• Pr Philippe Deruelle : Comment traiter les nausées et vomissements gravidiques

Philippe Deruelle

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 06/07/2023


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Symptômes très fréquents, nausées et vomissements de la grossesse sont généralement peu sévères et disparaissent à la fin du premier trimestre. Mais, chez un tiers des femmes, ils deviennent invalidants.

« Les identifier et les prendre en charge est indispensable », indique le Pr Philippe Deruelle, gynécologue-obstétricien au CHU de Montpellier et secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

 

TLM : Combien de femmes sont-elles concernées par les nausées et vomissements gravidiques (NVG) ?

Pr Philippe Deruelle : De 50 à 80% des femmes ont des nausées ou des vomissements au cours de leur grossesse avec des intensités extrêmement variables.

 

TLM : Quelle en est la physiopathologie ?

Pr Philippe Deruelle : Aujourd’hui, nous savons que l’ensemble des hormones sécrétées par le trophoblaste puis par le placenta sont en cause dans les NVG. Œstrogènes, prostaglandines ou hormones stéroïdiennes jouent un rôle dont le mécanisme reste encore imparfaitement compris. Les formes sévères ont une origine génétique impliquant la protéine Growth differentiation factor 15 (GDF15). Également sécrétée par le placenta, elle est responsable de l’hyperémèse gravidique (HG) en lien avec les autres hormones citées précédemment.

 

TLM : Quels sont les critères de sévérité ?

Pr Philippe Deruelle : Une perte de poids de plus de 5 %, l’intensité des NVG, mais aussi les conséquences des vomissements, à savoir l’existence de troubles ioniques et, en particulier, de signes cliniques ou biologiques de déshydratation. Très récemment, sous l’impulsion des associations de patientes, nous avons inclus dans ces critères de sévérité l’altération majeure de la qualité de vie, qu’elle soit personnelle ou professionnelle.

 

TLM : Quels sont les facteurs de risque ?

Pr Philippe Deruelle : Un antécédent de NVG, dans les formes sévères notamment, induit malheureusement une récidive dans 80 % des cas lors d’une nouvelle grossesse. Le deuxième facteur est la prédisposition génétique chez les femmes dont les mères et/ou grands-mères ont fait des NVG sévères.

 

TLM : Quelles sont les recommandations concernant la prise en charge des NVG ?

Pr Philippe Deruelle : Les femmes souffrant de NVG dans les formes courantes parviennent parfois à se traiter par elles-mêmes soit en modifiant leurs habitudes alimentaires soit en utilisant du gingembre ou des médicaments contre le mal des transports. Lorsqu’elles nous consultent pour des formes modérées, nous prescrivons des antiémétiques. Nous utilisons souvent aujourd’hui, même si c’est en deuxième intention, soit la doxylamine seule, soit l’association doxylamine/pyridoxine (vit. B6) qui est le traitement pharmacologique des NVG du premier trimestre de la grossesse semblant montrer le moins d’effets secondaires.

Si la patiente n’est toujours pas soulagée, nous basculons sur d’autres antiémétiques comme les antihistaminiques H1 ou encore le Primpéran ou le Vogalène. Cependant, ces deux derniers traitements ont reçu des alertes de l’ANSM. Leur prescription nécessite donc d’évaluer la balance bénéfices/risques. Enfin, dans les formes les plus sévères ou chez les femmes ne répondant pas à ces thérapeutiques, nous proposons d’utiliser l’ondansétron ou des neuroleptiques, voire en dernière intention des corticoïdes, même si, globalement, pour l’ensemble de ces molécules, les données scientifiques sont vraiment très limitées. Les réponses aux traitements ou aux associations sont variables d’une femme à l’autre. L’efficacité dépend également des voies d’administration. Donner un traitement oral à une femme sujette aux vomissements 20 à 30 fois par jour ne peut pas être efficace. Dans ce cas, il faut privilégier la voie IV ou jugale.

 

TLM : Le choix des traitements dont l’efficacité est similaire s’effectue-t-il en fonction des effets secondaires les moins sévères et les moins fréquents ?

Pr Philippe Deruelle : Exactement. Nous choisissons, en première intention, le traitement qui a le moins d’effets secondaires, en espérant qu’il obtienne une certaine efficacité. Puis, dans les formes modérées à sévères, nous procédons par paliers, au fur et à mesure des tentatives. Nous pensons qu’un traitement apportera toujours un bénéfice car il faut savoir que l’HG tue des femmes dans le monde. D’autre part, nous proposerons le même traitement à une femme ayant déjà expérimenté son efficacité lors d’une précédente grossesse.

 

TLM : Les NVG ou l’HG peuvent-ils influencer le déroulement de la grossesse ?

Pr Philippe Deruelle : Oui, tout à fait. Les conséquences de l’HG, en particulier dans sa forme sévère avec perte de poids, sont à la fois physiques et psychiques. Les fausses couches et la prématurité sont plus importantes. Les bébés sont de plus petits poids. Des associations avec certaines pathologies comme la prééclampsie ont été identifiées même si leur lien reste encore à démontrer. Ces femmes présentent des troubles anxio-dépressifs, des états de stress post-traumatiques, voire des idées suicidaires.

Nous échangions justement récemment avec des associations de patientes qui nous disaient que certaines femmes « avaient envie de mourir pour que ces symptômes s’arrêtent tellement ils sont insupportables ».

Nous constatons également un recours à l’IVG beaucoup plus fréquent.

 

TLM : Combien de temps dure un traitement ?

Pr Philippe Deruelle : Dans les formes minimes à modérées, la situation est stabilisée en quelques jours. Dans les formes sévères, il faut être dans la réactivité et l’anticipation et ne pas se laisser plus de 24 à 72 heures pour évaluer l’efficacité du traitement. La durée d’une HG est très variable, allant de quelques mois à toute la grossesse, nécessitant parfois une prise médicamenteuse quotidienne pendant cette période. Puis, à la naissance, une fois que le placenta est parti, les nausées et vomissements disparaissent.

Les femmes nous disent : « Dès le lendemain, je n’avais plus rien, j’étais transformée »…

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste ?

Pr Philippe Deruelle : Grâce à leur capacité d’écoute et de reconnaissance des symptômes, les médecins généralistes ont un véritable rôle de soutien allant au-delà des médicaments.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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