• Pr Raphaële Germi : CMV : Ce qu’il faut savoir des derniers traitements prophylactiques

Raphaële Germi

Discipline : Infectiologie

Date : 10/01/2024


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« Avec les antiviraux prescrits à titre prophylactique en post-greffe, les réactivations du CMV (infections à cytomégalovirus) précoces ont significativement diminué », indique le Pr Raphaële Germi, pharmacien biologiste du service de Virologie du CHU Grenoble-Alpes.

 

TLM : Quelle est la particularité du CMV ?

Pr Raphaële Germi : Ce virus est de la famille des Herpesviridæ, comme l’herpès simplex et le varicelle-zona, et de la sous-famille des Beta-Herpesvirinæ comme le virus HHV-6. Ces gros virus à ADN sont ubiquitaires. Ils se distribuent dans tous les tissus et dans tous les fluides — urines, salive, lait maternel, sperme, sécrétions vaginales, larmes — et se transmettent très facilement. À la crèche, les enfants et les puériculteurs(trices) y sont particulièrement sujets.

 

TLM : Quelle est sa prévalence en France ?

Pr Raphaële Germi : Grâce à un niveau d’hygiène global, la séroprévalence a diminué depuis 10 ans passant de 60 % à 40 % aujourd’hui.

 

TLM : Le CMV est-il persistant ?

Pr Raphaële Germi : Il établit une latence dans son hôte. Une fois infecté, un individu le restera toute sa vie durant et fera des petites réactivations périodiques. D’autre part, l’immunodépression est un élément favorisant les réactivations de ces virus endogènes. Les immunodéprimés ont tendance à avoir des réactivations du CMV qu’elles soient symptomatiques ou non. Durant sa latence, ce virus est plutôt dans le système réticulo-endothélial.

 

TLM : Quelle est la symptomatologie ?

Pr Raphaële Germi : Que ce soit en primo-infection ou en réactivation, la majorité des personnes infectées par le CMV sont asymptomatiques ou paucisymptomatiques. D’autres peuvent avoir des symptômes généraux tels que de la fièvre, une altération de l’état général associées à une cytopénie, voire à une élévation des transaminases. C’est « le syndrome CMV ». Comme le virus peut se répliquer dans tous les tissus il peut provoquer des colites à CMV (tissus digestifs), des pneumopathies à CMV (tissus pulmonaires), des rétinites à CMV au niveau oculaire, etc.

 

TLM : Quelle conduite à tenir chez l’immunodéprimé et la femme enceinte ?

Pr Raphaële Germi : Cette infection est particulièrement problématique chez l’immunodéprimé et la femme enceinte, qui risque de la transmettre à son fœtus.

Chez l’immunodéprimé, l’objectif est de détecter une réactivation du virus ou une primo-infection. Dans tous les cas, il faut procéder à un diagnostic direct dans les tissus ou dans le sang. Concernant les infections materno-fœtales, la problématique est de mettre en évidence une primo-infection chez la mère. En effet, n’ayant pas encore produit d’anticorps, la mère a plus de risque de transmettre le virus au fœtus. La sérologie différencie une primo-infection d’une réactivation. Le prélèvement du liquide amniotique établit le diagnostic direct de certitude de l’infection d’un fœtus.

 

TLM : Quelles prophylaxies mettre en place chez les patients greffés ?

Pr Raphaële Germi : La prophylaxie médicamenteuse est utilisée en post-greffe chez les personnes immunodéprimées afin d’éviter les réactivations d’un CMV venant du receveur séropositif ou du donneur séropositif. Avant l’existence de la prophylaxie, 20 à 40 % des greffés faisaient des réactivations CMV. Aujourd’hui, avec les antiviraux prescrits à titre prophylactique en post-greffe (généralement pour trois mois), les réactivations CMV précoces ont significativement diminué.

Les greffés d’organes solides et les greffés de cellules souches hématopoïétiques ont des prophylaxies différentes. Le valganciclovir (prodrogue du ganciclovir, utilisé par voie orale) est la référence pour la prophylaxie anti-CMV chez le receveur d’organes solides, dans les situations de D+R-, R+ D+, R+ D-. Ce sont des inhibiteurs de la polymérase du virus. Cependant, le valganciclovir est une molécule hématotoxique qui n’est donc pas utilisée dans les greffes de cellules souches hématopoïétiques sauf dans les cas exceptionnels de risque aggravé de réactivation du virus. Deux autres inhibiteurs de la polymérase, le foscarnet et le cidofovir ont des effets indésirables majeurs et ne sont pas utilisés en prophylaxie. Il n’existait donc aucun traitement prophylactique en greffe de moelle. L’aciclovir était utilisé mais c’est une molécule active contre les réactivations herpétiques et de la varicelle-zona qui est très peu efficace contre le CMV. Et, depuis 2021, une nouvelle molécule, le létermovir, un inhibiteur du complexe terminase de l’ADN du CMV, a obtenu l’AMM en prophylaxie chez le greffé de cellules souches hématopoïétiques. Ce traitement est indiqué en prophylaxie primaire, juste après la greffe, et en prophylaxie secondaire, après le traitement d’une réactivation. La prophylaxie secondaire avec le létermovir intervient après avoir négativé la charge virale du CMV avec une autre molécule antivirale.

 

TLM : Et chez la femme enceinte ?

Pr Raphaële Germi : Jusqu’à présent, nous n’avions pas de solution. Le ganciclovir et le valganciclovir ne sont pas utilisables chez la femme enceinte car ils sont fœtotoxiques et tératogènes au même titre que le foscarnet et le cidofovir. C’est pourquoi il n’existe pas de dépistage massif. L’infection à CMV chez la femme enceinte est compliquée car certains nouveau-nés vont rester asymptomatiques toute leur vie, d’autres développeront des séquelles tardives bien qu’asymptomatiques au départ, d’autres encore vont être symptomatiques au départ et gérer l’infection sans séquelles. Le risque est d’aller vers l’interruption thérapeutique de grossesse sans justification.

Aujourd’hui, des confrères français ont montré, à travers des études, que l’aciclovir peut être utilisé chez la femme enceinte pour limiter la transmission au fœtus et les séquelles chez le nouveau-né. Habituellement prescrite contre l’herpès et le varicelle-zona, cette molécule, donnée à forte dose (8g/jour), serait efficace en cas d’infection CMV prouvée chez la mère au risque cependant d’effets rénaux majeurs. Ce traitement diminue le risque de transmission et de séquelles au fœtus en cas de primoinfection de la mère sans avoir un effet toxique sur celui-ci.

Une étude, utilisant le même schéma thérapeutique chez la femme enceinte avec primo-infection au CMV, est également en cours avec le létermovir. Je n’ai pas connaissance des résultats pour l’instant. Ce n’est pas à proprement parler une prophylaxie mais en quelque sorte une prophylaxie anti-transmission.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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