• Pr RAHERISON-SEMJEN : Prise en charge de l’asthme modéré à sévère

Chantal RAHERISON-SEMJEN

Discipline : Pneumologie

Date : 10/01/2022


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La SPLF (Société de pneumologie de langue française) a récemment publié le Livre blanc « Asthme et inégalités - Le Pacte pour les patients - 33 propositions pour une meilleure prise en charge de l’asthme et de l’asthme sévère ». Le Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue au CHU de Bordeaux, est la présidente de cette société savante.

 

TLM : Comment le médecin traitant doit-il aborder le patient asthmatique ?

Pr Chantal Raherison-Semjen : Il y a une question essentielle que le médecin aura à se poser d’entrée de jeu : le patient est-il susceptible de présenter une forme grave ou de décéder de l’asthme ? Un patient consommant une grande quantité de ventoline — plus d’un flacon par mois —, qui a déjà été admis aux urgences ou en réanimation fût-ce une fois dans sa vie, devra bénéficier d’une attention toute particulière et être adressé au spécialiste dès que possible. Ce sera aussi le cas d’un patient présentant une allergie alimentaire, facteur de risque de crise sévère. Il existe encore chaque année en France quelque 900 décès liés à l’asthme. Il s’agit souvent de patients sans traitement de fond et dont le suivi médical est inexistant ou erratique. L’éducation thérapeutique revêt donc ici un rôle essentiel : faute d’avoir compris ce qu’est l’asthme et que son caractère chronique impose au long cours un traitement quotidien, bien des patients ont tendance à diminuer voire à arrêter ce dernier dès qu’ils vont bien. Il faut aussi expliquer au patient à quoi sert son traitement et lui apprendre à se servir correctement de son ou ses dispositifs d’inhalation car sinon le produit risque de ne pas être absorbé à dose efficace, voire pas du tout. On pourra, pour ce faire, s’appuyer sur des vidéos et des liens Internet, ressources accessibles aux professionnels de santé et aux patients, par exemple via le site de la SPLF.

 

TLM : Quels sont les objectifs du traitement de fond du patient asthmatique ?

Pr Chantal Raherison-Semjen : In fine l’objectif du traitement de fond consiste bien entendu à améliorer la qualité de vie du patient, que ce dernier puisse avoir la vie la plus normale possible, en particulier faire du sport et vaquer normalement à ses occupations. Il faut fixer, en concertation avec le patient, des objectifs thérapeutiques repérables par ce dernier : s’il est par exemple gêné lors de l’exercice sportif, il faudra vérifier, deux à trois mois après l’instauration du traitement, que la gêne a disparu. Deux familles de médicaments sont principalement utilisées dans le traitement de fond : corticoïdes et bronchodilatateurs à longue durée d’action, tous deux sous forme inhalée et d’administration quotidienne. Il permet de réduire les poussées inflammatoires, et par là de diminuer le recours à la corticothérapie orale, puisque cette dernière, répétée dans le temps, peut avoir des effets secondaires sur le moyen ou le long terme. Il faut remettre de surcroît une ordonnance spécifique précisant la conduite à tenir en cas de crise d’asthme : augmenter la prise des bronchodilatateurs d’action rapide, souffler dans son débitmètre de pointe, et en cas de chute notable, 40 % par rapport à la valeur habituelle, se rendre aux urgences. Si une crise ne cède pas malgré des prises répétées de bronchodilatateurs d’action rapide, on prescrira une corticothérapie orale de cinq à huit jours. Il est d’ailleurs bon que le patient détienne également une prescription anticipée de corticothérapie orale pour qu’il soit en mesure de démarrer ce traitement, surtout si son médecin traitant n’est pas joignable.

 

TLM : Comment évaluer l’efficacité du traitement ?

Pr Chantal Raherison-Semjen : Le médecin traitant se fondera pour cette évaluation sur ce que l’on appelle les critères de contrôle de l’asthme, lesquels peuvent se traduire en quatre questions simples. Au cours des sept jours précédents : Y a-t-il eu gêne, sifflements, crise d’asthme ? Le patient a-t-il été réveillé la nuit à cause de l’asthme ? A-t-il eu recours aux bronchodilatateurs ? A-t-il présenté des exacerbations et selon quelle fréquence ? Un asthmatique doit avoir eu au moins une fois dans sa vie, sinon régulièrement, une spirométrie — nombre de patients n’en ont jamais eu. Cet examen, qui mesure le calibre des voies aériennes, permet de corréler symptômes et traitements à la fonction respiratoire et d’apprécier globalement la sévérité et le pronostic de la maladie. Si le médecin traitant ne dispose pas de spiromètre, il pourra recourir au débit expiratoire de pointe (DEP) et procéder à une épreuve de réversibilité en administrant un bronchodilatateur après mesure du souffle.

 

TLM : Que faire en cas d’aggravation ?

Pr Chantal Raherison-Semjen : Après avoir vérifié que le patient est observant et qu’il sait se servir de son dispositif d’inhalation, on pourra augmenter le traitement de fond, corticoïdes inhalés comme bronchodilatateurs de longue durée d’action. On évaluera l’efficacité de cette augmentation deux à trois mois plus tard. Conjointement on s’interrogera sur les facteurs de mauvais contrôle. Certains, d’ordre environnemental, sont évidents et peuvent être décelés à l’interrogatoire : saison pollinique chez un sujet allergique aux pollens, pic de pollution, etc.

 

TLM : Quand adresser au spécialiste ?

Pr Chantal Raherison-Semjen : On adresse au spécialiste lorsque la cause d’une aggravation n’est pas évidente ; ou en cas d’asthme sévère, c’est-à-dire mal contrôlé malgré un traitement de fond au maximum, ou s’il y a eu deux cures de cortisone par voie orale au cours des 12 derniers mois. Le spécialiste commencera son bilan en s’assurant qu’il s’agit bien d’un asthme et non d’une autre maladie : BPCO, vascularite, maladie auto-immune, syndrome d’hyperventilation, voire dysfonction des cordes vocales mimant un asthme — le patient siffle ou est gêné pour respirer. À l’issue de ce diagnostic différentiel, le spécialiste pourra être amené à proposer, dans l’asthme sévère, des biothérapies ou thérapies ciblées en fonction du phénotype de l’asthme. Cette démarche personnalisée va permettre au patient d’améliorer sa qualité de vie, de ne plus avoir de crise d’asthme et de ne plus recourir à la corticothérapie générale.

Propos recueillis

par Daniel Paré

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