• Pr. RIGAUD : Le Syndrome douloureux vésical

Jérôme RIGAUD

Discipline : Uro-Néphrologie

Date : 24/07/2020


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APRÈS AVOIR ÉLIMINÉ UNE CAUSE INFECTIEUSE OU UNE PATHOLOGIE PELVIENNE ORGANIQUE, ON POURRA

EN POSER LE DIAGNOSTIC ET EN FAIRE LE BILAN. DEUX EXAMENS CLÉS S’IMPOSENT ALORS : LE CALENDRIER MICTIONNEL

ET LA CYSTOSCOPIE SOUS ANESTHÉSIE GÉNÉRALE. ENTRETIEN AVEC
LE PR JÉRÔME RIGAUD, CHEF DU SERVICE D’UROLOGIE AU CHU DE NANTES

 

TLM : Que recouvre l’appellation de Syndrome douloureux vésical (SDV) ?
Pr Jérôme Rigaud :
Il s’agit de ce qu’on appelait « cystite interstitielle », désignation encore utilisée par certains mais qui n’est plus pertinente : concernant l’appellation d’un syndrome douloureux il faut commencer par mentionner celui-ci et ensuite l’organe. Selon la définition qu’en donne la Société européenne d’étude de la cystite interstitielle (ESSIC), il s’agit d’une douleur ressentie en relation avec la vessie. Ce sont donc des douleurs localisées au niveau de la sphère urologique, qui durent depuis au moins six mois, et qui sont associées à des symptômes urinaires — pollakiurie ou urgenturie. Fait important, ces symptômes interviennent avec ou sans anomalie endoscopique. En pratique il s’agit de patients présentant une pollakiurie douloureuse chronique.

 

TLM : Quelles en sont les causes ?
Pr Jérôme Rigaud :
Bien des causes ont été avancées — infectieuses, bactériennes, traumatiques, etc.— sans que l’on puisse véritablement se déterminer. En d’autres termes, le médecin n’a pas forcément à en chercher la cause, l’essentiel consistant à répondre à la plainte du patient, certains venant principalement pour une pollakiurie et d’autres pour une douleur. Et il faut distinguer deux pathologies : une véritable maladie de la paroi vésicale, avec anomalie endoscopique (ancienne « cystite interstitielle ») ; une hypersensibilité vésicale sans anomalie endoscopique mais avec un tableau douloureux plus vaste. Selon le cas le traitement sera différent.

 


TLM : Quel est le tableau clinique ?
Pr Jérôme Rigaud :
A la différence de la cystite infectieuse qui se caractérise par un tableau aigu —brûlures mictionnelles, pollakiurie, fièvre parfois et par un ECBU positif— le début du syndrome douloureux vésical est plutôt insidieux : il commence par une gêne qui va progressivement s’installer avec un inconfort douloureux souvent au premier plan.

 

TLM : Comment poser le diagnostic ?
Pr Jérôme Rigaud :
On commencera par un ECBU pour éliminer une cause infectieuse. Une échographie vésicale permettra d’éliminer une pathologie pelvienne organique, lithiase ou tumeur vésicales. Autre examen, cette fois indispensable pour la prise en charge, le calendrier mictionnel : le patient urine dans un verre gradué et note à quelle heure il le fait et, chaque fois, le volume de sa miction. Cet examen permet de déterminer la « capacité vésicale fonctionnelle », l’importance du volume uriné, s’il est variable ou constant, de savoir si le patient se lève la nuit et le volume qu’il urine alors. On calculera ainsi la diurèse des 24 heures. Face à un tableau douteux on pourra pratiquer un bilan urodynamique pour éliminer un syndrome d’instabilité vésicale. Il est important de s’intéresser aussi aux autres organes, vérifier qu’il n’existe pas de syndrome de l’intestin irritable, de douleurs gynécologiques — dyspareunie, douleurs vulvaires, etc. On vérifiera aussi s’il existe ou non un terrain douloureux plus général, migraine, fibromyalgie, maladie auto-immune, etc., car les syndromes d’hypersensibilité sont souvent caractérisés par un dérèglement plus général. Enfin l’urologue pratiquera une cystoscopie sous anesthésie générale afin de faire

un bilan vésical complet et de stratifier les patients ayant un syndrome douloureux vésical « avec » ou « sans » anomalie endoscopique.

 

TLM : Quelles informations apporte la cystoscopie ?
Pr Jérôme Rigaud : Elle est indispensable pour savoir si la vessie est normale ou non. On observera la muqueuse vésicale à la recherche de lésion de Hunner : une muqueuse blanchâtre qui se déchire et pleure le sang, signe typique d’une véritable cystopathie pariétale. Elle permet surtout de mesurer la « capacité vésicale anatomique » en remplissant la vessie au maximum sous anesthésie générale qui est de 600 à 700 ml pour une vessie normale et moins de 400 ml en cas de cystopathie pariétale. La « capacité vésicale anatomique » sera comparée à la « capacité vésicale fonctionnelle » grâce au calendrier mictionnel. Une « capacité vésicale fonctionnelle » faible avec une « capacité vésicale anatomique » normale signifie que la vessie n’est pas malade et qu’il y a une hypersensibilité vésicale. À la fin de la cystoscopie on réalise une hydrodistension de la vessie pendant cinq minutes, ce qui constitue un premier traitement.

 

TLM : Quels sont les grands axes du traitement ?
Pr Jérôme Rigaud :
En cas d’hypersensibilité, il faut en premier lieu traiter la douleur. Le traitement prioritaire, c’est l’amitriptyline à faible dose (25 mg) qu’on pourra associer à une stimulation électrique transcutanée (TENS). Comme il s’agit souvent de patients douloureux chroniques il faudra aussi savoir les adresser à un centre de la douleur pour une prise en charge globale. En cas de patients présentant une véritable maladie de la paroi vésicale, on pourra essayer des traitements locaux comme des instillations endovésicales dont l’effet n’est toujours pas démontré, des injections de toxine botulique dans la vessie ou de la neuromodulation des racines sacrées. En dernier recours, il ne faut pas hésiter à proposer un remplacement de la vessie par de l’intestin (entérocystoplastie) qui est dans des cas bien précis, le seul traitement efficace.

 

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