Roman Rouzier : Bien que ces tests soient recommandés par la HAS, le système du RIHN (Remboursement de l’innovation hors nomenclature) ne rembourse que la moitié d’une signature génomique facturée à un établissement 1 840 euros.

 

TLM : Au niveau de l’impact économique, quel est le rapport coût/efficacité ?

Pr Roman Rouzier : Une chimiothérapie coûte entre 7 000 et 15 000 euros. Si vous réalisez quatre signatures génomiques pour un coût d’environ 8000 euros et que vous évitez une chimiothérapie, vous économisez de l’argent. Ces tests sont rentables en termes d’impact budgétaire.

C’est très facile à démontrer. Mais pour autoriser le remboursement complet, les autorités françaises ont besoin de données médico-économiques supplémentaires calculant l’impact sur le long terme, ce qui est plus complexe à modéliser.

 

TLM : Et en termes de bénéfices pour les patientes ?

Pr Roman Rouzier : Ils sont énormes ! Une chimiothérapie, c’est six mois de traitement. De surcroît, sans activité professionnelle dans la majorité des cas. Ensuite, les effets à court terme sont les problèmes de système immunitaire, d’alopécie, de nausées et vomissements et, à long terme, de leucémie et d’insuffisance cardiaque, même si ces derniers sont plus contenus grâce à un changement de modalités dans le traitement. Aujourd’hui, nous combinons les molécules en 2 x 3 cycles, ce qui est moins toxique.

 

TLM : Tous les centres proposent-ils des tests ?

Pr Roman Rouzier : Non, c’est le problème. Les petits établissements, dont l’activité de chirurgie mammaire n’est pas l’activité principale, ont moins accès aux signatures génomiques car ce sont des circuits complexes à mettre en œuvre et c’est un grand poids pour eux. Le RIHN induit une iniquité sur le territoire car il est plus facile pour un gros centre d’établir ces circuits que pour un petit centre.

 

TLM : Quelles sont les prochaines étapes ?

Pr Roman Rouzier : Je travaille depuis 18 ans sur les signatures génomiques. Les progrès sont incontestables mais nous sommes encore en retard sur le remboursement. Je relance une étude médico-économique pour mesurer l’amplitude du bénéfice économique. Il faut également organiser les circuits afin que l’ensemble des patientes puissent avoir accès à cette innovation quel que soit le lieu de prise en charge sur le territoire. L’objectif n’est pas de multiplier les chimiothérapies mais de faire des tests, sauver de plus en plus de vies et limiter le fardeau du cancer du sein. D’autre part, le dépistage est le deuxième levier. Une patiente dépistée a deux fois moins de risque de recevoir une chimiothérapie. C’est en combinant toutes ces approches que nous ferons de mieux en mieux.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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