• Pr PIOCHE : Vers un allongement des délais entre deux coloscopies ?

Mathieu PIOCHE

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/01/2022


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Les dernières recommandations internationales en matière de coloscopie préconisent un allongement des délais entre deux examens. Mais le système de santé français est-il paré pour cette évolution ? Les explications du Pr Mathieu Pioche, gastroentérologue et hépatologue aux Hospices civils de Lyon.

 

TLM : Les recommandations relatives à la coloscopie ont été modifiées récemment. Quelles sont les nouveautés ?

Pr Mathieu Pioche : Elles portent sur les délais de suivi. La littérature mondiale a montré que l’intervalle entre deux coloscopies, qui est actuellement de cinq ans, pouvait être allongé et porté à sept ans voire à dix ans pour les personnes à bas risque, mais doit se maintenir à trois ans pour celles à haut risque. La découverte de trois adénomes débutants nécessite par exemple un réexamen à cinq ans et celle d’un ou deux adénomes un réexamen à sept ou dix ans —contre respectivement trois et cinq ans actuellement.

 

TLM : Cet allongement du délai entre deux examens est-il pertinent à vos yeux ?

Pr Mathieu Pioche : La France a suivi les conclusions issues de travaux menés notamment au Royaume-Uni, qui se basent sur le fait que les coloscopies y sont de qualité contrôlée ; en effet, le Royaume-Uni exige de ses gastroentérologues un niveau de performance minimum, caractérisé par un taux élevé de détection des adénomes (TDA), pour pratiquer une coloscopie. Or ce contrôle de qualité n’existe pas encore en France. Appliquer les mêmes recommandations est donc une bonne chose... à condition de connaître le TDA de chaque praticien. Imposer un TDA minimum en France n’est pas évident, tant sur le plan conceptuel que pratique : il faudrait un logiciel commun aux anatomopathologistes et aux gastroentérologues permettant de calculer le TDA individuel, et pour l’heure on ne dispose pas d’un tel outil.

 

TLM : Quels sont les critères de qualité d’une coloscopie ?

Pr Mathieu Pioche : La consultation préalable est le premier de ces critères, elle est capitale pour la suite de la procédure car elle permet de valider l’indication de l’examen, d’identifier les comorbidités et le contexte familial, d’expliquer les modalités de l’examen, d’en minimiser les difficultés de préparation et surtout d’informer les patients de ses bénéfices. La qualité de la coloscopie dépend aussi de celle de la préparation colique. Depuis plusieurs années, la prise fractionnée est privilégiée : mieux tolérée, plus efficace, elle est par conséquent mieux suivie par les patients. Nous espérons l’arrivée prochaine de produits en monoprise, à prendre le jour même de l’intervention, ce qui réduirait la durée de mobilisation des patients à une seule journée. Des efforts sont par ailleurs entrepris pour rendre les recettes du régime sans résidu plus agréables et améliorer la compliance. Mais les craintes à l’égard de la préparation colique restent importantes : il est, par conséquent, essentiel que les prescripteurs prennent conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans l’acceptation de cet examen ; à eux de minimiser la difficulté de l’étape préparatoire et de mettre davantage l’accent sur les bénéfices de la coloscopie, référence préventive en cancérologie puisqu’il recherche et traite les lésions précancéreuses (et non des cancers déjà déclarés comme le dépistage du sein ou de la prostate) et réduit de 20 % la mortalité par cancer colorectal. Le temps de retrait (TDR) est un autre paramètre mesurable susceptible de contribuer à améliorer la détection lésionnelle —on estime qu’il doit être d’au moins six minutes mais il reflète surtout le fait que le gastroentérologue s’applique à examiner minutieusement toute la surface colique. L’exhaustivité de la coloscopie constitue également un critère de qualité de cet examen. Sa complétude doit être au moins supérieure à 90 % et tendre vers les 95 %. Enfin, un TDA d’au moins 25 % est requis.

 

TLM : Les qualités de la résection sont également primordiales...

Pr Mathieu Pioche : En effet. Un gastroentérologue doit être capable de retirer des petits polypes (<20 mm) à l’anse froide ; pour les plus gros polypes, il peut passer la main à un expert de l’endoscopie interventionnelle. Les formes superficielles et bénignes de cancers peuvent aussi être traitées par résection lors de l’endoscopie, tandis que les cancers invasifs profonds évidents doivent être envoyés directement au chirurgien. En France, on observe pourtant un excès d’interventions chirurgicales de l’ordre de 25 %...

 

TLM : Quelles sont les indications d’une coloscopie ?

Pr Mathieu Pioche : La coloscopie peut être prescrite dans le cadre du dépistage organisé du cancer colorectal (après un résultat positif à un test immunochimique de recherche de sang occulte dans les selles), ou dans le cadre d’un dépistage individuel en raison d’antécédents familiaux de cancer colorectal ou de gros polypes (>1 centimètre), ou d’antécédents personnels de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). D’après des travaux polonais menés par Kaminski, la coloscopie serait également une indication chez les hommes en surpoids et fumeurs sans aucun antécédent, en raison d’un risque de cancer colorectal supérieur à celui d’une femme non fumeur avec antécédent familial.

 

TLM : Quels symptômes doivent alerter ?

Pr Mathieu Pioche : La présence de sang dans les selles chez une personne de plus de 50 ans est un signe d’alarme fort qui doit immédiatement conduire à une consultation médicale en vue d’une coloscopie. Une modification brutale du transit (notamment la survenue d’une constipation) doit aussi interpeller.

 

TLM : Quels sont les facteurs prédictifs d’une « mauvaise » coloscopie ?

Pr Mathieu Pioche : Une mauvaise compliance à l’égard des consignes de préparation liée à une mauvaise compréhension ou à un manque d’autonomie du patient, être âgé de plus de 60 ans, une constipation chronique ainsi que certains critères anatomiques ou des antécédents chirurgicaux comme une résection du côlon méritent une attention particulière du praticien. Un délai trop important entre la prescription de l’examen et sa réalisation est également un facteur de risque d’une coloscopie de mauvaise qualité par oubli des consignes.

 

TLM : Quelles sont les principales complications de la coloscopie ?

Pr Mathieu Pioche : Le principal risque lié à cet examen est rarissime (< 1/10 000) en situation de diagnostic : il s’agit de la perforation de l’intestin qui est de plus bien maîtrisé de nos jours (fermeture endoscopique efficace) ; en thérapeutique, le taux de morbi-mortalité est extrêmement faible mais peut augmenter avec la complexité du geste. Quant aux risques de récidive, ils ont été considérablement réduits avec les techniques récentes de résection : ils sont inférieurs à 1% pour la résection des petits polypes à l’anse froide et les dissections sous-muqueuses, une technique qui permet de retirer les polypes bénins mesurant plus de 2 centimètres en monobloc avec marges mais qui est encore très peu pratiquée en France, et les récidives sont comprises entre 2 et 3 % pour la mucosectomie fragmentée qui est encore plus accessible que la dissection sous muqueuse.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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