• Pr PONCHON : Usages des colorations réelle et virtuelle dans l’endoscopie digestive

Thierry PONCHON

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/01/2022


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Le diagnostic des lésions de l’œsophage, de l’estomac et du tube digestif fait appel à la chromoendoscopie, récemment complétée par la coloration virtuelle. Avantages et inconvénients de ces deux techniques avec le Pr Thierry Ponchon, gastro-entérologue à l’hôpital Edouard-Herriot (Lyon).

 

TLM : Comment définir les différentes étapes du diagnostic endoscopique ?

Pr Thierry Ponchon : On en distingue trois. La première correspond à la détection de l’anomalie. Son objectif est d’identifier une anomalie tissulaire de relief ou de couleur sur une muqueuse qui présente ou non un certain risque. Par exemple déceler un polype dans le côlon, repérer une muqueuse de type glandulaire dans l’œsophage, trouver un nodule au sein d’un œsophage de Barrett, ou un ulcère dans l’estomac. La deuxième correspond à la caractérisation de l’anomalie. Elle permet de donner la nature de l’anomalie tissulaire détectée : un polype adénomateux, un nodule cancéreux, ou encore un ulcère bénin. Jusqu’à présent, le meilleur outil pour la caractérisation, c’est l’analyse histologique. La troisième correspond à la détermination de l’extension également appelée « staging ».

 

TLM : Quelle est la place de la chromoendoscopie à chacune de ces étapes ?

Pr Thierry Ponchon : Elle est utile pour chacune d’entre elles mais le recours à des colorants dépend de l’organe examiné et des lésions recherchées. Quels qu’ils soient, les colorants ne sont jamais appliqués d’emblée, sans une analyse soigneuse de la muqueuse.

 

TLM : Quels sont les colorants utilisés ?

Pr Thierry Ponchon : Jusqu’à présent, on utilisait des colorants dits « réels », comme le lugol, l’indigo-carmin ou l’acide acétique ; mais le développement technologique en endoscopie digestive depuis une dizaine d’années a permis également de mettre au point une coloration dite « électronique » ou « virtuelle », déclenchée par la simple pression d’un commutateur placé sur la poignée de l’endoscope. Son principe repose sur l’exploitation des propriétés physiques et optiques de certaines bandes spécifiques du spectre de la lumière blanche. Elle peut être obtenue de deux façons : soit par illumination du tissu avec une lumière à une certaine longueur d’onde, ce qui va révéler au sein de ce tissu des composants plus réactifs à cette longueur d’onde (autofluorescence) ou absorbant davantage cette longueur d’onde (Narrow Band Imaging ou imagerie spectrale en bandes étroites), soit par un traitement électronique du signal obtenu en lumière blanche classique (système FICE).

 

TLM : Quelles sont leurs indications dans l’œsophage ?

Pr Thierry Ponchon : L’endoscopie digestive sert à rechercher deux types de lésions dans l’œsophage : le carcinome épidermoïde et l’œsophage de Barrett, une métaplasie intestinale qui part de la base de l’œsophage et qui est consécutive à un reflux gastro-œsophagien. Pendant très longtemps, on utilisait le lugol pour identifier, caractériser et déterminer l’extension d’un carcinome épidermoïde : il s’agit d’un colorant vital, c’est-à-dire qu’il pénètre dans les cellules saines mais pas dans les cellules cancéreuses qui ne fixent pas la couleur et apparaissent alors rosées sur fond brunâtre. Les indications très limitées de ce colorant ont amené les spécialistes à lui préférer la coloration virtuelle : tout aussi sensible, elle est néanmoins moins spécifique et entraîne la réalisation de davantage de biopsies. Le lugol reste donc le colorant de référence lorsqu’on a besoin d’être très précis. Pour l’identification, la caractérisation et la détermination de l’extension d’un œsophage de Barrett, la coloration électronique est devenue largement prépondérante. Si certains suggèrent d’ajouter de l’acide acétique pour blanchir la muqueuse et mieux voir son relief, cette pratique est sujette à controverse car elle masque le réseau vasculaire.

 

TLM : Et en ce qui concerne l’estomac ?

Pr Thierry Ponchon : Contrairement aux lésions de l’œsophage, pour lesquelles les trois étapes sont réalisées simultanément, elles sont faites de manière séquentielle pour le diagnostic du néoplasme gastrique. Jusqu’ici aucune coloration n’est utilisée pour le stade de détection mais des études ont montré que certaines colorations électroniques pourraient s’avérer utiles. Concernant la caractérisation et le bilan d’extension, les colorants virtuels sont devenus le « standard », au détriment de l’acide acétique et de l’indigo-carmin.

 

TLM : Quels colorants sont utilisés au niveau du côlon et du rectum ?

Pr Thierry Ponchon : La coloscopie a trois indications : la détection des polypes chez des patients à risque moyen, le diagnostic de la maladie de Lynch (un cancer familial), et celui des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Là encore, le diagnostic de ces lésions se fait en trois temps, avec un usage différent des colorants. La détection des polypes ne nécessite pas l’emploi de colorants, même si des études récentes montrent une légère augmentation de la sensibilité avec les colorants électroniques. Pour leur caractérisation et le bilan d’extension, la coloration virtuelle a l’avantage de ne pas masquer le réseau vasculaire dont l’aspect est caractéristique en cas de polype. La chromoendoscopie est en revanche indispensable dans les trois étapes du suivi par coloscopie des MICI, mais la place de la coloration virtuelle pour remplacer les colorants (indigo-carmin) reste discutée dans cette indication.

 

TLM : Quels sont les avantages et les inconvénients respectifs des colorants réels et des colorants électroniques ?

Pr Thierry Ponchon : Les colorants réels peuvent se montrer plus spécifiques dans certaines indications, et limiter ainsi les biopsies, mais ils peuvent aussi supprimer des informations. De leur côté, les colorants virtuels manquent parfois de spécificité, c’est pourquoi on associe souvent un système grossissant pour analyser les détails ; ils sont en revanche nettement plus faciles à appliquer — à condition toutefois d’être motivé et d’avoir bénéficié d’une formation. Notons que tous les appareils d’endoscopie digestive de dernière génération permettent de procéder à une coloration virtuelle de la muqueuse.

 

TLM : Quid de la chromoendoscopie virtuelle et classique pour la détection des lésions dites planes : les adénomes plans et les lésions festonnées sessiles ?

Pr Thierry Ponchon : La chromoendoscopie électronique améliore faiblement la détection des adénomes plans et des lésions festonnées sessiles, selon les études randomisées et les méta-analyses. A tel point que la Société européenne d’endoscopie digestive (ESGE) en 2019 a conclu à un effet marginal et a indiqué uniquement qu’elle peut être utilisée chez les patients à risque moyen ou élevé. Les résultats se sont récemment un peu améliorés car la luminosité qui était abaissée lors du passage en chromoendoscopie électronique a été renforcée et car plusieurs technologies sont maintenant disponibles. Concernant les colorants comme l’indigo-carmin, le plus employé, ils augmentent la détection de ces lésions mais sont plus contraignants dans leur utilisation, ce qui fait que là encore l’ESGE ne les recommande pas systématiquement. Même chez les patients à très haut risque (par exemple dans le syndrome de Lynch), l’intérêt de la chromoendoscopie électronique et des colorants reste débattu comme en témoigne une récente méta-analyse, les colorants restant cependant la règle plutôt que la coloration électronique dans ces cas-là.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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