• Pr Pierre Tattevin : Patients immunodéprimés : la prévention est essentielle

Pierre Tattevin

Discipline : Infectiologie

Date : 06/07/2023


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Plus exposées aux infections virales, bactériennes, fongiques, les personnes immunodéprimées doivent apprendre à fuir les situations à risque (infections transmissibles, lieux publics bondés, sujets contagieux) et respecter scrupuleusement leur calendrier vaccinal, pointe le Pr Pierre Tattevin, chef du service des Maladies infectieuses au CHU de Rennes.

 

TLM : Combien de personnes sont considérées comme immunodéprimées ou fragiles au regard du risque infectieux en France ?

Pr Pierre Tattevin : En fait, il y a tous les niveaux d’immunodépression et de risque infectieux. Par exemple, une personne de 70 ans commence souvent déjà à avoir une immuno-sénescence et aura un système immunitaire moins performant que celui qu’elle avait 30 ans auparavant. Un patient diabétique mal équilibré aura aussi une baisse de son immunité, car lorsque la glycémie est trop élevée, elle empêche les globules blancs de bien fonctionner. Il y a aussi les patients ayant bénéficié de greffes d’organes et sous traitement immunosuppresseur, ceux qui ont une chimiothérapie et ceux qui suivent une biothérapie, comme par exemple les anti-TNF alpha, pour une maladie auto-immune.

Ainsi, avant d’initier une biothérapie par exemple, certains dépistages doivent être effectués pour traiter une éventuelle maladie infectieuse latente comme la tuberculose. On considère qu’environ 10 % de la population présente à des degrés divers une immunodépression, qui peut la fragiliser vis-àvis des infections.

 

TLM : Quels sont les risques, les menaces qui pèsent sur ces personnes présentant un certain niveau de déficit immunitaire ?

Pr Pierre Tattevin : Vaste question ! Les personnes concernées peuvent être plus menacées que d’autres par des infections virales, bactériennes, fongiques… Par exemple, la grippe, le Covid ou encore les infections liées aux virus de l’herpès peuvent être plus graves et menacer le pronostic vital pour ces patients, plus que pour d’autres sans dépression immunitaire. Certaines infections bactériennes sont aussi plus compliquées à prendre en charge, par exemple après une greffe d’organe nécessitant un traitement immunosuppresseur ou après une chimiothérapie. De manière générale, les patients hospitalisés en hématologie ont une double peine à cet égard : ils présentent à la fois des maladies qui altèrent le système immunitaire et nécessitent des traitements qui ajoutent une immunodépression supplémentaire.

 

TLM : Comment prévenir les infections chez des patients présentant une immunodépression ?

Pr Pierre Tattevin : Pour ces malades, trois axes de prévention doivent être mis en place.

D’abord, il faut les mettre en garde et leur faire des recommandations pour qu’ils apprennent à éviter de s’exposer à des infections transmissibles. Il faut leur demander de limiter la fréquentation des foules, des lieux de spectacles ou des transports publics bondés. Lorsqu’ils n’ont pas le choix et doivent être confrontés à de telles situations, ils doivent porter un masque. Les contacts avec les personnes ou les enfants présentant une infection potentiellement contagieuse sont proscrits. Par ailleurs, certaines activités professionnelles sont à éviter. Autour de Rennes, certains patients travaillent dans le secteur agricole. Or, dans les granges par exemple, il peut y avoir beaucoup de moisissures, avec des aérosols de champignons, notamment d’aspergillus, responsables d’infections graves au niveau cérébral et pulmonaire chez les personnes souffrant d’immunodépression. Il faut également dire à ces patients fragiles que, en cas de plaies ou de blessures, il est très important de la désinfecter immédiatement et régulièrement avec un produit antiseptique, de mettre un pansement. Ce sont des gestes à respecter par tous, mais plus encore et de manière plus rigoureuse en cas de fragilité immunitaire.

 

TLM : Quels sont les autres axes de prévention ?

Pr Pierre Tattevin : Il faut aussi vérifier que le patient est à jour de ses vaccinations. En France, la couverture vaccinale laisse encore à désirer. Il faut faire les rappels de vaccins qui n’ont pas été pratiqués. Il est impératif de les vacciner contre la grippe chaque année, contre le Covid et également contre le pneumocoque. Ces vaccins réduisent le risque de contracter ces infections, sans permettre de les éviter complètement. Mais en cas de grippe ou de Covid par exemple, ils diminuent le risque de souffrir d’une forme grave. Dans certaines situations, il faut également proposer le vaccin contre le zona. Il est aussi recommandé de vacciner certains patients contre l’hépatite B. Par ailleurs, pour les patients amenés à voyager en Afrique subsaharienne ou en Amérique du Sud, et avant une prescription de médicaments immunosuppresseurs, comme les anti-TNF alpha, la vaccination contre la fièvre jaune et l’hépatite A est recommandée. Cela permet de développer une immunité contre ces infections qui durera, y compris après la mise sous traitement.

 

TLM : Faut-il prescrire des prophylaxies médicamenteuses dans certains cas ?

Pr Pierre Tattevin : Après une greffe d’organe, les patients peuvent présenter une immunodépression profonde, du fait des traitements. Ces patients sont mis en général sous Bactrim pendant quelques mois, afin de les protéger contre les infections bactériennes ou fungiques. Au bout de quelques mois, le risque infectieux diminue et ce traitement peut être arrêté.

 

TLM : Comment prévenir le risque de Covid et traiter cette maladie chez les patients immunodéprimés ?

Pr Pierre Tattevin : A ces patients fragiles, nous recommandons d’être à jour de leur vaccination anti-Covid et de continuer à mettre des masques systématiquement dans des lieux publics bondés et confinés, même lors des périodes de moindre circulation du virus comme c’est le cas actuellement. Pour une personne fragile qui débute un Covid, il est possible de prescrire du Paxlovid pendant cinq jours dès les premiers symptômes pour tenter d’enrayer la progression de l’infection. Sinon, face à une forme qui s’aggrave, des traitements immunologiques peuvent être utiles et en particulier la transfusion de plasma issu de patients guéris du Covid, préparé par l’Etablissement français du sang. Ces traitements immunologiques sont destinés aux patients présentant un Covid depuis plusieurs semaines, qui n’arrivent pas à se débarrasser du virus, et qui continuent à avoir des symptômes préoccupants.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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