• Pr Pierre-Jean Pisella : Œil sec: Substituts lacrymaux et éducation thérapeutique

Pierre-Jean Pisella

Discipline : Ophtalmologie

Date : 08/10/2024


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Maladie chronique « car elle est auto- entretenue », la prise en charge de l’œil sec est complexe et dépend de l’étiologie, précise le Pr Pierre-Jean Pisella, chef du service d’Ophtalmologie au CHU de Tours.

Elle passe notamment par l’éducation thérapeutique, « essentielle » dans cette pathologie pour une bonne utilisation des traitements indiqués.

 

TLM : Pourquoi la pathologie de l’œil sec est-elle une maladie chronique ?

Pr Pierre-Jean Pisella : L’œil sec est un déficit variable de l’une ou plusieurs des composantes du film lacrymal. Ce déficit —en eau, mucines, lipides, les trois en même temps et à des degrés divers — entraîne des modifications du film lacrymal qui elles-mêmes créent des désordres inflammatoires. Les deux mots clés sont inflammation et régulation nerveuse de la sécrétion lacrymale.

D’une part, l’inflammation générée au niveau de la surface oculaire, de la conjonctive en particulier et même des glandes lacrymales, revêt un caractère chronique car elle est auto-entretenue.

En effet, les mecanismes physiopathologiques du syndrome sec sont basés sur le concept consensuel de « cercle vicieux ». D’autre part, la sécheresse oculaire provoque une osmolarité modifiée du film lacrymal, qui induit des désordres tissulaires et une inflammation neurogène qui, elle-même, contribue à auto-entretenir un déficit en film lacrymal dans ces composantes.

 

TLM : Quelle en est l’étiologie ?

Pr Pierre-Jean Pisella : Plusieurs portes d’entrée comme l’âge, le sexe et des causes iatrogènes conduisent à ce cercle vicieux. Des causes constitutionnelles basées sur la dérégulation du film lacrymal modifient la régulation nerveuse. La prise de psychotropes, d’antidépresseurs, de benzodiazépines, etc. réduit la production de larmes. Le film lacrymal est d’autre part sous dépendance androgénique. Ainsi la sécrétion des androgènes diminuant ou disparaissant en péri ou en post-ménopause, les femmes sont plus largement touchées que les hommes. Les antécédents allergiques ou les phénomènes d’allergie oculaire chronique, les pathologies des paupières ou leur malposition causent également une sécheresse oculaire.

La chirurgie oculaire (réfractive ou cataracte) est un autre facteur déclencheur. Enfin, les pathologies inflammatoires systémiques sont elles aussi associées à la sécheresse oculaire.

 

TLM : Quelles sont les pathologies associées à l’œil sec ?

Pr Pierre-Jean Pisella : L’œil sec résulte de deux mécanismes. Le premier : la glande lacrymale ne fabrique plus assez d’eau. Le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) associe une sécheresse oculaire et buccale soit primitive (sans cause associée), soit secondaire (associant des pathologies de système comme la polyarthrite rhumatoïde ou d’autres maladies inflammatoires chroniques systémiques). Ces pathologies sont les étiologies du SGS, qui lui-même est une étiologie de la sécheresse par déficit aqueux. Deuxième mécanisme : la sécheresse peut résulter d’une hyperévaporation. Ce phénomène est loco-régional. Un dysfonctionnement des glandes de Meibomius (DGM) entraîne une moins bonne fabrication des dérivés lipidiques polaires et non polaires provoquant une hyper-évaporation de l’eau des larmes. Cette pathologie des GM survient généralement avec l’âge. Il est à noter que dans 15 à 20 % des cas, le déficit aqueux est combiné au DGM. Enfin, environ 40 % des rosacées entraînent une atteinte des GM.

 

TLM : Comment repérer les symptômes ?

Pr Pierre-Jean Pisella : Peu spécifiques, ils se manifestent par des signes indirects comme la sensation de sable, de lourdeur des yeux, de brûlures oculaires ou, a contrario, un larmoiement nouveau et excessif. L’œil est plus rouge et donc inflammatoire. La maladie de l’œil sec est caractérisée par une dissociation entre les signes fonctionnels et les signes cliniques. En effet, les patients peuvent avoir deux manifestations différentes : certains ont une neurotrophie pouvant entraîner une épithéliopathie, alors que d’autres ont une neuropathie. Ils souffrent alors que leur épithélium cornéen est parfaitement normal lors de l’examen clinique à la fluorescéine.

 

TLM : Quelle est la prise en charge ?

Pr Pierre-Jean Pisella : La prise en charge de l’œil sec est complexe et dépend de l’étiologie.

L’examen ophtalmologique complet identifie ce qui est le plus touché dans le film lacrymal. Le test de Schirmer authentifie le SGS et le manque d’eau.

L’examen des GM (direct ou aidé par l’imagerie) met en évidence le manque de couche lipidique. Le « Tear break-up time » confirme l’instabilité du film lacrymal évoquant le manque de mucus. La première ligne de traitement consiste à apporter au patient des substituts lacrymaux associés à une éducation thérapeutique. Les produits étant utilisés au long cours, ceux avec conservateurs sont à proscrire.

Leur viscosité est variable, allant du « complètement liquide » (sérum physiologique) à des concentrations d’acide hyaluronique plus ou moins importantes. En effet, une viscosité augmentée accroît la présence du produit sur la surface oculaire. L’éducation thérapeutique est essentielle.

Elle permet au patient d’utiliser de façon optimale les substituts lacrymaux en fonction de son activité (conduite, lecture, travail sur ordinateur, etc.). Attention : les anti-inflammatoires stéroïdiens en topique et/ou immunomodulateurs topiques, ainsi que les AINS topiques sont contre-indiqués.

Concernant le dysfonctionnement des glandes de Meibomius, la première ligne est l’hygiène palpébrale avec des méthodes plus ou moins sophistiquées de chauffage et de massage des paupières. Si besoin, il existe des systèmes de lumière permettant de décongestionner et de fluidifier la sécrétion meibomienne. Lorsque la composante inflammatoire est très importante (kératites associées ou baisses d’acuité visuelle) des anti-inflammatoires sont utilisés. Dans les cas de syndromes secs très sévères, des verres scléraux remplis de sérum peuvent être portés toute la journée. Enfin, pour les patients ayant une souffrance de l’épithélium extrême, la pose chirurgicale de membranes amniotiques peut être envisagée. Une autre option consiste à mettre en place un bouchon méatique afin de garder les larmes à la surface de l’œil et d’empêcher leur passage. Celui-ci peut être résorbable, permettant son utilisation lors d’une sécheresse temporaire (chirurgie réfractive, par exemple) et d’éviter un risque d’échappement en cas d’utilisation prolongée.

 

TLM : La nutrition joue-t-elle un rôle ?

Pr Pierre-Jean Pisella : Sur le plan nutritionnel, une alimentation hypocalorique sera bénéfique pour l’œil sec, maladie inflammatoire. En effet, l’augmentation des oxydants est pro-inflammatoire.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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