• Pr RAYNAUD-SIMON : Ce que préconise la HAS contre la dénutrition des personnes âgées

Agathe RAYNAUD-SIMON

Discipline : Gériatrie

Date : 10/01/2022


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Perdre du poids en vieillissant n’est pas anodin. Passé 70 ans, un amaigrissement de plus de trois kilos doit alerter et conduire à un examen approfondi pour proposer une prise en charge précoce, rappelle le Pr Agathe Raynaud-Simon, cheffe du service de Gériatrie à l’hôpital Bichat (Paris).

 

TLM : Il n’est pas rare d’entendre dire qu’il n’y a rien d’anormal à perdre du poids en vieillissant. Que faut-il en penser ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : C’est effectivement une idée reçue encore très tenace dans l’esprit des gens, et même de certains professionnels de santé. Cette assertion est pourtant totalement fausse ! Il n’est pas normal de perdre du poids lorsque l’on est âgé. On estime d’ailleurs qu’une perte pondérale de plus de trois kilos chez une personne de plus de 70 ans doit impérativement alerter et conduire à consulter.

 

TLM : Quelles peuvent être les conséquences d’un tel amaigrissement ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : La dénutrition s’accompagne d’un accroissement de la morbidité (chutes, fractures, hospitalisations, infections nosocomiales), de la perte d’autonomie et de la mortalité, quelle que soit la cause de la dénutrition. Qui plus est, ces complications sont elles-mêmes des facteurs de dénutrition, installant les personnes âgées dans un cercle vicieux qui peut accélérer la fin de vie. Plusieurs études ont montré qu’une dénutrition chez une personne âgée hospitalisée pouvait entraîner des complications péri-opératoires et augmenter le risque d’infections nosocomiales. À l’inverse, sa prise en charge réduit le risque de réadmission et, chez les personnes qui vivent à domicile, limite celui d’être hospitalisées.

 

TLM : Comment pose-t-on le diagnostic de la dénutrition ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : La Haute Autorité de santé vient de publier de nouvelles recommandations en matière de diagnostic de la dénutrition chez les personnes âgées de 70 ans et plus. Il repose exclusivement sur l’examen clinique, qui doit permettre de repérer l’association d’au moins un critère phénotypique et un critère étiologique expliquant la cause de la dénutrition. La HAS a fixé trois critères phénotypiques : une perte de poids (supérieure à 5 % du poids initial en un mois, à 10 % en six mois ou à 10 % par rapport au poids d’avant la maladie le cas échéant) ; un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 22 kg/m2 ; une sarcopénie confirmée. Les critères étiologiques sont une réduction des apports alimentaires, l’existence d’une maladie aiguë ou chronique, ou encore des maladies digestives avec malabsorption.

 

TLM : Pourquoi la HAS a-t-elle décidé de réviser les recommandations de diagnostic de la dénutrition chez les moins de 70 ans ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : Les dernières recommandations concernant cette population dataient de 2007. Or, en France, les recommandations concernant les adultes de moins de 70 ans venaient d’être révisées et celles concernant les enfants venaient d’être créées, toutes deux en conformité avec la nouvelle approche décidée trois ans plus tôt au niveau mondial. Il s’agissait donc d’être cohérent avec l’ensemble des recommandations, et ce tout au long de la vie des patients.

 

TLM : Quoi de nouveau dans ces recommandations ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : Le seuil en-dessous duquel l’IMC est considéré comme problématique a été relevé de 21 à 22 kg/m2, mais c’est surtout par souci d’harmonisation avec les recommandations européennes ; les deux véritables changements concernent la sortie du MNA (Mini Nutritionnel Assessment) et de l’hypoalbuminémie comme critères diagnostiques de la dénutrition. Le premier sert désormais uniquement au dépistage et à l’orientation du diagnostic, tandis que le second devient un critère de sévérité de la dénutrition. Les experts ont considéré, à juste titre, que l’hypoalbuminémie n’est pas un bon critère nutritionnel : il n’est pas associé aux apports alimentaires en protéines, ni à la masse musculaire ; en revanche, il reflète une rupture dans l’équilibre du métabolisme des protéines et témoigne, à ce titre, d’une sévérité de l’état de dénutrition.

 

TLM : La HAS propose également des outils pour diagnostiquer la dénutrition chez les personnes obèses...

Pr Agathe Raynaud-Simon : En effet. Et c’est toute l’originalité de ces nouvelles recommandations. Environ 17 % des personnes âgées de 70 ans et plus en France sont obèses. Or on peut être obèse et souffrir de dénutrition. Pour en faire le diagnostic dans cette population, on utilise les mêmes critères que chez l’adulte, sauf l’IMC qui n’a aucune valeur indicative. Dans ce cas, on s’appuie sur la perte de poids et, éventuellement, la sarcopénie.

 

TLM : Les recommandations de la HAS sous-entendent que la dénutrition est insuffisamment diagnostiquée en France. Qu’en est-il ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : Elle n’est effectivement pas suffisamment recherchée, ni en ville où l’on estime de 5 à 10 % la proportion de patients âgés dénutris, ni à l’hôpital où la proportion s’élève à 30 %, ni en EHPAD où elle atteint 35 %. C’est pourtant un enjeu majeur car, on l’a vu, la dénutrition est directement corrélée à la perte d’autonomie.

 

TLM : Comment prend-on en charge un patient âgé dénutri ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : Le plus grand défi réside dans la difficulté de faire manger quelqu’un qui n’a pas faim ! Nous disposons cependant de plusieurs stratégies pour y parvenir : d’abord, en privilégiant une alimentation faisant la part belle aux produits riches en calories et en protéines. Les apports protéiques sont essentiels : si les personnes âgées n’aiment pas la viande ou ont des difficultés à en manger, les œufs ou le poisson sont aussi riches en protéines. On complète par une collation au goûter, avec des aliments qui font plaisir. Cette notion est essentielle pour redonner aux patients l’envie de manger. Si cela ne suffit pas, notamment en situation aiguë, on n’hésite pas à associer des compléments nutritionnels oraux (CNO). Sur prescription médicale, ils font partie du traitement de la dénutrition et montrent aux patients que manger est un soin. On peut aussi adresser les patients à un diététicien, mais l’absence de remboursement par l’Assurance maladie constitue malheureusement un frein majeur.

 

TLM : Quel message en direction des médecins généralistes ?

Pr Agathe Raynaud-Simon : Ils doivent peser leurs patients à chaque consultation. Perdre du poids en vieillissant n’est pas normal ; et, au-delà de trois kilos, il faut s’inquiéter et procéder à un examen clinique et éventuellement des examens complémentaires pour comprendre les causes de cet amaigrissement. La prise en charge simultanée des problèmes de santé couplée à une alimentation adaptée permettra de prévenir la dénutrition et ses conséquences. Il en va de la préservation de l’autonomie des personnes âgées.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

Lire par ailleurs l’interview de Béatrice Dorigny en page 111.

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