• Pr Rémi Sabatier : La place de la télésurveillance dans l’insuffisance cardiaque

Rémi Sabatier

Discipline : Cardiologie

Date : 17/01/2023


  • 290_photoParole_130PE_PrSabatier.jpg

En France, sur 165000 hospitalisations pour insuffisance cardiaque, moins de 6000 patients sont télésuivis après leur sortie de l’hôpital.

«Nous devons persuader médecins et patients que la télésurveillance est très utile», soutient le Pr Rémi Sabatier, cardiologue au CHU Caen Normandie.

 

TLM : Quels sont les patients insuffisants cardiaques éligibles à la télésurveillance ?

Pr Rémi Sabatier : Le programme ETAPES (Expérimentation de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé) soutient, depuis 2018, le déploiement de projets de télésurveillance, notamment auprès du patient insuffisant cardiaque (IC). Actuellement remboursée par l’Assurance maladie, cette pratique passera dans le droit commun en juillet 2023 (décret paru au Journal officiel le 31 décembre 2022). Les patients éligibles sont soit ceux ayant été hospitalisés dans les douze mois précédents (ce critère a été suspendu pendant la crise Covid et abrogé depuis décembre 2021), soit ceux à risque de complications (dyspnée ≥ 2 NYHA*, BNP > 100 ou NTproBNP >1000 pg/ml), et ce quels que soient l’origine et le type de leur IC (fraction d’éjection préservée ou altérée).

Seuls les patients très stables, n’ayant pas fait d’événements depuis longtemps, étant bien contrôlés par les traitements, ne font pas partie des critères d’inclusion.

L’objectif de la télésurveillance est en effet de maintenir un état d’équilibre chez les patients éligibles, en particulier après une hospitalisation, car nous savons que le risque d’une nouvelle décompensation est élevé.

 

TLM : Comment s’organise la télésurveillance ?

Pr Rémi Sabatier : Il existe plusieurs modes d’organisation. Dans les centres hospitaliers ou les établissements de santé, les patients IC repartent avec une tablette ou une application installée sur leur propre smartphone. Des dispositifs connectés peuvent mesurer des paramètres et les remonter directement dans l’application qui les enverra vers la plateforme de télésurveillance.

C’est le cas, par exemple, de la balance connectée pour le poids. Toutefois, rendre le patient acteur de la gestion de sa maladie est un atout considérable pour la suite. Le premier principe flèche donc l’éducation thérapeutique en lui apprenant l’autosurveillance et les signes d’alerte. Tous les jours (ou deux jours), celui-ci doit renseigner des données de santé telles que son poids, sa pression artérielle, sa fréquence cardiaque, ses symptômes et son ressenti, c’est-à-dire les « patient-reported outcomes » (PRO). Un algorithme issu du questionnaire de santé peut éventuellement générer des alertes.

Elles sont le plus souvent traitées par des infirmières spécialisées en IC (plus rarement directement par des cardiologues) qui vont conseiller le patient afin qu’il corrige son début de décompensation et l’orienter si besoin vers une consultation avec son médecin traitant ou son cardiologue. En s’autosurveillant, le patient déclenche lui-même les consultations au moment opportun (lors d’un début d’œdème, d’un essoufflement…) plutôt que d’attendre. Le suivi doit toujours être effectuer par une équipe de soins spécialisée en insuffisance cardiaque. Le médecin généraliste peut toutefois intervenir en coopération avec les infirmières spécialisées et le cardiologue. L’autre force de la télésurveillance est un facteur organisationnel en permettant de prioriser le flux de patients auprès du cardiologue.

 

TLM : Quelle est l’efficacité de cette prise en charge ?

Pr Rémi Sabatier : Après des résultats mitigés, nous avons compris qu’il fallait obligatoirement mettre en place les trois facteurs d’efficacité suivants : des équipes de soins spécialisées dans l’IC, l’éducation thérapeutique du patient incluant l’autosurveillance, un algorithme perfectionné générateur d’alertes entraînant une précision dans les réponses apportées. L’étude allemande multicentrique, randomisée, TIM-HF, incluant 1 538 patients IC hospitalisés au cours des douze mois précédents, a comparé un suivi renforcé par télésurveillance à une prise en charge classique. Après 12 mois, les résultats ont montré la réduction d’une semaine par an du nombre de jours d’hospitalisation associée à une diminution de 30% de la mortalité. Le modèle utilisé (surveillance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec un système d’urgence) n’est pas celui mis en place en France. Cependant, notre système, basé sur les heures de bureau et la participation du patient, est également efficace.

Nous l’avons montré avec une étude en vie réelle impliquant sept centres en Normandie. Nous avons suivi pendant huit ans des patients IC inclus dans le programme de télésurveillance SCAD (suivi clinique à domicile). Chez ceux adhérant à plus des deux tiers du suivi, le taux de réhospitalisation pour IC à un an était en baisse de 50% et le taux de mortalité à deux ans avait diminué de 40 %. Nous avons comparé les données collectées à la base de données de l’Assurance maladie, ce qui nous a également permis d’analyser les dépenses de santé des patients considérés. Avec la télésurveillance, pour chaque patient, nous augmentons les coûts ambulatoires d’environ 1000 euros par an mais nous réduisons les frais hospitaliers de 4200 euros par an, soit une économie de 3 200 euros à l’année. Le bénéfice en termes de coût est donc important.

Une analyse médico-économique, selon un modèle de Markov** à partir de notre cohorte et des données de l’Assurance maladie, a permis de montrer l’efficience médico-économique de la télésurveillance avec le système SCAD.

L’étude française OSICAT, randomisée, multicentrique, conduite par le Pr Galinier à Toulouse, a également montré une réduction d’hospitalisation chez les patients adhérant à plus de 70% du suivi. Nous avons ainsi trouvé le même critère d’efficacité : la télésurveillance est efficace chez les patients répondant à plus des deux tiers des questions.

 

TLM : Quel est le montant des forfaits pris en charge par l’Assurance maladie ?

Pr Rémi Sabatier : Le forfait du prestataire technique est de 300 euros par période de six mois ; celui du cardiologue télésurveillant de 110 euros par période de six mois ; celui de l’accompagnement thérapeutique par l’Infirmière diplômée d’Etat (IDE) de 60 euros sur la même période et pour au moins trois séances.

Nous attendons les nouveaux forfaits de prise en charge de droit commun.

 

TLM : La télésurveillance est-elle actuellement suffisamment prescrite ?

Pr Rémi Sabatier : Après une décompensation cardiaque, un patient doit bénéficier d’une télésurveillance à domicile. Or actuellement moins de 10% des malades sortant de l’hôpital sont télésuivis. C’est une perte de chances pour les autres.

Nous attendons impatiemment l’extension de la télésurveillance à plus large échelle. Avec moins de 6000 patients par an télésuivis sur 165000 hospitalisations pour IC, nous estimons qu’entre 80 000 et 150 000 patients IC supplémentaires pourraient en profiter. Nous devons convaincre médecins et patients que la télésurveillance est très utile. Elle permet de libérer du temps médical dont nous manquons et de réaliser des économies à court terme.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

* La classification NYHA (New-York Heart Association) permet de classer la gravité des insuffisances cardiaques. ** Le modèle de Markov caractérise les mouvements ou transitions d‘une cohorte de patients à travers les états de santé possibles.

  • Scoop.it