• Pr POL : L’impact de l’extension des AAD à tous les sujets Hépatite C

Stanislas POL

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/04/2022


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Ouvrir l’accès aux antiviraux à action directe (AAD) pour tous les patients atteints d’hépatite C améliore le dépistage. C’est le principal enseignement de la première étude dans ce domaine, initiée par Gilead et dirigée par le Pr Stanislas Pol, chef de service d’Hépatologie et d’Addictologie à l’hôpital Cochin (Paris).

 

TLM : Vous avez conduit la première étude sur l’impact de l’extension de l’accès aux AAD en France. De quoi s’agit-il ?

Pr Stanislas Pol : Il s’agit de la première étude épidémiologique portant sur les personnes souffrant d’hépatite C chronique et traitées par les AAV. Son objectif était d’évaluer la façon dont les politiques de santé publique intervenant sur la disponibilité des traitements modifient effectivement, en vie réelle, l’accès des populations au dépistage et aux traitements. Elle a été rendue possible grâce au laboratoire Gilead, qui a obtenu l’autorisation d’accéder au Système national des données de santé (SNDS). Nous avons donc travaillé à partir des données de l’ensemble des patients atteints d’hépatite C chronique et traités en France entre 2015 et 2019, soit 71 466 individus. Si la cohorte Hepather évaluait la tolérance, les bénéfices et les risques des AAV auprès des 14 500 patients inclus jusqu’en décembre 2015 et priorisés pour l’accès au traitement, cette nouvelle étude inclut tous les patients traités en France pour une hépatite C, quelle que soit la sévérité de leur maladie pendant les cinq ans de 2015 à 2019.

 

TLM : Quels sont le contexte et l’évolution des politiques à l’égard des AAD ?

Pr Stanislas Pol : Ces nouvelles molécules sont arrivées sur le marché français en 2014 ; le choix politique a été de les réserver aux patients le plus sévèrement touchés, en limitant leur remboursement à ceux présentant une cirrhose, une fibrose hépatique sévère ou des atteintes extra-hépatiques (infection par le VIH, vascularite cryoglobulinémique dont les lymphomes de type B). En juin 2016, leur accès a été étendu aux patients souffrant de fibrose significative et/ou à haut risque de transmission (consommateurs de drogues par voie intraveineuse, femmes enceintes...). Ce n’est qu’en avril 2017 que la Haute Autorité de santé a fait évoluer ses recommandations et préconisé leur remboursement pour l’ensemble des patients atteints d’infection virale C chronique. Cela fait donc à peine cinq ans que l’accès universel aux AAV existe. Et depuis mai 2019, tous les médecins — et pas seulement les hépatologues, infectiologues et internistes — peuvent les prescrire.

 

TLM : Que nous apprend la nouvelle étude ?

Pr Stanislas Pol : Elle montre avant tout qu’ouvrir l’accès aux traitements de l’hépatite C améliore le dépistage : sur la période observée, il a progressé de 1,25 % (3,7 M vs 2,9 M). Cela raccourcit aussi de près d’un mois le délai entre le diagnostic et l’initiation du traitement, qui passe de 77 à 37 jours. Si l’on compare à la période antérieure à l’accès universel, entre 2015 et 2017, le nombre de patients traités a progressé de 44%... avant de chuter d’autant entre 2017 et 2019. Loin d’être inquiétante, cette baisse du nombre de patients traités traduit le fait que beaucoup de patients ont été guéris et que le réservoir de patients à traiter et à guérir se réduit.

 

TLM : Un certain nombre de patients ont cependant dû être retraités...

Pr Stanislas Pol : Effectivement, 3 % des patients ont dû être retraités. Les données ne nous permettent pas de comprendre les causes exactes de ces retraitements. Néanmoins, le fait que 85% d’entre eux l’aient été au bout de 6 à 12 mois suggère qu’ils puissent s’être réinfectés par leurs comportements à risque, d’autant que les personnes séropositives au VIH étaient sur-représentées dans ce groupe des patients re-traités; en revanche, pour les 15 % restants, cela soulève la question de l’échec thérapeutique.

 

TLM : Plus d’un quart des patients traités sont atteints de troubles psychiatriques. Est-ce surprenant ?

Pr Stanislas Pol : Pas vraiment. Dans cette population, la prévalence de l’hépatite C atteint 3%, soit dix fois celle de la population générale. Si les deux tiers ont des antécédents en matière de facteurs de risque, le tiers restant sont institutionnalisés et n’en présentent aucun. Ils représentent désormais la plus large population à risque d’hépatite C (27%), devant les usagers de drogues (21%) et les personnes séropositives au VIH (11 %).

L’accès aux AAD reste très difficile pour ces patients, c’est pourquoi nous réclamons l’application de l’article 51 afin que les pharmaciens des établissements psychiatriques n’aient pas à payer les traitements mais que leur coût soit imputé aux hôpitaux MCO.

 

TLM : Existe-t-il d’autres populations à l’écart du dépistage et des traitements ?

Pr Stanislas Pol : Les migrants qui se contaminent lorsqu’ils arrivent en Europe et « tombent » dans la drogue et/ou la prostitution. Pour ces populations aussi, il est impératif d’améliorer l’accès aux traitements.

 

TLM : L’étude montre un écart entre l’âge et le sexe des patients dépistés et ceux des patients traités. Comment l’expliquez-vous ?

Pr Stanislas Pol : L’âge médian des patients dépistés est en effet de 36 ans, alors que celui des patients traités est de 55 ans ; il y a également plus de femmes parmi les patients dépistés que parmi les patients traités. Ce résultat pourrait être expliqué par le dépistage chez les femmes enceintes. Globalement, cela montre que le dépistage ne permet pas de viser efficacement les publics le plus à risque.

 

TLM : L’élargissement de la prescription des AAD à l’ensemble des médecins s’est-elle traduite par une hausse des traitements ?

Pr Stanislas Pol : Cette autorisation est intervenue en mai 2019, entraînant une légère hausse des prescriptions ; l’arrivée du Covid en février 2020 a, malheureusement, stoppé net cet élan avec une réduction de 50 % des traitements lors de la première vague.

 

TLM : Pensez-vous néanmoins que l’objectif d’éradiquer l’hépatite C sera atteint d’ici 2030 ?

Pr Stanislas Pol : L’objectif, édicté par l’OMS, est plus modeste que cela : le programme d’élimination OMS des hépatites virales prévoit de réduire de 60 % la mortalité liée aux hépatites et de 90 % le nombre de nouveaux cas en 2030. En France, on y est déjà ! En revanche, ce n’est pas le cas des États-Unis qui n’ont pas mis en place de programmes d’échange de seringues, par exemple. Pour atteindre les 25 000 à 50 000 personnes qu’il reste à guérir sur notre territoire, nous devons désormais renforcer le dépistage en menant des campagnes ciblées auprès des patients atteints de troubles psychiatriques, des migrants, mais aussi auprès des personnes qui ont subi des interventions chirurgicales dans les années 1980-90. Même en l’absence de facteurs de risque évidents, les médecins ne doivent pas hésiter à proposer un dépistage au moins une fois dans la vie de leurs patients. C’est comme ça que nous parviendrons à éradiquer l’hépatite C.

Propos recueillis

par Charlotte Montaret

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