• Pr Philippe Deruelle : Que prescrire face aux nausées et vomissements de la grossesse ?

Philippe Deruelle

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 10/01/2024


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Peu intenses dans la majorité des cas, nausées et vomissements en début de grossesse peuvent toutefois être plus sévères chez environ un tiers des femmes. Face à l’hétérogénéité de ces manifestations, la prise en charge doit se faire au cas par cas.

Les explications du Pr Philippe Deruelle, gynécologue obstétricien à Montpellier.

 

TLM : En 2021, un groupe de travail issu du CNGOF s’est accordé sur la définition de ces troubles. Quelle est-elle ?

Pr Philippe Deruelle : Les nausées et vomissements gravidiques (NVG) sont définies comme débutant au premier trimestre de la grossesse, en l’absence d’autre étiologie, et concernent entre 50 et 90 % des femmes. Si ces manifestations sont peu intenses chez la majorité des femmes, elles sont plus sévères chez environ un tiers d’entre elles. On parle alors d’hyperémèse gravidique. Enfin, entre 0,5 % et 3 % des femmes sont hospitalisées au cours du premier trimestre pour ce motif, avec présence de troubles ioniques. Plus récemment, un groupe d’experts internationaux s’est réuni et a décidé d’inclure le retentissement psychosocial de la maladie dans la définition de ces troubles. Aujourd’hui, une femme présentant des altérations dans sa qualité de vie parce qu’elle a des vomissements est considérée comme souffrant d’hyperémèse gravidique. Jusqu’alors, cet aspect ne figurait ni dans la définition française ni dans celle des autres sociétés internationales.

 

TLM : Comment en apprécier la sévérité ?

Pr Philippe Deruelle : L’appréciation de la sévérité NVG doit reposer sur l’évaluation de la perte de poids depuis le début de la grossesse, des signes cliniques de déshydratation, du nombre de vomissements dans la journée, et du score PUQE (Pregnancy Unique Quantification of Emesis and Nausea). Les NVG sont considérés comme non compliqués lorsque la perte de poids est de <5 %, sans signe clinique de déshydratation et sont associés à un score PUQE ≤6. À l’inverse, on doit parler d’hyperémèse gravidique lorsque ces troubles sont associés à au moins un des signes suivants : perte de poids ≥5%, signe clinique de déshydratation, score PUQE ≥7.

 

TLM : En connaît-on la physiopathologie ?

Pr Philippe Deruelle : Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit d’une maladie hormonale même si le mécanisme précis de ces troubles reste encore imparfaitement compris. Par ailleurs, des études menées sur le séquençage du génome ont démontré que les formes d’hyperémèses sévères impliquaient la protéine GDF15 (Growth Differentiation Factor 15). Une protéine sécrétée par le placenta qu’on retrouve aussi dans d’autres pathologies et en particulier dans la cachexie liée au cancer.

 

TLM : Certaines femmes sont-elles plus à risque que d’autres ?

Pr Philippe Deruelle : Des facteurs aggravants ont en effet été identifiés. Un antécédent d’hyperémèse gravidique entraîne une récidive dans 80 % des cas lors d’une nouvelle grossesse. Une grossesse gémellaire constitue également un facteur aggravant, sans oublier la prédisposition génétique qui est ici importante. Les femmes dont les mères ou grand-mères ont fait des NVG sévères sont plus à risque d’en développer.

 

TLM : Cette affection peut-elle présenter un risque pour l’enfant à naître ?

Pr Philippe Deruelle : Oui et en particulier dans les formes sévères avec perte de poids importante. Prématurité et bébés de petits poids sont les conséquences les plus souvent observées. Et du côté de la femme enceinte, des associations avec d’autres pathologies comme l’hypertension et la prééclampsie ont été identifiées. Mais ces éléments restent encore à vérifier. Il faut bien comprendre que certaines femmes vont vomir jusqu’à 50 fois par jour.

C’est épuisant, aussi bien sur le plan psychologique que physique. Ces patientes présentent des troubles anxiodépressifs et des états de stress post-traumatiques importants. Un soutien psychologique devrait être proposé à toutes les patientes atteintes, en raison de cet impact négatif sur leur bien-être psychique.

Elles doivent être informées de l’existence d’associations de patientes investies dans leur accompagnement.

 

TLM : Des examens complémentaires sont-ils parfois nécessaires ?

Pr Philippe Deruelle : Un examen clinique complet doit être effectué dans tous les cas. Comme je prends en charge beaucoup de femmes en téléconsultation, je m’assure à chaque fois qu’une évaluation clinique a bien été faite en amont. Il y a aussi un minimum de bilans à faire pour s’assurer qu’il n’y ait pas de cause secondaire ou une autre étiologie à envisager. En tout état de cause, devant une hyperémèse gravidique, un bilan biologique doit être prescrit avec un dosage de la kaliémie, de la natrémie, de la créatininémie et une bandelette urinaire complète. Si les symptômes persistent ou s’aggravent malgré un traitement bien conduit, un bilan complémentaire est préconisé avec notamment la réalisation d’une échographie abdominale.

 

TLM : Pourquoi parle-t-on de prise en charge thérapeutique par palier ?

Pr Philippe Deruelle : Dans un premier temps, il est proposé d’arrêter les vitamines prénatales et la supplémentation en fer au premier trimestre parce que cette dernière semble aggraver les symptômes. Seule la supplémentation en acide folique doit être conservée. La prise en charge thérapeutique se fait ici au cas par cas car les antinauséeux et les antiémétiques ont une efficacité très variable d’une femme à l’autre. Aussi les patientes souffrant de formes légères peuvent-elles voir leur état s’améliorer en modifiant leurs habitudes alimentaires, en consommant du gingembre ou en recourant à des médicaments contre le mal des transports, par exemple. Il en est de même pour l’acupression et l’acupuncture qui sont à envisager uniquement dans les formes non compliquées. Concernant la prise en charge symptomatique, les médicaments ou associations ayant les effets secondaires les moins sévères et les moins fréquents doivent être privilégiés en l’absence de supériorité d’une classe médicamenteuse par rapport à une autre. Par conséquent, les formes modérées font l’objet de prescription d’antiémétiques. Nous prescrivons souvent l’association doxylamine et pyridoxine car elle déclenche peu d’effets secondaires. Pour la plupart des femmes, ce traitement suffit à soulager leurs symptômes. Pour celles qui ne répondraient pas à ce traitement, après un délai de 48 à 72 heures, nous essayons autre chose en basculant généralement sur d’autres antiémétiques type antihistaminiques H1, Primperan ou Vogalene. Enfin, dans les formes les plus sévères ou chez les femmes ne répondant pas à ces thérapeutiques, le recours aux neuroleptiques ou aux corticoïdes peut être envisagé. Même si finalement sur ces molécules, nous disposons de trop peu de données. Nous pourrions faire beaucoup mieux, sachant qu’il s’agit d’une maladie qui touche 3 % des femmes au jour le jour ! L’arrêt du traitement doit s’envisager dès que possible et se faire de manière très progressive le cas échéant.

Propos recueillis

par Marie Ruelleux

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