• Pr Pierre Tattevin : Symptomatologie et transmission des infections à cytomégalovirus

Pierre Tattevin

Discipline : Infectiologie

Date : 23/10/2023


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Si l’infection à cytomégalovirus (CMV) est bénigne dans une grande majorité des cas, elle peut représenter une importante cause de morbidité et de mortalité, notamment chez le patient immunodéprimé ou la femme enceinte. Explications du Pr Pierre Tattevin, professeur en Maladies infectieuses au CHU de Rennes, vice-président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et président du Conseil national des universités (CNU) pour les maladies infectieuses.

 

TLM : Qu’est-ce qu’une infection à CMV ? En connaît-on la prévalence ?

Pr Pierre Tattevin : L’infection à cytomégalovirus (CMV) est due à un virus de la famille des Herpèsvirus. Après avoir infecté une personne, le CMV reste à l’état latent à vie dans l’organisme et une réactivation est possible lors d’un épisode d’immunodépression. Cette infection est très fréquente et le plus souvent bénigne. Elle se contracte généralement dans l’enfance et on estime qu’entre 50 et 80 % des adultes vivant dans des pays industrialisés, comme la France, ont déjà été en contact avec le virus.

 

TLM : Comment la contracte-t-on ?

Pr Pierre Tattevin : La transmission s’effectue principalement par voie salivaire, notamment en présence de jeunes enfants. La transmission sexuelle est aussi possible mais moins fréquente. Par ailleurs, l’infection à CMV peut survenir lors de greffes d’organes ou de transfusions sanguines, même si elle reste rare dans ce dernier cas grâce au processus de déleucocytation consistant à diminuer le nombre de leucocytes résiduels dans les produits sanguins labiles à usage thérapeutique.

 

TLM : Quelle en est la symptomatologie ?

Pr Pierre Tattevin : Chez les immuno-compétents, l’infection est généralement asymptomatique et passe inaperçue. Parfois, elle s’apparente au syndrome grippal avec de la fièvre, des douleurs musculaires et des arthralgies. Elle guérit sans traitement mais le repos peut être indiqué. A l’occasion d’une immunodépression, le CMV peut resurgir sous formes beaucoup plus sévères. Généralement, pour les patients VIH au stade sida, l’infection atteint principalement la rétine (rétinite) et plus rarement le tube digestif (colite à CMV).

Chez les greffés, l’infection atteint souvent l’organe greffé (myocardite, pneumopathie, hépatite etc.). Chez les personnes dont le système immunitaire est très affaibli, le CMV peut donc provoquer une maladie grave, voire le décès.

 

TLM : Comment s’établit le diagnostic d’une infection à CMV ?

Pr Pierre Tattevin : Le diagnostic repose sur la sérologie du CMV. Un test biologique, le « test d’avidité » des anticorps, permet de savoir s’il s’agit ou non d’une primo-infection. Si les anticorps ont une très bonne affinité, qu’ils ont eu le temps d’affiner leur spécificité, on est en présence d’une infection ancienne. A l’inverse, un test faible oriente vers une primo-infection.

 

TLM : Le CMV positif : de quoi s’agit-il ?

Pr Pierre Tattevin : A l’occasion d’une greffe d’organe, on parle de « D+R- » lorsque le donneur est positif et le receveur négatif au CMV. On ne peut pas pour autant contre-indiquer tous les organes CMV+ en raison de la prévalence de cette infection, sinon cela reviendrait à n’avoir que très peu d’organes disponibles. Avant chaque greffe, les statuts sérologiques des deux parties sont donc vérifiés et, en fonction des résultats, on proposera un traitement préventif en post-greffe. Cela n’empêchera pas le patient d’être infecté —puisqu’il aura reçu des organes à CMV+—, mais le traitement peut décaler l’infection pour que le patient ne la développe pas au moment où il est le plus immunodéprimé.

 

TLM : Comment traiter les formes sévères entraînant des maladies graves ?

Pr Pierre Tattevin : On dispose d’un traitement antiviral sous forme injectable et sous forme orale (en fonction de la molécule choisie). Il entraîne des effets secondaires importants qu’il faut surveiller de près.

Pour les patients greffés, deux stratégies en post-greffe pour les D+R- peuvent être indiquées. D’une part, un traitement en prophylaxie durant au moins les trois premiers mois après l’intervention, le temps que le patient récupère et soit moins immunodéprimé, ou le traitement dit préemptif d’autre part. Il s’agit de procéder à un contrôle hebdomadaire par prise de sang pour voir sir le CMV se réveille. Dès le premier signal en ce sens, le traitement doit démarrer.

 

TLM : Si une femme enceinte contracte le CMV, quels sont les risques pour le fœtus ?

Pr Pierre Tattevin : L’infection virale est tératogène. En cas de primo-infection chez la femme enceinte, elle peut provoquer un syndrome malformatif multiorganique et un retard mental. Elle est une des principales causes de surdité chez l’enfant. On estime aujourd’hui qu’une femme enceinte qui contracterait le CMV en primo-infection aurait moins de 5% de risque d’atteinte fœtale. Mais au vu du nombre de positivité au CMV dans la population, cela représente tout de même un problème de santé publique.

Actuellement, le Haut conseil de la santé publique travaille sur des recommandations et s’interroge sur la nécessité de rendre le dépistage du CMV systématique chez les femmes enceintes.

On peut ici proposer le valaciclovir ou le letermovir comme traitement avec une surveillance échographique.

Même si ce n’est pas le meilleur traitement anti-CMV, il offre une certaine efficacité sur la transmission maternofœtale.

 

TLM : Quel rôle pour le médecin généraliste dans la prévention et la prise en charge de la CMV ?

Pr Pierre Tattevin : Le médecin généraliste peut fournir des conseils de bon sens aux femmes enceintes ou celles qui ont un projet de grossesse et qui seraient CMV négatives : ne pas embrasser d’adulte ou d’enfant malade, ne pas sucer la tétine d’un bébé ni sa cuillère pour goûter le plat. La prévention repose uniquement sur les mesures d’hygiène stricte.

Propos recueillis

par Anya Leyrahoux

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