• Pr ROMAN : Partout en France s’organiser en filières d’endométriose

Horace ROMAN

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 10/01/2022


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Sans l’investissement capital des médecins généralistes, prévient le Pr Horace Roman, chirurgien gynécologue au Centre d’Endométriose de la clinique Tivoli-Ducos de Bordeaux, il est difficile d’envisager une prise en charge efficace d’une maladie aussi hétérogène et difficile à diagnostiquer.

 

TLM : Quelle est la prévalence de l’endométriose ?

Pr Horace Roman : Polymorphe dans ses formes et ses symptômes, souvent paucisymptomatique jusqu’à passer inaperçue, cette pathologie est d’une prévalence dont il est difficile de donner une estimation exacte. Néanmoins les simulations et les études épidémiologiques s’accordent à dire qu’elle touche 5 à 10 % des femmes entre 15 et 50 ans, intervalle se situant entre leurs premières règles et leur ménopause ; par conséquent, au 1er janvier 2021 le nombre des femmes françaises qui pourraient présenter une endométriose peut avoisiner 1 360 000 pour la fourchette supérieure. Il s’agit donc d’une très forte prévalence, qui par ailleurs a probablement augmenté au cours des 40 à 50 dernières années. En effet, actuellement, les femmes n’ont le plus souvent une première grossesse qu’à l’âge de 30 ans, ce qui implique une vingtaine d’années ininterrompues de périodes de règles. En outre, les femmes d’aujourd’hui ont moins d’enfants et allaitent beaucoup moins qu’auparavant. La vie de femme moderne comporte donc des périodes de règles bien plus nombreuses que dans toute l’histoire de l’humanité. On comprendra ainsi qu’une maladie se développant à travers les règles soit maintenant bien plus fréquente et avec des formes de plus en plus graves. Par ailleurs, la multiplication des polluants et des perturbateurs endocriniens a un impact sur les maladies hormono-sensibles comme l’endométriose.

 

TLM : Sur quels signes d’alerte le médecin traitant doit-il penser à une endométriose ?

Pr Horace Roman : La place du médecin généraliste est ici particulièrement inconfortable parce qu’il se retrouve en première ligne pour diagnostiquer une maladie très hétérogène dans ses formes et manifestations. La symptomatologie, au départ, est centrée autour des règles. Dans sa forme pure l’endométriose se traduit par une symptomatologie assez typique puisqu’elle apparaît pendant les règles et, généralement, disparaît après. Mais quand l’endométriose évolue, la symptomatologie devient moins continue et moins systématisée, le diagnostic en est alors plus difficile encore. Des dizaines, voire des centaines de milliers de femmes atteintes sont peu symptomatiques, se plaignent peu et ne présentent aucun problème de fertilité, à telle enseigne que l’endométriose peut être de découverte fortuite à l’occasion d’une intervention chirurgicale pour une autre pathologie. A cela s’ajoute que cette maladie peut en mimer d’autres — syndrome du côlon irritable, maladie de Crohn, infections urinaires, etc. D’un autre côté, il existe des formes sévères, avec parfois des atteintes majeures d’organes — rectum, uretères, vessie, reins, nerfs pelviens —, les plus fréquentes étant celles infiltrant le côlon et le rectum. La maladie est alors invalidante, très douloureuse, avec des troubles en rapport avec l’organe atteint : douleurs sciatiques ou lors des rapports sexuels, troubles urinaires ou digestifs. Mais même dans ce cas le diagnostic clinique reste difficile : les patientes peuvent connaître des douleurs lors des rapports sexuels, digestives ou autres pour bien d’autres raisons que l’endométriose.

 

TLM : Comment poser alors le diagnostic ?

Pr Horace Roman : Il peut être facilité par le toucher vaginal. Toutefois bien des médecins généralistes ne le pratiquent pas, n’étant pas tous équipés d’une table gynécologique mais aussi parce que les patientes ne font état de leurs symptômes que devant leur gynécologue. En cas de suspicion le médecin traitant devra recourir à l’imagerie, en premier lieu l’échographie pelvienne qui va identifier les kystes ovariens d’endométriose. Mais si la patiente ne présente pas de kystes ou si elle est atteinte d’une endométriose profonde, l’échographie peut-être faussement rassurante et entraîner un retard au diagnostic — habituellement de 7 à 10 ans. Lorsque l’échographie est douteuse, l’IRM est de loin le meilleur examen, elle permet notamment d’identifier les lésions profondes — mais pas les formes superficielles. Je souligne qu’il faut que les examens d’imagerie soient réalisés par un professionnel expérimenté, faute de quoi l’on risque de passer à côté du diagnostic.

 

TLM : Quelle prise en charge médicale par le médecin traitant ?

Pr Horace Roman : Le traitement médical est assez limité car nous ne connaissons pas la cause des lésions d’endométriose et que nous n’avons pas de traitement médical qui puisse les cibler. Du coup, le premier geste consiste à proposer une aménorrhée par pilule progestative ou œstro-progestative en continu. Ce traitement vise à stopper l’évolution des lésions et à diminuer les symptômes. Cela dit, il ne permet pas toujours d’améliorer complètement ces derniers.

 

TLM : Quand orienter vers le spécialiste ou recourir à la chirurgie ?

Pr Horace Roman : Si la patiente reste très douloureuse, présente des lésions majeures ou si elle souhaite une grossesse — et qu’il n’est alors pas possible de la mettre en aménorrhée —, il faut l’orienter vers le gynécologue ou vers un centre d’endométriose. Le chirurgien gynécologue évaluera alors les possibilités de recourir à la chirurgie. Celle-ci est très différente en fonction de la forme de l’endométriose : elle peut être relativement aisée, par exérèse, lorsque les lésions sont assez superficielles, sur le péritoine. Mais lorsqu’elles touchent des organes comme les ovaires, le rectum, la vessie, les uretères ou le plexus sacré, le résultat dépendra de l’expertise du chirurgien.

 

TLM : Quel est l’apport du plan Stratégie nationale contre l’endométriose lancé par Olivier Véran ?

Pr Horace Roman : Face à une situation plutôt chaotique où les patients font souvent du nomadisme médical, d’un médecin à l’autre, voire entre les régions, ce plan enjoint les professionnels de santé concernés à s’organiser partout en France en filières d’endométriose, afin de structurer le parcours de soins et d’améliorer la formation. Plusieurs régions sont déjà dotées de telles filières. Dans la mienne, par exemple, nous avons créé l’Association filière endométriose Nouvelle-Aquitaine (Afena). Il est capital que les médecins de première ligne que sont les généralistes intègrent ce dispositif. Sans leur investissement il est difficile d’envisager une prise en charge efficace d’une maladie aussi hétérogène et difficile à saisir.

Propos recueillis

par Daniel Paré

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