• Pr Philippe Denis : Dépister à temps le glaucome primitif à angle ouvert pour le ralentir

Philippe Denis

Discipline : Ophtalmologie

Date : 13/10/2022


  • 280_photoParole_129PE_PrDenis.jpg

Le maître-mot de la prévention du glaucome c’est le dépistage.

Quand il est pratiqué à temps, il est possible de traiter les patients et de ralentir l’évolution, assure le Pr Philippe Denis, chef du service d’Ophtalmologie de l’hôpital de la Croix-Rousse (Lyon).

 

TLM : Comment évaluez-vous le dépistage du glaucome aujourd’hui ?

Pr Philippe Denis : Le glaucome est une maladie fréquente qui touche, selon la Caisse nationale d’assurance maladie, de 1,3 à 1,4 million de personnes. Mais elle reste longtemps asymptomatique, ce qui explique pourquoi environ 400 000 personnes présentent un glaucome sans le savoir et sans être dépistées.

 

TLM : Quelles sont les différentes formes de glaucome ?

Pr Philippe Denis : Le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO), 80 % des cas, est une maladie du nerf optique chronique irréversible d’évolution insidieuse. Sous l’effet de la pression intraoculaire, le nerf optique se détériore progressivement, entraînant une diminution du champ visuel, l’acuité visuelle centrale demeurant longtemps protégée. L’atteinte concerne les deux yeux, mais elle est souvent asymétrique. En l’absence de prise en charge, le patient perd progressivement des pans entiers de vision, sans s’en rendre compte. Le dépistage doit donc être systématique aux alentours de 45 ans, en particulier dans les familles avec antécédents de glaucome ou en cas de forte myopie. Certaines ethnies sont plus à risque : l’incidence est, par exemple, deux fois plus importante aux Antilles qu’en métropole. Le glaucome à angle fermé représente l’autre forme : il s’agit d’une pathologie aiguë, avec une destruction rapide du nerf optique. Dans la mesure où cette forme est bien plus symptomatique, le diagnostic en est en général plus rapide.

 

TLM : Quels sont les outils du dépistage ?

Pr Philippe Denis : Le maître-mot de la prévention du glaucome c’est effectivement le dépistage. Quand il est pratiqué à temps, il est possible de traiter les patients et de ralentir l’évolution, en diminuant la pression intraoculaire.

Le dépistage du glaucome repose sur la mesure de la tension oculaire et sur l’examen du nerf optique. L’absence d’anomalie à ces deux examens suffit en général à écarter le diagnostic. La plupart des glaucomes sont à pression oculaire élevée, mais dans certains cas, cette pression est normale. Cela dit, une hypertonie isolée n’est pas forcément synonyme de glaucome, mais elle constitue un facteur de risque : des explorations complémentaires alors sont nécessaires — l’examen du champ visuel est indispensable. L’OCT, tomographie en cohérence optique, permet de visualiser la rétine et le nerf optique, voire de quantifier la perte de neurones. Aujourd’hui, grâce à des logiciels d’analyse d’images qui intègrent les résultats successifs de l’OCT et du champ visuel, il est possible de juger si la maladie est d’évolution lente ou au contraire progresse rapidement.

Un rapport de la Haute Autorité de santé publié en janvier 2022 sur l’état d’avancement de la prise en charge du glaucome relève que, concernant le risque de déficit visuel, chaque patient est unique. Il peut y avoir un déficit sans lésion majeure du nerf optique et, à l’inverse, une absence de déficit du champ visuel malgré une atteinte notable. Quand le patient consulte le spécialiste au stade de glaucome évolué, avec une altération importante du champ visuel, le diagnostic est déjà trop tardif !

 

TLM : Quelle prise en charge préconisez-vous pour les patients ?

Pr Philippe Denis : L’objectif du traitement est de diminuer la pression intraoculaire. La première étape c’est la prescription de collyres sans conservateur. Il existe deux types de collyres permettant d’abaisser la tension intraoculaire. Premier type, plutôt bien toléré : des prostaglandines, une fois par jour. L’autre collyre est composé de bêtabloquants, contreindiqués notamment en cas d’asthme.

Certains collyres combinent les deux types : ils sont prescrits aux patients chez qui l’effet de l’un ou l’autre demeure insuffisant. Au total, 85 % des patients sont traités efficacement avec ces collyres.

 

TLM : Quelles alternatives pour les patients ne supportant pas les collyres ?

Pr Philippe Denis : S’agissant des patients ne supportant pas les collyres ou qui les oublient, il est possible de pratiquer un traitement au laser —la trabéculoplastie au laser sélectif. Cette technique permet de traiter le glaucome en une seule fois. Des impacts laser sont envoyés dans le trabéculum pour augmenter sa perméabilité et permettre l’écoulement de l’humeur aqueuse. Cette stratégie permet de diminuer la tension intraoculaire, autant que les collyres.

 

TLM : Et pour les patients résistants à ces traitements ?

Pr Philippe Denis : Dans ce cas il faut recourir à la chirurgie. Elle permet de prendre en charge tant les patients résistants à ces traitements que ceux chez qui ils ne sont pas suffisants. On pratique alors une trabéculectomie : on crée une sorte de soupape sous la paroi de l’œil pour créer une dérivation de l’humeur aqueuse. Cette technique n’est pas dénuée de complications : infections, hémorragies, échecs…. Il est aussi possible de pratiquer une sclérectomie pour augmenter la perméabilité du trabéculum, chirurgie plus délicate à réaliser mais plus sûre.

 

TLM : Existe-t-il des alternatives à la chirurgie ?

Pr Philippe Denis : Une nouvelle technique utilise des petits dispositifs implantables dans l’œil pour diminuer l’humeur aqueuse. Il s’agit de stents, destinés aux patients qui tolèrent mal les médicaments ou pour qui la chirurgie est contre-indiquée. Ces stents sont posés sous anesthésie locale. Ils peuvent être mis en place notamment lors de l’intervention pour la cataracte, car environ 20 % des patients présentant une cataracte ont aussi un glaucome. Le problème est que certains de ces stents ne sont pas tous remboursés alors qu’ils rendent de vrais services, en particulier comme alternative au traitement chirurgical.

 

TLM : Comment évolue le glaucome traité ?

Pr Philippe Denis : Le patient traité est généralement revu tous les six mois, puis tous les ans s’il est bien stabilisé. Ralentir l’évolution de la maladie reste notre objectif ; nous savons le faire et nous avons les outils pour le faire. Certains patients échappent malheureusement à tout traitement, car ils ont été pris en charge trop tardivement : les lésions du nerf optique étaient déjà très importantes au moment du diagnostic.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

  • Scoop.it