• Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Les recommandations Baveno VII sur l’hypertension portale

Pierre-Emmanuel Rautou

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 13/10/2022


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Les conférences Baveno, qui traitent de l’hypertension portale (augmentation de la pression du sang dans la veine porte, le plus souvent consécutive à une cirrhose) ont livré leurs dernières recommandations.

Le principal message à retenir, rapporte le Pr Pierre-Emmanuel Rautou, hépatologue à l’hôpital Beaujon (Clichy), c’est que ce sont les résultats de l’examen par FibroScan® qui détermineront le traitement à mettre en place.

 

TLM : Quels sont les objectifs des conférences Baveno ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Il s’agit de conférences de consensus qui ont lieu tous les cinq ans depuis 1980, avec pour thème l’hypertension portale sous tous ses aspects : physiopathologie, diagnostic, traitement et suivi. Chaque conférence réunit les spécialistes mondiaux de l’hépatologie qui rédigent, à l’issue de cette manifestation, une série de recommandations sur les modalités de prise en charge de l’hypertension portale. Je rappelle que l’hypertension portale est le plus souvent consécutive à une cirrhose, quelle qu’en soit la cause —virale, métabolique, ou toxique liée à une consommation excessive de boissons alcoolisées. Cette augmentation de la pression dans la veine porte, est responsable des principales complications de la cirrhose —ascite, varices œsophagiennes, encéphalopathie hépatique.

L’autre grande complication de la cirrhose, le carcinome hépatique, n’est pas lié à l’hypertension portale ; nous ne l’aborderons donc pas ici. La dernière conférence de consensus, dite Baveno VII, s’est tenue en octobre 2021. Pour la première fois, elle n’a pas eu lieu dans la ville de Baveno, en Italie, mais en digital en raison de l’épidémie de Covid-19.

 

TLM : A quel moment survient l’hypertension portale en cas de cirrhose ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : A partir du moment où le patient présente une atteinte virale, métabolique ou alcoolique du foie, en l’absence de prise en charge, il faut 20 ans en moyenne pour arriver au stade de cirrhose. Sans traitement, la cirrhose va progresser, le foie devenir de plus en plus fibreux, et la pression dans la veine porte va augmenter. Dès lors, les complications graves liées à l’hypertension portale peuvent apparaître.

 

TLM : Quels sont les grands changements dans le diagnostic et la prise en charge de l’hypertension portale recommandés par Baveno VII ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Un des changements majeurs proposés lors de cette conférence concerne la place des tests non invasifs dans la prise en charge des malades. Ainsi, la mesure de la dureté du foie par FibroScan®, qui est un examen non invasif reflétant le degré de fibrose du foie, apparaît désormais au centre du diagnostic de cirrhose et au centre des décisions de prise en charge. Selon les dernières recommandations, lorsque le résultat d’un patient se situe en dessous de 10 kilopascals (kPa), cela exclut le risque que le patient ait une cirrhose avec hypertension portale. En revanche, si le résultat est au-dessus de 15 kPa, il est probable que le malade présente une cirrhose avec hypertension portale. Aujourd’hui, avec le FibroScan®, il est possible de stratifier les patients en fonction du risque de présenter une hypertension portale et du niveau de cette hypertension portale. Et ce sont les résultats de l’examen qui détermineront le type de prise en charge thérapeutique. Lorsque le résultat est au-dessus de 15 kPa, un suivi dans un service d’hépatologie est nécessaire.

 

TLM : Concrètement, comment ces recommandations modifient-elles la prise en charge ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Jusqu’à présent, en cas de cirrhose avancée, l’endoscopie digestive permettait de visualiser d’éventuelles varices œsophagiennes. Et sur la base des résultats de l’endoscopie, un traitement à base de bêtabloquants — les médicaments indiqués en cas de varices œsophagienne s— était prescrit.

Les recommandations de Baveno VII proposent de s’affranchir de l’endoscopie pour la mise en œuvre de ce traitement médical. Les patients peuvent désormais être traités par bêtabloquants, même en l’absence d’endoscopie œsophagienne, en fonction des résultats de l’examen avec FibroScan®. En effet, des études ont montré que lorsque le résultat est supérieur à 25 kPa, une hypertension portale significative est hautement probable.

 

TLM : Ces recommandations vont-elles rentrer dans la pratique courante ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Sans doute progressivement. Il faut maintenant des études qui démontrent que le fait de traiter des patients par bêtabloquants quand le résultat du FibroScan® est supérieur à 25 kPa, permet bien de réduire les complications. Nous avons un projet d’essai randomisé dans cet objectif. Jusqu’à présent, le traitement par bêtabloquants pour un patient atteint de cirrhose était déterminé par l’endoscopie. Selon ces dernières recommandations, c’est désormais sur les résultats du FibroScan® que le traitement sera décidé. C’est le principal message de Baveno VII. Il mérite néanmoins d’être validé.

 

TLM : A quel moment les médecins généralistes doivent-ils proposer un examen du foie avec FibroScan® ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : L’examen avec FibroScan® peut être proposé pour tout malade chez lequel le médecin généraliste suspecte une maladie du foie associée au développement d’une fibrose, parce qu’il a une consommation excessive de boissons alcoolisées ou qu’il présente les facteurs de risque métaboliques. Dans ces cas, le test de première ligne est le FIB-4, basé sur le taux de transaminases et de plaquettes. Ce test, peu coûteux, permet d’identifier les malades à risque. Le médecin généraliste peut ensuite prescrire un examen avec FibroScan® ou adresser directement le patient dans un service d’hépatologie en cas d’anomalie avérée au FIB-4 (valeur ≥ 1,30).

 

TLM : Quels sont, pour mémoire, les principes sur lesquels est basé l’examen avec FibroScan® ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Il s’agit d’un examen très simple, indolore, il se pratique en cinq minutes et les résultats sont immédiats. Le principe c’est celui de la balle de tennis : si vous envoyez celle-ci sur un sol dur, elle reviendra très vite. S’il s’agit d’un sol mou, elle rebondira plus lentement. L’appareil génère par vibration une onde mécanique de faible amplitude, indolore, àpartir de la paroi thoracique en regard du foie. Plus le foie est dur, plus la fibrose est sévère, et plus l’onde va vite. C’est la vitesse de propagation de l’onde qui est mesurée. Les résultats sont exprimés en kilopascals (kPa), avec des valeurs comprises entre 2 et 75 kPa. La valeur normale est aux alentours de 5 kPa. Au-delà de 10 kPa, il existe une forte suspicion de maladie chronique du foie.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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